Mots dans la grotte, Sicile 2007- Kiev 2022
Tout cet ensemble, prose et vers, se lit en italien grâce au poète Francesco Marotta, à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2022/03/31/presenza-dellaltro/
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Sous la cathédrale Sainte Sophie de Kiev, splendeur fondée au onzième siècle, dont les artisans fresquistes ont couvert l’intérieur d’admirables fresques, s’est creusé dans la roche tendre du sol un réseau de catacombes où se conservent les corps de moines de jadis.
Tandis que, ce mois de mars 2022, se précipitant de Russie la violence absurde et répugnante cherche à tout détruire, à humilier quiconque, à asservir chacun.
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Le 22 août 2007 j’ai écrit à l’encre de Chine les phrases et aphorismes qui suivent. Sur toute sorte de papiers à calligraphie, chinois ou d’Arches ou divers Fabriano, en formats variés au moins A4, que j’ai disposés au sol, sur les parois de la petite grotte Eroa et, suspendus, à son plafond ; le sculpteur sicilien Carlo Sapuppo y a posé ce même jour quelques œuvres en fil de fer.
La forme de cette petite grotte, discrète dans une pente buissonnante de Noto Antica, a été retravaillée au fil des siècles, durant au moins deux millénaires, calcaire ou tuffeau très tendre, carrière peut-être, menu sanctuaire sûrement, aux parois creusées de petites anfractuosités votives dont les stèles animistes ou paléochrétiennes ont peu à peu disparu. La main, espérante à jamais, des tailleurs de cette roche se voit, vivante, partout.
De cette colline se voit la Méditerranée qu’ont héroïquement traversée tant de migrants, réfugiés économiques ou politiques, que tant de violence a martyrisés.
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Hommage soit ici rendu à ceux qui supportent une telle violence,
qui résistent à une telle violence.
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Parler m’enracine au bout du monde
Parler t’enracine dans mon corps
Parler s’enracine au lointain
Le fond du corps respire à l’horizon
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Parler ensemence
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Qui écoute qui ?
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Tu as traversé la nuit puis la peur puis la nuit
Des abeilles noires naissent sous tes pas
Des syllabes étrangères, des abeilles
Et coule le miel du sens neuf
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Sécrète le fil du long voyage
Dévide le récit sans frontière
Tends le fil d’or du sens inconnu
Tu vas traverser le brouillard des bruits
Naître dans la vague et la voix
Et trouver au loin ton nom
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Déroule le chant qui emporte le son et me nomme
Dévide le son qui t’écoute et m’écoute
Tends le bras vers l’épaule encore sans nom
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Trouve appui au fond des eaux
Au fond de ton torse
Donne le coup de talon qui t’élance à la surface
Qui lance le son
Marche sur l’eau
Frappe en rythme la peau
Danse sur l’eau
Roule sur la peau d’une île à l’autre
Chaque île est un pas que tu danses
Chaque colline un pas qui te remue
Chaque vallée un pas qui t’exclame
Chaque vent un pas qui rebondit sur ta peau
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Regarde le ciel se courber vers l’étranger
aux longues phrases
Observe le sens qui chemine entre deux torses
Vois ce que mes mains voient dans la nuit
Guette l’étranger, sa parole est d’or
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Lève le voile sur la mer écarlate
Lève les yeux sur l’émigrant qui nage à ta rencontre
Lève la lampe sur le monde déchiré qui se cache
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Dis ce que tu vois
L’horizon t’embrasse
Ecoute ce que tu regardes
.
Un pollen d’or brûle devant toi
Tu marches à travers le feu des images sans périr
Mais en naissant à la parole dure qui les jette
sur les bas-côtés
Plisse les yeux, les dieux lointains t’enfantent
Ouvre les yeux sur le ciel orphelin
Lève les yeux sur la montagne future
.
