Torrent 激流
poème en dix brèves strophes écrit par Yves Bergeret le lundi 27 mars 2017 sur la rive du Bez à Chatillon en Diois, calligraphié avec collages, lavis et acrylique en deux exemplaires à Die jusqu’au 3 avril 2017 sur livret allemand de 16 cm de haut par 20 ;
ici traduit en chinois par Zhang Bo, poète de Nankin.
1
Le torrent court lâcher à la mer
la pesanteur,
lâcher son talent à désastres par tonnes.
激流奔涌着朝向大海
松开世界的重量,
朝向成吨的灾难松开它的禀赋。
2
Le torrent ronge l’humus grenu de ses rives.
Les racines dénudées ballottent
dans le vide pour rien :
le torrent n’est pas la sève ordinaire.
激流侵蚀它两岸颗粒状的土壤。
裸露的树根在虚空中
无目的地摇晃:
激流绝非庸常的树液。
3
Le torrent tonitrue.
Des galets du fond roulent gris,
clament brassent.
Bourdon de quoi ?
激流在雷鸣。
河底的灰卵石滚动,
叫喊,翻搅。
这是何物的低鸣?
4
Le torrent est mon témoin immature
sans tendresse.
激流是我尚未成熟的见证者
毫不温柔。
5
Sur un bloc de sa rive chaude
je grimpe comme je peux
pour prendre à deux mains le bas de son lit
et le relever tout en haut.
Bien sûr l’eau dégringole à rebours.
在它滚烫河岸的一块岩石上
我尽我所能地攀爬
去用双手抓住它河床的下摆
并将其抬向高处。
必然流水向源头冲下。
6
L’eau qui file à rebours
est la retraite du grand sarcasme,
l’avalanche sans deuil.
流水向着源头疾行
使它远离巨大的讥讽,
未引发丧事的山崩。
7
Le ciel dépêche des trains de nuages très gris
pour colmater
pour épuiser le sarcasme
pour traquer l’hémorragie.
天空急调极灰的层云
去封堵
去耗尽讥讽
去围捕出血之处。
8
Les nuages froncent, vont rire.
Les nuages acclament
que j’aie renversé le lit.
云层皱起,它即将发笑。
云层喝彩
当我曾欲翻转河床。
9
Les nuages remettront la montagne
dans le trou de la source.
云层将把山峦送回
源泉的洞穴中。
10
La montagne sera
lisse ou plate
et bleue.
山峦将
光滑或平坦
但却蔚蓝。
*****
***
*
*
Marées
Poème en deux quadriptyques verticaux d’Yves Bergeret (©ADAGP), créés à Cabourg et à Paris, du 8 au 14 février 2016, sur papier Canson 224 g format 65 cm x 25, avec encre, collages et peinture acrylique.
*
1
Le ciel pose son dos sur le sable.
La mer se pousse pour lui.
A cette heure-là on ne part pas pêcher.
Le ciel respire à fond.
La terre s’écarte sur les deux côtés.
A cette heure-là on dépossède la parole.
*
2
Le ciel remonte dans le ciel.
La mer revient lécher la rive
et ce n’est pas tendresse
mais mise harassante à l’épreuve.
Le ciel s’organise en dépit de lui-même.
La mer est la force stupide.
On la divinise,
la parole s’infantilise
sauf si elle est réplique et chœur,
ce pour quoi vivent les vagues.
*
*****
***
*
L’Homme-onde, avec Dembo Guindo, juillet 2016
Sur un tout petit carnet de 8 cm de haut sur 7,5
préparé en août 2009 avec des dessins à l’encre de Chine et au piquant de porc-épic par Dembo Guindo – avec qui travaillait le poète – cultivateur du village Toro Nomu ( la plus orientale des neuf ethnies dogon ) de Koyo, au nord du Mali,
cycle de dix-sept aphorismes écrits et peints en deux exemplaires le 5 juillet 2016 à Die par Yves Bergeret
Comme Belco, Dembo est également « zumgun », chanteur des rites secrets de grand passage pour la circoncision et l’enterrement.
Oiseau, son, bond,
va l’homme-onde.
