Vacille, cisaille
Yves Bergeret
cycle de neuf poèmes peints et écrits sur diptyques de format A3 en Sicile à Catane du 2 au 6 février 2014 en suivant dans les rues de la ville les énormes processions populaires de la fête votive de Santa Agata
*
diptyque 1, lundi 3 février au soir
Osent traverser
ont traversé des continents et des mers
ceux qui préfèrent remonter toute pente
et dans les scories chercher ondulation
et tremblement entre deux chutes
entre deux nappes noires de total silence
Ondule et tremble la lettre m
puis près d’elle la voyelle a
puis dans les jambages et la boucle
la main du nouveau-né
et trente ans plus tard la jambe de lui,
qui trace sa libération vers le cratère
et la trace me traverse la main et le corps
en leur milieu
*
diptyque 2, le mardi 4 février au matin
Osent traverser continents et mers
ceux qui ouvrent encore plus l’échancrure du vent
et reprennent le bourdonnement qui bat aux parois
et affûtent l’écho et l’écho où l’antipode
tombe sur les genoux des ancêtres,
sur la sèche poitrine des pieux
et l’antipode me jette une lumière étrangère
qui me dépose au milieu d’une phrase d’une beauté sans ombre
*
diptyque 3, le mardi 4 février au matin
Or le grand corps de la montagne
ondule et tremble ce soir, oui, s’y met
et la foule le reprend sur ses épaules
*
diptyque 4, le mardi 4 février au soir
Dix trompettes
pour soulever l’île et desserrer ses lèvres
six cymbales
pour étourdir la mort
et les statues vacillent
dans le suspens d’avant parole
et le ciel dont l’hiver expulse les oiseaux
accepte aux balcons du haut
les étrangers, les enfants de l’antipode
les grands yeux, les grands yeux
*
diptyque 5, le mardi 4 février au soir
Ils sont cinq cents à tirer dans les rues
par une corde de chanvre le grand reliquaire d’argent
et encore cinq cents à tirer par une autre corde
qui puisse faire rouler le monde sur lui-même
et faire fondre la violence
dans le bégaiement de l’antipode
et l’effort des mille replace le volcan
et la nuit elle-même dans le grondement
du rideau de scène qui s’ouvre en deux
*
diptyque 6, le mercredi 5 février au soir
De sa flûte taille dans la foule dure
taille dans le trottoir noir
une portion de ciel
où il tance
l’ironie de toute terre qui perd ses enfants
taille certaines répliques dans le corps bruyant de la ville
taille avec sa petite flûte double
peut-être même une tirade
aux contours de laquelle
l’ironie reconnaît ce qu’elle perdit :
un bracelet de parole et une colline
renversée dans un mythe d’antipode
*
diptyque 7, le jeudi 6 février au soir
Par centaines les petits atlantes
remontent de la mer des flammes par faisceaux
avec des morceaux de douleur
qu’avec des voix de fausset ils crient
vers la bouche du volcan ;
puis ils courent plus haut en chargeant la foule,
portant à l’épaule les larmes de cire
qui s’écrasent au sol pour répondre au volcan muet.
Ils ont cru qu’il parle,
saisissant parfois ce que bégaie en tout sens cette tragédie
de pente, de lave, de piétinement, de foule
*
diptyque 8, le jeudi 6 février au soir
Brouhaha de cuisine,
le sol, les pavés, le trottoir
grésillent à toute volée, jettent
par brassées et grands coups de griffes
l’odeur de la sciure, celle du sable mouillé
celle de la cire tiède, celle du tissu brûlé,
celle de la sueur, celle du grand effort
de tout ce qui monte vers là en pleine nuit
en pleine fumée vers là où
bracelet de parole
parole se dénoua
et laissa le monde
en son milieu
entre deux scènes
*
diptyque 9, le jeudi 6 février
A tout trottoir on brûle viande
à même la braise on saisit le vif
on décharne l’os
ils rempaillent les morts
ils grattent les peaux
ils taillent à cru.
Reflue-t-elle, la parole,
elle regorge, la main,
elle regorge, la couleur,
elle cisaille, la parole, elle cisèle
dans l’ombre hors l’ombre
à l’avant-scène
***
Commentaires récents