Gants à feu
Sur un Leporello chinois à 22 volets au format déplié de 37 cm de haut par 720, voici ce poème calligraphié au pastel, à l’encre de Chine et à l’acrylique à Paris le 25 décembre 2023 ;
le voici également, grâce au poète Francesco Marotta, dans une ferme et claire traduction italienne : https://rebstein.wordpress.com/2024/01/06/guanti-da-fuoco/
.
.
1
.
Les pentes des collines calcaires de Sicile
brûlent : elles sont plus proches du soleil.
Elles adorent s’effondrer sans le dissimuler
en glissant bout par bout,
couche par couche,
.
et bien sûr les matamores mafieux
loin de réfréner les glissements
s’y affairent pour piller les vivants et les morts
en coupant d’abord les phalanges
pour en récupérer les bagues en or.
.
2
.
Partout la vie glisse et va.
Elle est feu. On s’y brûle.
Elle glisse et va.
Sous la mince croûte terrestre, rien que du feu.
Croûte : alluvions, sédiments, strates de cendres chaudes.
Si on incline un peu le tout, il glisse
tel Claps à Luc-en-Diois
et se fracture.
L’art est de garder fémurs et radius intègres plusieurs décennies.
Ensuite on peut décrocher.
Mais d’abord tenir face au feu.
Prendre le feu en main.
Chercher des gants ignifugés.
.
3
.
Voyez la voyante.
Elle a chaussé ses lunettes de radiologue-géologue
et sait parfaitement que le fond de la vie
crépite brasse calcine déchiquète.
Elle se bâtit cent mille petites choses compulsives,
ah, sans le moindre interstice,
bouts de phrases stichomythiques,
myriades d’objets inutiles : combler combler là-haut combler,
survivre acharnée en haut de la sorte de canopée tressée
mais descendre chaque midi puiser
un peu de magma en fusion
pour faire ciment au montage absurde là-haut.
.
4
.
Né sans bouche sans nom sans âme sans peau
dans un limon de cendres et de braises tout-effaçantes,
expulsé par la misère sauvage à dix mille kilomètres
il geint : qui ? où ? qui suis-je si loin ? où ?
.
Alors il traverse à vingt-quatre ans deux continents,
douze déserts et cent vingt montagnes épuisantes,
se glisse nu dans les coutumes d’un village,
se couvre de soies, de brocarts, de broderies d’or,
se ruine pour elles, loue trois longues voitures noires
et deux vidéastes : c’est pour ses noces (il ne sait pas avec qui).
Maintenant engoncé raidi beau
il peut respirer à l’intérieur du nom
qu’il a reçu sans y rien comprendre en naissant
et respirer à l’abri de ses yeux noirs…
Aïe, ses yeux noirs deviennent fixes
car les statufiés, nés à notre vue,
perdent leur vue.
.
5
.
Tant parfois on se calcine la plante des pieds
tant la brûlure Angoisse fait peur et fait hurler
que certains s’activent à épuisante lévitation,
et se font cette canopée que je disais déjà
avec planante musique ou avec écrans partout
pour jeux vidéos gloussants, et images images images
fébriles comme tapis volants, volant en tous sens,
Les gants, les gants ?
Ils ne sont plus que des gants, ceux-là, aucune chair dedans.
.
6
.
Lui va et vient
entre crête de glace, granit sonore,
aiguille bleue en haut de la mer de nuages
et, tout en bas, le magma où
la mémoire âgée s’évapore, où
le malheur ne trouve plus ses propres mots ;
puis il remonte, accrochant ses gants à feu
à la fourche des branches du sycomore
et, vers par là, dans la demie-hauteur
espère entendre un chant de torrent et de feuilles
que lui chanta avant de mourir
sa grand-mère maternelle.
.
7
.
Les vigiles japonais du feu
ne marchent jamais. Ils glissent, toujours assis au sol
dont l’infime épaisseur flotte
sur le magma bouillant des passions.
.
Vigiles engoncés dans leurs carapaces
de tissus rigides éblouissants d’une beauté
capable de ternir l’aveuglant feu souterrain.
Sont-ils des yeux, les rouleaux du Gengi
ondulant sur une dissimulée mer de feu…
.
8
.
Savez-vous que le magma lui-même,
n’en pouvant plus de violence et de feu,
cherche à parler ?
On dirait qu’il bourgeonne.
Ici il dresse sept bourgeons, comme sept doigts.
Les sept sommets du Glacier Noir.
Gant à sept doigts.
.
Qui a l’humilité et la folie de l’enfiler à sa main droite ?
En laissant deux doigts vacants, un pour la nostalgie
et un pour l’amour fraternel.