*
Le sombre recule,
la mort recule
dans le chant de l’homme-onde.
*
Les points cardinaux
éprouvent aussi un sentiment
de liberté.
*
L’homme-onde sait coucher
sur le flanc une montagne.
Il devient sa grotte préférée.
*
L’axe de la montagne
vibre.
L’homme-onde est sa vrille.
*
De la graine vrillant sa route
vers l’air libre
l’homme-onde apprend
enseigne le rire lumineux.
*
L’archipel dans l’infini de l’eau salée
remercie l’homme-onde
d’être parti à temps, avant la guerre.
Avant l’eau et le sel.
*
Maigres chevilles,
fines attaches,
muscles puissants,
l’homme-onde sait par cœur
l’épopée des falaises.
*
Ni cave ni cour ni dédale,
l’homme-onde se choisit la crête
pour vivre. Il est un noyau rouge
de datte, au bord du vide preux.
*
Il chante,
il est chanté,
il reprend souffle
dans le chant sans début ni fin.
Il mourra dans un bond sans chute.
*
De toute semence
par toute semence
depuis toute semence
il prend le large
et le rend.
*
L’homme-onde
dilate la pupille du monde :
éblouissante beauté.
*
Le théâtre est la montagne
qui se penche en fleur enivrante.
L’homme-onde est son parfum.
*
Puis la montagne dilate sa pupille
et emprunte le pas de danse
de l’homme-onde.
*
« La montagne est ma maison
d’air sonore et de vent minéral.
Du nid de graines de son cœur
à chaque chant je renais,
une hache à la main gauche. »
*
L’eau et le chant
n’ont ni début ni fin ;
la vie choisit le damier
qui est le corps noir et noir
de l’homme-onde.
*
L’homme-onde pose sa tête
sur le ventre de la montagne
et s’enroule dans son sommeil.
*
L’Homme de pierres, avec Belco Guindo, juillet 2016
Sur un tout petit carnet de 8 cm de haut sur 7,5
préparé en août 2009 avec des dessins à l’encre de Chine et au piquant de porc-épic par Belco Guindo – avec qui travaillait le poète – cultivateur du village Toro Nomu ( la plus orientale des neuf ethnies dogon ) de Koyo, au nord du Mali,
cycle de dix-huit aphorismes écrits et peints en deux exemplaires le 3 juillet 2016
par Yves Bergeret au bord du torrent de la Sure où le poète préparait l’acrylique jaune et l’encre de Chine, dans la vallée de Quint, près de Die. Belco est également « zumgun », chanteur des rites secrets de grand passage pour la circoncision et l’enterrement.
Coriace, rieur, constant
va l’homme des pierres.
*
Merle au buis
chante au galet
roulant au remous :
l’homme aux pierres
est fils du merle.
*
Il nous faut un troisième galet
après celui du mariage ;
le second doit faire l’hostie.
*
Torse ou falaise,
falaise ou clavicule des ancêtres.
Fort bien. L’alternance
inquiète qui ?
*
« Tout est affaire d’échelle :
la charpente, le chant alterné,
la pluie suffisante,
la cigale endiablée. »
*
« Un vent soulève la montagne.
Si elle m’aime je lui serai un étai
immémorial. »
*
Entre les falaises du lit du torrent
le vent me faufile avec éclat
une généalogie d’ivoire.
*
L’homme des pierres
danse sur le chant des cigales
un contrejour bouleversant.
*
Aller et retour
le vent reprend souffle
par appui sur le sternum
de l’homme des pierres
dont une va manquer.
*
D’une cage
l’homme de pierres fait nuage
puis pleure en secret.
*
Sacrifier
engage la hyène aussi
et abaisse le gué.
*
« J’appelle l’horizon dans la fissure ;
et dans l’horizon, ma propre part inconnue. »
*
Sacrifier
fait descendre la moitié chevaleresque de la montagne
dans la caverne de l’autre moitié.
*
Galet en haut de montagne
puis dans le cœur :
la vie ne se délite plus.
*
Troisième galet,
sang coagulé,
le sacrifice relève le ciel.