L’image et la parole te regardent
Et te mettent au monde
Ainsi se croisent les regards
Fers croisés à vif
Sur des champs de bataille sans vainqueur
Fers et reflets de fer
Par qui le corps bataille avec la parole
Et la parole avec l’ombre
Or l’ombre n’a pas de son
N’a pas d’écho
N’a pas de nom clair
L’ombre assoiffée supplie la parole de venir
L’ombre aveuglée supplie la parole d’éclairer le monde
La parole qui regarde, yeux grand ouverts,
au coeur de l’ombre.
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Version italienne du poète Francesco Marotta
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Parlare mi radica in capo al mondo
Parlare ti radica nel mio corpo
Parlare si radica nel lontano
Il corpo nel profondo respira all’orizzonte
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Parlare insemina.
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Chi ascolta chi ?
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Hai attraversato la notte poi la paura poi la notte
Api nere nascono sotto i tuoi passi
Sillabe straniere, api
E scorre il miele di un senso nuovo
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Secerni il filo del lungo viaggio
Dipana il racconto senza frontiere
Tendi il filo d’oro del senso sconosciuto
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Attraverserai la nebbia dei rumori
Nascerai nell’onda e nella voce
E troverai il tuo nome nella lontananza
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Sciogli il canto che diffonde il suono e mi dà nome
Dipana il suono che ti ascolta e mi ascolta
Tendi il braccio verso la spalla ancora senza nome
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Appoggiati al fondo delle acque
Al fondo del tuo petto
Datti la spinta che ti proietta in superficie
Che slancia il suono
Cammina sull’acqua
Batti ritmicamente la pelle
Danza sull’acqua
Rotola sulla pelle da un’isola all’altra
Ogni isola è un passo della tua danza
Ogni collina un passo che ti spinge
Ogni valle un passo che ti brama
Ogni vento un passo che rimbalza sulla tua pelle.
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Guarda il cielo che si curva verso lo straniero
dalle lunghe frasi
Osserva il senso che s’avanza tra due corpi
Vedi quello che le mie mani vedono nella notte
Scruta lo straniero, la sua parola è d’oro
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Solleva il velo sul mare scarlatto
Alza gli occhi sul migrante che nuota verso te
Alza il lume sul mondo lacerato che si nasconde
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Dì quello che vedi
L’orizzonte ti abbraccia
Ascolta quello che osservi
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Un polline d’oro arde davanti a te
Cammini attraverso il fuoco delle immagini senza morire
Ma nascendo alla parola ferma che le getta
ai bordi delle strade
Socchiudi gli occhi, divinità remote ti generano
Apri gli occhi sul cielo orfano
Alza gli occhi sulla montagna futura
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L’immagine e la parola ti guardano
E ti mettono al mondo
Così s’incontrano gli sguardi
Lame vive che s’incrociano
Su campi di battaglia senza vincitore
Lame e riflessi di lama
Con cui il corpo combatte con la parola
E la parola con l’ombra
Ma l’ombra non ha suono
Non ha eco
Non ha un nome chiaro
L’ombra assetata supplica la parola di venire
L’ombra accecata supplica la parola di rischiarare il mondo
La parola che guarda, a occhi spalancati,
nel cuore dell’ombra
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Yves Bergeret
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Lecture, avec Mariam Partskhaladze
chez Chloé, au Savon de chez NOU,
13 rue du Viaduc, 26150 Die
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samedi 2 avril 2022, de 10 heures à 12 heures
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à l’occasion des Journées européennes des Métiers d’art,
dans le cadre de l’exposition de Mariam Partskhaladze, feutrière dentellière,
avec entre autres deux bannières (env. 130 cm de haut par 45)
qu’elle a feutrées en y incluant deux aphorismes
d’Yves Bergeret calligraphiés par lui à l’encre végétale
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lecture d’Yves Bergeret
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Sur ce blog on lit cet article sur le magnifique atelier de Mariam : https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2019/04/17/dans-latelier-de-mariam-partskhaladze-creatrice-textile-a-die/
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Sur LE TRAIT QUI NOMME, mail (à YB) de Sandrine Péricart, du 17 mars 2022
Le Trait qui Nomme :
Oui, ce livre est fondamental ; il suit votre propre avancée non rectiligne dans l’univers animiste de Koyo ; il éclaire les choix créatifs qui s’imposent à vous tous à travers cette aventure humaine ; il propose quelques repères d’un « cheminement » à travers votre « évolution » de créateur, et définit même admirablement le projet de Carène. (Guillemets car il y aurait à dire sur ces notions, à mon avis). Et je ne parle pas de sa richesse, de tout ordre.