.
9
.
Seuls jusqu’ici
Beckett, Eschyle, Nono, Hölderlin… et leur grand-oncle Prometeo
perçoivent simplement que le gant des sept doigts
est disponible à chacun qui sait et saura écouter jusqu’au fond du feu
la gestation de la parole, sans aucune semence de dogme,
tant qu’elle est mère et fille.
A nous de l’accompagner, prenant la main qu’elle nous tend.
Pour dire, elle a besoin de notre pas clair et ferme.
.
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Poèmes de Briançon [dont La Grotte, sur Leporello], à la fin d’octobre 2023
L’ensemble de cette publication se lit en italien dans une splendide traduction du poète Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2023/11/03/poemi-di-briancon/
*
1
Huit aphorismes, en deux parties, sur donc deux dépliants à huit volets de Fabriano 200g, au format déplié de 40 cm de haut par 150, créés à l’acrylique et à l’encre de Chine au pied du lac de l’Eychauda, près de Vallouise, le vendredi 27 octobre 2023, juste après chutes de neige et de pluie massives.
.
.
.
Dans la boue aussi
brille
la graine
de la rage de vivre.
.
Aucune herbe ne plie sous les cris.
.
Merci, boue,
qui remoules ma cheville
que la montagne brisa.
.
L’aigle soulève
le monde périlleux.
.
.
Je cherche
je cherche
les commissures
du grand visage.
.
Homme jeune
se sculpte
en forme de cascade.
.
L’eau qui bondit
du haut de la falaise
ignore tout mensonge
.
Merci, falaise qui répercutes notre dialogue,
falaise qui sais répliquer, merci.
.
.
.
***
2
Poème en deux strophes, calligraphié à l’encre de Chine et à l’acrylique sur très grand papier robuste de 215 cm de haut par 60, le samedi 28 octobre 2023 dans les hautes pentes juste vers 2300 mètres sous le lac de l’Eychauda, près de Vallouise
.
.
L’un écoute l’hélium de pensée et d’art
que lui insuffle l’autre,
.
l’autre : double triangle d’œuvres-éboulis millénaires.
.
Voici l’ascension.
.
.
L’autre a accompli
puis part en fumée noire vers le sommeil du ciel.
.
L’un respire en son propre son,
à son tour socle du monde
qui s’éboule et toujours renaît.
.
.
***
3
Neuf brefs poèmes, calligraphiés à l’acrylique et à l’encre de Chine sur un cahier allemand de 120 grammes, de format A4, à la fin d’une journée harassante (le 29 octobre 2023) de montée au lac Long, dans le fond de la vallée de la Clarée, assez près de Briançon, sous menace imminente d’une tempête de neige et sous un vent glacial déchaîné ; toutes crêtes et aiguilles du massif des Cerces émergeant d’une chute de neige juste précédente luttaient sous le déferlement des masses de nuages épais tandis que dans les pentes les mélèzes en foule faisaient, à contretemps du vent fou, remonter vers le ciel bouché l’orange de leurs aiguilles saisies par les premiers gels.
.
.
1
Je sais que je pars en fumée noire,
que je veux partir en fumée
de feu de branchages de mélèze.
.
2
Et le tsunami de nuages sombres
gris opaques mord
avale les crêtes verticales
qu’écrase la neige des derniers jours.
.
3
Les parois s’effritent.
Sera-t-on à présent incapable
de déchiffrer ce que le vent tambourine
avec les branches des pins à crochets ?
.
4
Aux seuls mélèzes de cet automne je demande
s’ils savent remonter vers le haut de la pente
mon épuisement.
.
5
Bris des aiguilles orange et jaunes
par myriades rattrapent la fumée noire que je suis,
la dissolvent.
.
6
Ironie fissurante, rire jubilant,
immenses bris orange
strient le poids des éboulis et des neiges
et l’innommable, la brutale et goulue.
.
7
Qui veut partir en fumée noire
vers le sommeil du ciel
par derrière le tsunami
s’en va.
Quitte et part.
Fumée sitôt gobée oubliée vide.
Allez, les petits fauves déchiquètent les restes,
.
8
même l’os léger.
.
9
et puis le vent déchaîné glacé
me jette au sol dans la boue givrée
de la pente sous le lac
et j’éclate de rire.
.
.
.
.
.
.
***
4
La grotte
.
Poema créé le 30 octobre 2023, journée de déluge de pluie et neige cependant journée de retour à la cathédrale d’Embrun ( https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2016/10/02/pierre-qui-monte-cree-a-la-cathedrale-dembrun/ ), et calligraphié à l’acrylique et à l’encre de Chine à Briançon le 31 octobre sur un Leporello chinois à 24 volets de format déplié de 25 cm de haut par 408.