*
Ici l’homme de pierres refranchit le gué
et libère le chant secret du merle.
Puis devient martinet.
*
Un galet final ?
Allons donc !
Comme si l’eau ne savait plus rien
ni trouver chemin entre les pierres.
*
Coriace, rieur, constant
l’homme de pierres
donne au martinet
son cri de joie.
*
L’Homme de sable, avec Yacouba Tamboura, juillet 2016
Sur un tout petit carnet de 8 cm de haut sur 7,5
préparé en août 2009 avec des dessins à l’encre de Chine et au piquant de porc-épic par Yacouba Tamboura – avec qui travaillait le poète – tisserand et captif de Peul du village de Nissanata (voisin de Soumaïla Goco), au nord du Mali,
cycle de vingt aphorismes écrits et peints en deux exemplaires le 2 juillet 2016
par Yves Bergeret au bord du torrent de Châtillon en Diois, où le poète trempait le pinceau imbibé d’un peu d’encre de Chine.
Désuni, uni
va l’homme de sable.
*
Une maison…
quelle importance ?
*
L’arbre suspend à ses branches
les maisons,
comme de vieux manteaux.
*
Au milieu du gué, oui,
c’est là que le jour se lève.
*
Cheville fêlée
sautille l’homme mâle,
ne sautille pas son cœur.
*
L’arbre, l’avion,
les ailes, les enfants,
qui vole le plus vite ?
*
Au milieu du gué,
bouche ouverte,
une montagne rêve.
*
Le nuage porte
ma petite lubie
et beaucoup d’attente.
*
Le pied amont rôtit tout seul.
Le pied aval reste cru.
*
Au funèbre oiseau sans aile
hutte d’esclave se renverse.
*
Au milieu du gué
j’appelle d’autres rives invisibles.
*
Dans une nuée
c’est une maison qui répond,
pardon, une montagne surpeuplée.
*
Qui porte la montagne à la fontaine.
La repentance ?
Le voleur charitable ?
*
Volcan repenti
sac couard
sans lacet
course impossible
*
Au milieu du gué
mâchoires claquent au vent,
oreille brille.
*
L’oreille avale
les deux côtés de la lumière.
*
Le troisième côté :
un petit pilier au bout du jour
(vers le gué).
*
Au milieu du gué
j’aurais pu enfin
quitter tout profil.
*
Au ciel de mon lit
une flûte ragaillardie.
Non, un oiseau invisible.
*
Adieu, patte, palme, bec…
est-ce que mon œil suffira ?
*
Rue-regards, rue du Faubourg saint Denis, Paris
Cycle de dix poèmes écrits et peints par Yves Bergeret du 16 au 19 avril 2016 à Paris, rue du faubourg Saint Denis, sur un cahier de 20 cm de haut sur 16 cm de large, avec encre, acrylique et collages
1
Immobile en plein trottoir après la pluie
les mains dans les poches
les pieds écartés
faire viril.
Une flaque de lâcheté brille sous les pieds.
Dans ce miroir ne jamais regarder.
2
Les rides au coin des yeux
pour propulser plus vite plus vite
le regard et sa flèche
vers le parfum aux longs cheveux blonds
qui fuit en face.
3
Avec sa très grosse monture de lunettes
il accommode le monde
à sa leste main. Il le croit.
Aïe, le monde qui se heurte au verrou
ne plonge jamais dans ses yeux.
4
Il laisse marcher son enfant
devant lui dans la foule du trottoir
parmi poubelles , affiches décollées,
lampadaires morts.
Il ne tient plus son fils par la main,
garde les yeux sur ses petites épaules.
Aux épaules le fils n’a pas encore froid.
5
Veste usée à capuche grise
il glisse vers le bas de la rue,
ses yeux si enfoncés, si éteints,
encore si loin dans sa mémoire
que son esprit ne le suit qu’à distance
très grande, et peut-être son corps aussi,
oiseau maigre avant de tenter
une nouvelle migration.
6
Lever les sourcils, cogner
le goudron d’un martial talon
puis de l’autre. Cambrer le bas du dos,
plisser le front. Avoir des yeux gris
et observer par dessus les toits
ricaner le dieu stupide
qui l’abandonna.