Il y a toujours un surplus de sens à Koyo. Plus que ce que l’on accepte de dire, plus que la beauté qui se voit, plus que l’amitié qui se sent. Un monde plus plein, à portée de pinceaux, de mots, de chants. Koyo est un espace digne d’une utopie non seulement par les valeurs que portent les hommes et les femmes, mais par la place que chaque groupe y occupe : une Cité dont le poète n’aurait pas été banni, bien au contraire, puisque son rôle serait (avec les peintres) de convoquer et même d’accroître la réalité y compris dans sa dimension cachée, de manière toujours conforme à la morale et à la vérité, et que tout le monde le respecterait pour cela, l’aimerait pour cela.
Je n’avais pas assez bien vu je crois, lors de ma première lecture en novembre, à quel point certains moments vécus sont beaux, bouleversants, humainement « pleins » – vous les racontez avec beaucoup de retenue. Lorsque vous comprenez que les femmes qui chantent « vous » chantent, puis, chantent avec vos mots ; votre prénom donné à un petit garçon ; l’accueil qui vous est fait avec les lycéens, solennel et plein de sens, de sens rituel sans doute mais aussi de sens humain (ça se dit ? Je veux dire, justement, ce qui nous unit au delà des variations culturelles), etc… Évidemment je ne parle pas de « gloire », n’est-ce pas, ce n’est pas mon propos : je parle de ces moments où l’on constate que oui, quelque chose s’est fait, s’est noué, s’est vraiment réalisé entre deux manières d’être au monde différentes.
Aussi, voici une des questions que me pose le Trait qui nomme 21:
Comment maintenir la continuité de la pensée de soi, à travers le jour et la nuit, la veille et le sommeil, le familier et l’étranger, le voyage, l’image en kaléidoscope que nous renvoient les autres, le temps qui passe, la faillite de la mémoire et la mort de ceux qui la portent ?
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Question d’ordre ontologique (dans le sens que cela concerne le fait d’exister, de grandir, de vieillir), poétique (disons que la poésie peut donner des éléments de réponse ou bien des espaces de questionnement d’une extrême justesse, concernant l’homme) et non psychologique.
Sandrine Péricart
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Héros et héroïnes de notre temps – 属于我们时代的女英雄和男英雄
Poème créé et calligraphié à Veynes à l’encre de Chine et gouache sur quatre diptyques Canson 224 g de format déplié 24 cm par 32 le 19 novembre 2021.
L’héroïsme n’est sûrement plus dans l’action solitaire de quelque haute « figure », close dans son étincelant mystère, voire dans un délire mortifère, et bousculant, depuis l’avant-scène médiatique européenne, toutes les autres personnes ; cette « figure », devenue datée et douteuse, voudrait que les autres personnes soient ignorantes, muettes et infantilisées.
Au contraire, qui mérite d’être à présent dit héros ou héroïne écoute, dialogue, transmet, ne tranche pas mais ouvre sans fin la parole, accueille sans fin l’étranger ; sans jamais velléité de posséder, dominer, asservir, conquérir.
Ont traduit ensemble ce poème et l’ont ensemble publié Francesco Marotta en italien, Stefanie Golish en allemand, Massimiliano Damaggio en portugais et Evangelia Polymou en grec.