Outre son dialogue avec les espaces des montagnes autour des lacs de l’Eychauda et Rond, outre son dialogue avec le spacieux volume intérieur de la cathédrale d’Embrun, ce poema est également porté par l’écoute régulière et très attentive, depuis deux mois, du Prometeo, tragedia dell’ascolto, de Luigi Nono.
.
.
Puis en entrant dans la grotte
j’ai vu.
.
1
Il s’est révélé que le ciel en ses vents et ses nuages
et aussi en ses étoiles par les nuits sans lune
est une conque
.
où résonne le son grave
.
et dans le fond de la conque
s’arque une voûte de pierres alternées brunes et blanches
qui du bout de leurs poids millénaires
enflent et vaquent
comme une voile de felouque.
.
2
Puis dans la demi sphère sombre
du creux de la voile palpitante
j’ai vu la fosse de l’orchestre et y suis parvenu.
.
S’il joue à l’unisson, tout le ciel s’émeut
et se glisse jusque dans les pierres brunes et blanches
et vient ramper dans les corridors de la mémoire
où bougie point ne brûle
mais seulement lumière vacille épineuse
disséminée,
ces ocelles sur la peau du creux de la main,
ces cristaux dans les pierres brunes et blanches.
.
3
Mais point de dispersion
car c’est juste le fond d’une grotte encore plus profonde
tout au fond de la conque
et dans ce cinquième fond
les lueurs sont les éclats de deux yeux
par les orbites rieuses
de ce qui ne cherche jamais d’excuse ni de prétexte.
.
4
Voici le fond de la grotte sèche sombre
et c’est là fusion
de son grave et de lumière.
Cela s’appelle candeur
et souffle dans la voile de la felouque.
Et dans le crâne de l’enfant.
.
5
Et dans les interstices des pierres,
entre les mailles du filet céleste
filtre passe le long récit sans temps ni maître ni héros
.
car le fond du fond
fédère les cascades en leurs bavardes légendes
jusqu’à cet unique récit
.
mais que rien ne révèle ni ne disperse.
.
6
Or le fond de la grotte derrière le fond du fond
s’arque en bouche minérale brune et blanche,
blanche et brune conque.
.
Y a-t-il salive par la grotte et ses voûtes dans la voûte,
qui le sait ?
fosse buccale de peut-être l’orchestre
des âmes sans mains ni yeux
qui se meuvent par les bris des cascades et leurs cris heureux
et les cristaux des pierres.
.
***
.
Puis assis sous la voûte presque noire
du septième fond de la grotte
j’ai vu.
.
7
Vers ce fond de la grotte
les montagnes ocres encore en pénombre
descendent trois à trois
par les pentes au long des cascades du chant
fait de son grave et de lumière mêlés.
.
8
Descendant, leurs pas souples alternés
entraînent dans leur caillasse
des ombres plus sombres que le centre de la grotte,
les ombres des océans et de ces murailles
que le passé par ses tempêtes et ses foudres
tenta de submerger.
.
9
Mais rien ne se noie.
Poutres, fémurs et bassins, cuirasses et corsages
dans le fond de la grotte s’entassent,
vastes grumeaux de ce qui fait vibrant socle
au grave son que la lumière laboure.
.
10
J’ai vu.
Montagnes hautes et éboulis bas
sont mêmes triangles symétriques ou superposés,
même boucliers de sens et de sang,
deux fois pointe en haut
et le lien d’un triangle à l’autre
est une fibre du son grave
et mille fibres
tressées
donnent sans fin le son grave
que lumière ensemence dans la grotte,
divin poing fermé
où la graine de sens et d’humanité germe.
.
11
Avez-vous vu les cordes vocales
au fond de la grotte,
au fond du masque de granit humide sec ?
.
.
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Eau, vent, roc – édition de bibliophilie
Ce « poema » ( https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2023/02/21/eau-vent-roc/) calligraphié à l’acrylique et à l’encre de Chine du 14 au 16 février 2023 à Veynes sur un grand Leporello chinois à vingt-quatre volets au format déplié de 25 cm de haut par 408 ; ce « poema » a été écrit dans les deux mois qui ont précédé à Crest, Paris, Die et Veynes. Depuis ce 25 octobre sa vie se multiplie grâce au talent d’un éditeur de bibliophilie en Bretagne, Philippe Miénnée.
