Lion


Attila et Yohan Gaigher continuent à restaurer à Crest
la très ancienne maison Bru où trône au pied d’un mur
la mystérieuse tête de lion travaillée dans de la molasse
[j’invite à lire à nouveau, sur ce même blog, cette prose : Le Bois de vie (à Crest, avril 2018) https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2018/04/10/le-bois-de-vie-a-crest-avril-2018/ ].
 
Yves Bergeret

Ma pierre est un fleuve.
Le vent y loge.
 
Réveille, réveille-toi, toi la main
qui me sculptes, tu n’as pas fini.
 
Ma molasse à peine durcit mon front.
Mon argile presque tendre encore
me gonfle les babines.
 
Deux bulles d’air,
ce sont mes yeux qui t’hypnotisent,
deux bulles d’air lâchées
par le divin poisson
au fond de ma peu dure boue
bulles de la voix du fond de ma boue.
 
Réveille ma voix,
toi qui me sculptes.
Pour le moment le poète
me prête sa voix.
 
Je veux parler seul,
parler demain haut
de ma Mésopotamie
dont les poils de ma crinière
portent les odeurs brûlantes,
de mes fils les esclaves celtes
qu’harcèlent les Romains de Die.
 
Je veux parler haut
et porter avec ma voix
l’énergie des farouches bâtisseurs,
des géniaux jumeaux
qui font honneur
à notre vallée résistante.
 
Laisse-moi poser mes yeux
où je veux.
Sur l’escalier de bois neuf
que tu fabriques planche à planche
et poses sans m’en parler
près de mon crâne.
 
Merci pour l’escalier et ses planches.
Le jour où dix tornades brasseront
l’eau folle de la Drôme
et nous jetteront tous
jusqu’à la mer impatiente
je m’en ferai un radeau.
 
Du radeau jaune
je rugirai.
 
Mon alphabet je le trouve
dans le bruit des portes qui claquent,
dans les galets invisibles qui roulent
au fond des remous.
A toute seconde je clame
liberté liberté liberté.
 

7 réponses à “Lion”

  1. GAIGHER dit :

    Oublié du temps géologique, où peu de mots suffisent au récit.
    Appelé au temps des hommes, où mille écrits ne suffisent plus au récit.

    Né de la force et du fracas lent qui façonne les montagnes.
    Réenfanté par la force et le fracas net de l’outil qui façonne les traits de la créature.

    Âme d’alluvions un jour devenu Lion.
    Merci pour tes récits Yves !

    • carnetlangueespace dit :

      Cher Attila, cher Yohan,
      c’est moi qui vous remercie car votre aventure de la Maison Bru-Gaigher à Crest est un vrai récit poétique épique ; et en plus d’être poètes du bois, de la pierre, de l’enduit, du fer, vous êtes aussi poètes des mots : je le lis aujourd’hui très clairement !
      Yves

      • GAIGHER dit :

        Yves, je t’avais dit qu’un jour les maisons pourront parler d’elles-mêmes !
        Aujourd’hui, par des truchements que je t’épargnerais, les mots peuvent devenir art. Pour l’expérience, je me suis permis d’extraire quelques mots de ton poème, que j’ai donné en pâture à la « chose » qui fera un jour parler les maisons…
        Voici le résultat (j’ai demandé une peinture): http://sda3.free.fr/GAIGHER/sci/img/frm/lion.webp
        Plus qu’à trouver le bon truchement pour avoir la musique…

        Lorsque les maisons pourront parler, le métier d’artiste aura bien changé.
        Cybernétiques salutations.

  2. lemaitre xavier dit :

    LION CONTRE MASCARON, ou Vraie Bocca della Verità

    La mystérieuse tête de lion travaillée dans la molasse, découverte « inventée » par les restaurateurs Attila et Yohan Gaigher, s’anime et se nomme dans le blog du poète Yves Bergeret. Sise dans la maison Bru à Crest, au pied d’un mur, gardienne d’un fringant escalier de bois ; la stèle léonine quasi carrée fascine par sa forte mâchoire, babines retroussées sous des yeux ouverts en amande, des oreilles et des narines forées. La tête animale au regard humain est encadrée, couronnée d’une rayonnante crinière flamboyante.

    Beaucoup plus connue, non moins étrange, la Bocca della Verità est une sculpture de bas relief sur marbre, assimilée à un masque, murée dans la paroi du pronaos de l’église Santa Maria in Cosmedin de Rome, datant de 1632. Matériau noble, site prestigieux, taille considérable contrastent avec la représentation de la bête sauvage.

    Pourtant le roi des animaux a fière allure, comparé au mascaron du visage masculin échevelé, aux yeux, nez et bouche forés et creux. Le nom Bocca della Verità apparait en 1485, plusieurs légendes lui attribuent des prodiges comme celui de trancher la main du menteur ou de basses besognes comme celle de recueillir les délations. Mais la proximité du Cloaca Maxima fait dire à certains spécialistes de l’Antiquité qu’il s’agit d’un tampon d’égout recyclé.

    La ville du Tibre exhibe un masque barbare, bourreau de légende, boite à malices.
    Héros mésopotamien ou carthaginois, le lion de la Drôme doté de parole poétique, devient héraut de « liberté ».

    Xavier Lemaître

Répondre à carnetlangueespace Annuler la réponse.