Ce poème en cinq langues européennes se lit ci-dessous et aussi là : https://rebstein.wordpress.com/2021/12/27/al-vaglio-della-speranza/
A ces quatre traducteurs européens vient de se joindre, depuis la Chine, le traducteur Zhang Bo. Sa traduction se lit ci-dessous.
Hommage soit rendu à la libre et héroïque humanité d’eux cinq.
YB
Elle remonte les pierres de la maison brûlée.
Les poutres neuves de la charpente, elle sait les trouver
dans le bruit de verre pilé du vent du soir.
Elle le passe au tamis de l’espoir :
alors splendide devient le vent. Et le toit.
Elle nous offre le gîte et le couvert
puis, sans finir la phrase, s’écarte.
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她攀上被烧毁的房屋残存的砖块。
屋架的新梁,她知道
可以在晚风中碎玻璃的响声中寻觅。
她把风滤过希望之筛:
于是风变得壮丽。以及屋顶。
她为我们提供食宿
然后,没有把句子完成,便转身走远。
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Lui, ses poignets sont plus larges que ses genoux.
Il est naïf, les fayards qu’il abat lui pardonnent chaque fois.
Les marches de l’escalier qu’il élève sont trop hautes.
C’est quand même ce qui nous permet de grimper,
chargés de ballots de linge un peu jauni,
de caisses de livres cornés tant ils sont lus.
Lui s’essouffle avec nous, derrière dans l’escalier
mais rehaussant le récit vers plus de verdeur et de cœur.
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他,他的手腕比膝盖更宽。
他天真烂漫,他砍倒的山毛榉每次都把他原谅。
他建造的楼梯台阶太高。
但这仍旧是让我们得以攀爬之物,
装着几包有点发黄的内衣,
几箱翻阅后折页的书籍。
他和我们一起在楼梯后面气喘吁吁
但却再次抬高叙述,朝向更多的绿意与心灵。
*
Cet autre homme invite à s’asseoir avec lui
dans la grange au pied de la falaise lisse.
Il nous sert le café puis se lève et écarte
à droite et à gauche les immenses rideaux gris.
Le voilà si léger qu’à l’unisson de lui la falaise s’évapore.
Vaste comme ses épaules est la scène de théâtre,
et ouverte, vacante, vide, heureuse,
où reprendre, en moins sanglante, l’histoire au début.
Il trébuche dans la coulisse,
n’arrive plus à entrer en scène, avale les mots.
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另一个男人想要和他坐在一起
在陡峭悬崖脚下的谷仓里。
他给我们端上咖啡,然后起身
分开左右巨大的灰色窗帘。
如此轻柔,以至于和他达成一致时,悬崖消散。
像他双肩一样宽阔的,是戏剧舞台,
开放的,闲置的,空旷的,幸福的,
在那里让故事重新回到开头,却不再那么血腥。
他在幕后蹒跚行走,
再也没有走上舞台,吞咽词语。
*
Ayant entendu l’héroïne et les deux héros
qui l’ont très bien entendue,
la montagne se hausse un peu, donne sa lueur dorée
puis tire sur elle la longue neige noire de la nuit,
vallon à vallon, puis s’éteint
et s’accomplit dans l’oreille du monde
qui est aussi celle de toi qui tamises le vent,
et de toi, aux larges poignets,
et de toi qui délies l’humaine transmission
comme joue un lit de galets sous de très jeunes pas.
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听完女英雄的话,两位男英雄
都完全领会了,
山抬高了一点,献出她金色的光芒
然后把夜晚漫长的黑雪盖在身上,
一片山谷接着一片山谷,然后熄灭
并在世界之耳中彻底完成
这只耳朵同样属于筛风的你
属于宽腕的你
属于免于在人间传播的你
就像一河床卵石在无比年轻的步履下玩耍。
*
Eroine ed eroi del nostro tempo
*
Lei risolleva le pietre della casa bruciata.
Sa come ritrovare le travi intatte della struttura
nel rumore di vetro franto del vento della sera.
Lo passa al vaglio della speranza:
allora splendente diventa il vento. E il tetto.