7
Et la rue, manchote, que voit-elle ?
Avec ses yeux crevés jamais crevés
avec ses yeux encroûtés de larmes beige
elle perçoit, comme une vache énumérant
l’herbe par brins, ce qui tombe
en pluie bruyante d’entre les dents de la foule
et d’entre les pas pressés des fugueuses ;
elle perçoit et tait ces phrases noires
qui se heurtent violemment
et n’ont jamais de réplique.
8
Rentrer la tête dans les épaules,
coller l’oreille sur le cellulaire
appuyé sur la clavicule,
enrouler les yeux sur le fil
de la conversation avec Marseille,
rectifier la rue puis la couder
dans une poche trouée.
9
Au lieu d’images, de volumes, de lignes,
de couleurs, d’écritures
elle identifie du bout de sa canne blanche
les marées hautes et basses de la rue
et les fuites radicales de son humanité
aux pieds percés.
10
Jetant les yeux à gauche et à droite
et encore trois fois
elle s’apprête à traverser
mais elle est vraiment folle
car on ne sait jamais ce qu’on coupe
dans un fleuve hurlant.
*
*
Vertueuse image
Petit cahier (15 cm x 20,5) créé et peint par Yves Bergeret
à Quimper les 18 & 19 janvier 2016
On peut lire ces brefs et vifs poèmes traduits par Francesco Marotta à cette adresse : https://rebstein.files.wordpress.com/2016/03/yves-bergeret-le-fil-du-rc3a9cit-2015-20161.pdf et là, à la page 109
*
Les mal aimés se réfugient dans les images.
Elles contiennent toujours un bras qui traîne ici ou là
pour suggérer l’enlacement.
*
Avec leurs longues jambes
les images rapprochent la Sicile de la Calabre,
l’amante de l’amant
et la bêtise de la possessivité.
*
Un froid très vif fait fumer la mer.
A la surface de la terre et de la vie
ce qui plane, c’est l’image.
Ou parfois juste par-dessus les paupières.
*
Aux étrangers ne sourions pas trop,
pensent les petits-culs. L’image s’en charge
avec ses dents dorées.
*
Bohême, 1760, feuillet de prière en 8 pages, bois gravé, 10 x 8 cm
Temple hindouiste, plâtre peint, La Réunion, 2014
*
Paravent au bord de l’ivresse de la liberté,
parapet au bord du gouffre,
petit patapon, l’image est fière.
*
A la place de la fluidité
un bonhomme de neige acidulée : l’image.
Feuillet du Cordel, Brésil Nordeste, 2000 , linogravure 16 cm x 12
*
L’image n’a pas de corde vocale.
Elle a certains jambages, peut-être.
De belles syllabes, parfois.
Aïe, le vent est parti sans rien finir…
Porte-offrance caodaï, avec un poème de Li Baï (Chine, 8ème siècle) en vietnamien,
19 x 13 x 4 cm, Vietnam 1920
*
L’image est la première page
du livre de recettes.
Cuisiner est vulgaire.
Manger est animal.
Le réel se vengera.
*
Kourdali, Chypre, fresque murale, 15ème siècle
*
A sa propre image s’intéresse
l’âme du chien fourbe.
Non, l’âme du gardien des secrets.
*
Le rire fuse en tous sens
chez toi comme chez moi.
Ah, déjà une image
qui fait vite la roue.
Nous n’avons pas le temps
de voir le gouffre qui s’ouvre.
*
Bohême, 1735, feuillet de prière en 8 pages, bois gravé, 10 x 8 cm
*
Un puits pour y jeter la lune,
une lune pour boire un rêve,
une image pour prendre le volant
en mourant.
*
Feuillet du Cordel, Brésil Nordeste, 2000 , linogravure 16 cm x 11
*
Une lumière dans la nuit :
la soupe chauffe.
Un bruit prolongé dans la forêt :
l’image gratte pour déterrer
sa propre racine.
*
Je suis monté dans l’image au crépuscule.
Nous avons fait un voyage tragique
sur des rails inégaux
dans le ventre du monde.
*
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