Ci offre del cibo e un riparo
e poi, senza finire la frase, si allontana.
*
Lui ha polsi più larghi delle sue ginocchia.
E’ umile, i faggi che abbatte lo perdonano ogni volta.
Troppo alti i gradini della scalinata che costruisce.
Ci permettono comunque di salire,
carichi di pacchi di indumenti un po’ invecchiati,
di casse di libri spiegazzati per le tante letture.
Ansima, con noi dietro, sulla scalinata
ma aggiunge al racconto ancora più verde e più cuore.
*
Un altro uomo ci invita a sedere insieme
nel fienile ai piedi della piatta falesia.
Ci serve il caffè, poi si alza e tira
a destra e a sinistra gli enormi teloni grigi.
Così lievemente che la falesia svanisce all’unisono con lui.
Ampio come le sue spalle è il palco teatrale,
aperto, libero, sgombro, adatto
a ricominciare la storia dall’inizio, meno cruenta.
Lui inciampa tra le quinte,
non riesce più a entrare in scena, biascica le parole.
*
Avendo sentito l’eroina e i due eroi
che l’hanno intesa molto bene,
la montagna si leva appena, sparge il suo bagliore d’oro
e poi si copre con la lunga neve nera della notte,
valle dopo valle, infine si spegne
e s’invera nell’orecchio del mondo
che appartiene anche a te che setacci il vento,
e a te che hai larghi i polsi,
e a te che trasmetti l’umana vicenda
come un letto di ciottoli il suono di giovanissimi passi.
Traduction de Francesco Marotta.
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Heldinnen und Helden unserer Zeit
*
Sie setzt die Steine des verbrannten Hauses wieder zusammen.
Die neuen Balken des Dachstuhls, sie weiss, wo sie zu finden sind
in den Geräuschen des im Abendwind zersplitterten Glases.
Sie übergibt sie dem Sieb der Hoffnung:
und der Wind beginnt zu leuchten. Und das Dach.
Sie schenkt uns Essen und Obdach,
dann, ohne den Satz zu beenden, zieht sie ihrer Wege.
*
Er, seine Handgelenke sind breiter als seine Knie.
Er ist rein, die Buchen, die er fällt, vergeben ihm jedes Mal.
Die Stufen der Treppe, die er baut sind zu hoch.
Und dennoch, trotz der vergilbten Stoffballen,
der Kisten voller Bücher mit Eselsohren vom vielen Lesen,
können wir auf ihnen hinaufsteigen.
Gemeinsam mit uns keucht er auf der Treppe,
während er der Erzählung mehr Grün, mehr Herz verleiht.
*
Dieser andere Mann lädte in, sich zu ihm zu setzen,
in einem Heuschober, zu Füßen der geschärften Sichel.
Er bringt uns Kaffee, dann steht er auf und zieht
die riesigen grauen Vorhänge nach rechts auf.
Da ist er, so leicht, dass die Felswand gemeinsam mit ihm verschwindet.
Breit wie seine Schultern, offen, frei, leer, glücklich,
ist die Theaterbühne, auf der die ganze Geschichte,
weniger blutig, von vorn beginnt.
Er stolpert in den Kulissen, es gelingt ihm nicht,
die Bühne zu betreten, er verschluckt die Wörter.
*
Nun haben wir die Heldin und die beiden Helden,
die begriffen haben, worum es geht, gehört, und
der Berg öffnet sich einen Spalt breit für das goldene Licht,
darüber legt sich, Tal um Tal,
der lange schwarze Schnee der Nacht
und wenn es erlischt und sich in den Ohren der Welt erfüllt,
dann gehört es auch dir, die den Wind siebt,
und dir, Mann mit den breiten Handgelenken,
und dir, der du von Menschenschicksalen erzählst
so wie ein Bett aus Kieselsteinen mit sehr jungen Schritten spielt.
Traduction de Stefanie Golisch.
*
Heroínas e heróis do nosso tempo
*
Ela levanta as pedras da casa queimada.
E sabe as novas vigas da estrutura
como encontrá-las, no som de vidro
estilhaçado do vento
na tarde.
E o passa pelo crivo da esperança: e então
o vento brilha. E o telhado.
Nos oferece comida e abrigo, e assim
sem terminar a frase
vai-se embora.
*
Ele tem pulsos mais largos que os joelhos.
É um puro, e sempre o perdoam as faias que corta.
Os degraus da escada que constrói
são altos demais. Mas
nos permitem subir carregando embrulhos
de roupas um pouco velhas, caixotes
de livros amassados pelas muitas leituras.
Ofegante, e nós atrás dele, na escada
mas acrescenta à história mais verde ainda
e mais coração.
*
Outro homem nos convida para sentarmos juntos
com ele no celeiro
ao pé da falésia lisa. Nos serve o café
depois levanta e mexe à direita e à esquerda
as cinzentas lonas, desmedidas. De tão leve
que a falésia desaparece em uníssono com ele.
Vasto quanto seus ombros é o palco teatral,
aberto, livre, vazio, feliz,
onde retomar, e menos sangrenta, a história
desde o início.
Ele tropeça nos bastidores e não pode mais
entrar em cena, e suas mesmas palavras
come.
*
Tendo ouvido a heroína e os dois heróis
que a ouviram muito bem,
a montanha levanta-se um pouco, oferece seu brilho dourado
e depois pousa sobre ela a longa neve negra da noite,
de vale em vale, apaga-se
e se cumpre no ouvido do mundo
que é o seu também, de você que peneira o vento,
e de você com pulsos largos,
e de você que desamarra a humana transmissão
assim como, debaixo de muito jovens passos
uma cama de seixos
soa.
Traduction de Massimiliano Damaggio
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Ηρωίδες και ήρωες της εποχής μας
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Αυτή αρμολογεί τις πέτρες του καμένου σπιτιού.
Τα καινούργια δοκάρια για τη σκεπή ξέρει πώς να τα βρει
μες στον ορυμαγδό των σπασμένων γυαλιών του βραδινού ανέμου.
Το περνάει μέσ’ απ’ το φίλτρο της ελπίδας:
τότε φεγγοβολά ο άνεμος. Και η στέγη.
Μας προσφέρει τροφή και καταφύγιο κι ύστερα,
αφήνοντας τη φράση της ατελείωτη, απομακρύνεται.
*
Αυτός έχει τους καρπούς φαρδύτερους κι απ’ τα γόνατά του.
Είναι άκακος, οι οξιές που κόβει πάντα τον συγχωρούν.
Τα σκαλοπάτια της σκαλωσιάς που φτιάχνει είναι πανύψηλα.
Μας επιτρέπουν όμως να σκαρφαλώνουμε,
φορτωμένοι μπόγους με ρούχα κάπως παλιοκαιρινά
και κούτες με βιβλία λιωμένα απ’ τις τόσες αναγνώσεις.
Αγκομαχά, πίσω μας, πάνω στη σκαλωσιά
βάζει όμως στον μύθο παραπάνω πράσινο και πρόσθετη καρδιά.
*
Ένας άλλος άντρας μάς καλεί να καθίσουμε μαζί του
στον αχυρώνα των πρανών ενός λείου βράχου.
Μας σερβίρει καφέ, μετά σηκώνεται και μετακινεί
δεξιά κι αριστερά τις τεράστιες γκρι αυλαίες. Να τος, τόσο
ανάλαφρος που κι ο βράχος εξανεμίζεται μόλις συντονιστεί μαζί του.
Τεράστιο όσο κι οι πλάτες του είναι το παλκοσένικο,
ανοιχτό, ελεύθερο, αδειανό, πρόθυμο
να ξαναπιάσει, λιγότερο αιματηρή, την ιστορία απ’ την αρχή.
Σκοντάφτει στα παρασκήνια,
δεν προλαβαίνει πια να μπει στη σκηνή, μπερδεύει τα λόγια του.
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Έχοντας ακούσει την ηρωίδα και τους δυο ήρωες
που αφουγκράστηκαν καλά το βουνό,
αυτό ανασηκώνεται λιγάκι, ραντίζειτη χρυσαφένια του λάμψη
κι ύστερ’ απλώνει απάνω του το μακρύ μαύρο χιόνι της νύχτας,
τη μια κοιλάδα μετά την άλλη, τελικά σβήνει
και κλείνεταιμες στο αυτί του κόσμου
που είναι το ίδιο με το δικό σου, εσένα που κοσκινίζεις τον άνεμο
κι εσένα που έχεις φαρδιούς τους καρπούς,
κι εσένα που αναμεταδίδεις τ’ανθρώπινο δράμα
όπως μια στρώση χαλικιών τους ήχους νεανικών βημάτων.
Traduction d’Evangelia Polymou
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Hommage à l’Ukraine, avec Maïté Tanguy
« Oui, c’est un hommage à l’Ukraine !
Un jardin de la mer avec les fils de filet de pêche qui ont vécu, qui ont été déchirés dans leur âme ! Ils renaissent, ils renaissent dans le tissage ! »
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Maïté Tanguy
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Tissage du 1er mars 2022, format 16 cm de large sur 21 de haut plus les franges = 29 cm
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Ce qu’est « L’arête Puiseux », mail du 1 mars 2022 à Francesco Marotta
Le poème L’arête Puiseux : L’arête Puiseux | Carnet de la langue-espace (wordpress.com)
et la traduction splendide de Francesco Marotta, du 2 mars 2022 : https://rebstein.wordpress.com/2022/03/01/punta-puiseux/
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Et cette prose-ci est traduite, elle aussi et de manière très dynamique, par le poète Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2022/03/02/nota-dellautore-su-il-crinale-puiseux/
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Cher Francesco,
j’avais sans doute 18 ans, sûrement pas plus de 20 ans. J’étais ce jeune alpiniste complètement sauvage et, je m’en rends compte maintenant, prenant des risques énormes dans des entreprises alpines particulièrement audacieuses. Ma famille était un désastre, par ailleurs sans aucun patrimoine. Je faisais tout pour partir en montagne, seul, depuis toujours me semble-t-il. Ce sont les jeunes grimpeurs, de très haut niveau, que je rencontre depuis quelques années, qui me montrent l’audace assez folle de ce que je faisais, je ne m’en étais jamais rendu compte : encore un jeune couple, de la trentaine je crois, que j’ai longuement rencontré à Luc en Diois samedi dernier.
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Donc vers 18 ans j’ai trouvé un « topo de voie d’alpinisme » décrivant l’arête nord de la pointe Puiseux, au Pelvoux, dans le massif des Ecrins, près de Briançon. Mon esprit s’est cristallisé sur cet itinéraire ; j’en étais sans doute capable. Mais cette fois il fallait un second de cordée. Là j’ai été stupide et tout à fait naïf : j’avais un camarade de classe qui était d’origine savoyarde, donc, ai-je cru, alpiniste. Je l’ai convaincu de faire cordée avec moi pour grimper cette arête nord.
J’ai eu un doute, d’abord je l’ai donc emmené dans une voie de difficulté moyenne, dans les Ecrins, mais assez longue : dès le premier tiers il a eu tellement peur qu’il s’est effondré et j’ai dû l’aider à tout redescendre, et avec très grands efforts. Il a définitivement renoncé. Plus tard il est devenu un homme de l’institution académique, un homme très conservateur et un poète catholique reconnu par les gens de ce monde là : un poète en chambre et, je peux te le dire, un lâche dans la vie.
Donc pas d’arête nord de la pointe Puiseux, mais j’y pense parfois. Soudain, pour une raison que je dirai probablement cet été, elle m’est revenue extrêmement présente ces jours derniers à Briançon.
(ceci dit, j’ai fait, jeune, d’autres très grandes voies au moins de cette difficulté ; et ce que je faisais avec les poseurs de signes de la montagne de Koyo, dans un style rocheux évidemment différent, demandait autant d’audace et d’ « engagement » comme disent les alpinistes).
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Représente-toi un très gros contrefort d’abord en rocher peu solide, qui naît d’un glacier très sauvage vers 2500 mètres d’altitude, puis l’arête elle-même se dégage très raide avec le vide quasi vertical à gauche et à droite de son fil, et arrivant au sommet de la pointe Puiseux du Pelvoux à 4000 mètres quasiment. Côté nord, donc assez peu de soleil, avec des passages en glace et en neige, et si une intempérie arrive c’est immédiatement verglacé voire couvert de neige fraîche et devient vraiment extrême ; mais dans les Alpes il faut savoir lire le ciel aussi, qui est très changeant.
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Représente-toi aussi que l’alpinisme est plus sauvage et finalement plus difficile dans les Ecrins qu’à Chamonix, car le rocher est moins solide et les montagnes sont plus massives, plus larges avec beaucoup de difficultés de repérage et de lisibilité pour trouver son itinéraire.
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Alors le titre de ce poème, pour moi, ne peut être Pointe Puiseux, car cela indique un sommet où s’asseoir pour contempler un paysage, voire pour (ce qui est pire et renvoie au puritanisme anglo-saxon qui imprègne encore fortement l’alpinisme) le « dominer ». Parcours de l’arête nord de la pointe Puiseux serait beaucoup trop long et assez descriptif ; c’est pourquoi j’ai choisi L’arête Puiseux, car cette formule désigne le mouvement d’ascension tout du long de ce très grand dénivelé.
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Cette voie d’alpinisme n’est pas très connue ; mais elle est quand même presque mythique. Allez, il y a du mythe un peu banal là-dedans, ce « jardin de légendes » du vieux classicisme grec ; mais déjà à mes 18 ans cette mythologie me paraissait un peu frêle ; sauf le mythe de Prométhée ; je relis encore maintenant très souvent le Prométhée enchaîné d’Eschyle et admire le héros archaïque à la parole claire, puissante (son extraordinaire première longue strophe quasiment au début de la tragédie), ce héros révolté ( la récupération christique qu’on fait parfois de lui me paraît une fourberie honteuse) qui donne feu, science, astronomie, etc… aux hommes que les dieux au contraire voulaient punir.
Mais finalement le dépouillement du jeune grimpeur qui monte sur cette arête (le poids du sac à dos est un obstacle majeur, donc quasiment rien dedans, à peine de la nourriture pour deux jours, un peu d’eau, un ou deux vêtements de secours, tout le matériel technique d’escalade étant en bandoulière autour du torse…), le dépouillement psychique surtout car la concentration doit être totale, et la volonté de même, ce dépouillement fait que l’on est entièrement geste sur la pierre et avec la pierre, souffle, poumon, yeux, mains touchant le rocher ou la glace… eh bien, laissons tomber bien évidemment les vieux accessoires des héroïsmes mythologiques antiques, oublions même Prométhée car nous sommes un jeune et nouveau Prométhée hors tout châtiment. Nous sommes la respiration du lieu vertical, nous sommes quelque chose de la montagne, nous sommes ce qui va. Animisme total. Animisme du mouvement. Nous sommes dans la même genèse que la surrection des Alpes. Ce que nous éprouvons alors c’est un bonheur d’aube du monde et de la personne. Le corps est léger. Le diseur n’a qu’à dire en écoutant le rythme du mouvement de l’ensemble. (cantastorie, cantore va très bien).
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Mais je pense que le poème doit se terminer sur le vers du bonheur actif qui construit la personne disante-grimpante et le monde, et non pas sur la métaphore (assez réelle d’ailleurs, on s’écorche beaucoup les mains en grimpant ce type de voie) des christiques mains en sang.
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Yves Bergeret
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