En effet il fait l’objet d’une édition de bibliophilie très raffinée, au même format et à tirage limité, aux Editions Les Ateliers de Lanouée, donc par les soins de Philippe Miénnée, auprès duquel on peut se procurer l’ouvrage (miennee.philippe@orange.fr ; téléphone : (33) 06 42 80 99 31 ; adresse postale : Les Ateliers Miénnée de Lanouée, Les Salles, 56120 Lanouée, France).
.
Une présentation élogieuse du travail d’édition de Philippe Miénnée pour cet ouvrage se lit en italien sur le site La Dimora del tempo sospeso, site faisant autorité en Italie pour la littérature, la poésie, la critique littéraire et la philosophie : https://rebstein.wordpress.com/2023/11/16/acqua-vento-roccia-2/
.
Guépard ambidextre
.
Poème en 9 strophes créé à Châtillon-en-Diois, Die et Veynes du 19 au 22 août et calligraphié à Veynes le 23 août 2023 sur un Leporello chinois à 24 volets, au format déplié de 42 cm de haut par 720 cm, à l’encre de Chine, au crayon noir, aux pastels et à l’acrylique.
Le poète Francesco Marotta par sa traduction d’une grande sensibilité fait vivre en italien ce « guépard » agile des deux mains : https://rebstein.wordpress.com/2023/08/25/ghepardo-ambidestro/
.
.
1
De quel limon
de quel socle
limon où vaquent ci puis là
les grandes fougères dont la sève claire
suit les chemins du ciel où s’attardent cirrus
et vaguent stratus accrochés aux crêtes…
*
.
2
En tous sens furent pères et mères
jetés contre les falaises où les cognent
les vagues noires de la mer
que les courants de la violence et des guerres
agitent,
mille, ils ont été mille, les ancêtres,
mille, les cousins, or jamais dépouillés
ni de l’âme ni de la parole
que depuis des siècles a moulées modelées
adornées l’absolu besoin de toute humaine dignité.
*
.
3
Des galets
des galets que portent les rivières et les ressacs
.
ainsi mus par grandes pelletées
galets mes rotules mes vertèbres ou de qui
.
galets furent de mes ancêtres
et de moi vertèbres deviennent
.
vertèbres serties de tant de mots de respect et
de mots de salutations de l’intelligence et de la fraternité
*
.
4
Et si
sur mes jambes je tiens debout
et un poisson dans chaque main,
le poisson de l’océan froid de mes noirs divorces,
le poisson à longues nageoires de cette mer
où la souffrance salée se partage en deux,
à quoi tant s’emploie notre oncle le soleil…
*
.
5
Et ce matin ce ne sont plus poissons dans chaque main
mais courts piolets à tête de titane
dont par dessus le vide je m’ancre
dans le miroir de la glace bleue
où parfois je jette ma vie comme un pari
et comme un total rebond de poisson d’argent
devant l’abîme aveuglant de la pensée à venir
mais aveugle point ne suis-je
et je vois.
*
.
6
Je vois qui tu es
et qui tu seras,
assis un peu déséquilibré, crois-tu, au zénith
sur le câble bleu qui distribue son bleu
dans les champs du ciel suspendus à l’envers.
*
.
7
Or déséquilibre point n’existe
car supposant quelque équilibre
qui est lubie bizarre sans once d’existence
car pensée se construit mobile et fluide
en tourbillon de patience et rebonds de joie.
*
.
8
Mais quelle pierre de parole
à mon tour apporterai-je
dans une ou deux décennies
car l’humain édifice en toute saison
demande renforts, étais et pilastres neufs
pour que nous y habitions sereins
et hébergions recevions ce qui humain destin
constitue, fertilise, nourrit.
*
.
9
D’un vélo de feu,
d’une nage de dauphin
de la foulée de ma course scindant les forêts
je porte mon corps,
je me propulse dans le sillage de ma pensée,
hypothèse incarnante,
arcature hissant par-dessus les fronts
cette joie de couleurs, sons et large verbe
qui s’habille ici dans le mot art
ou là dans le mot théâtre
tandis que, sans habit tel ou tel,
cette joie tisse une montagne honnête
sombre et mystérieuse comme tombe nacrée
dont tout naît.
*
.
.
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Paroi
Poème, de la famille des poèmes liés à et au Guépard, créé à La Grave devant la face nord de La Meije le jeudi 29 juin 2023 et calligraphié sur un Leporello chinois à 24 volets au format déplié de 25 cm de haut par 408, le vendredi 30 juin 2023 à Veynes.
Et ce poème, où le grimpeur-guépard comprend si humainement et si respectueusement la paroi, est venu dans la langue italienne grâce à la traduction, toute d’humanité, du poète Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2023/07/05/paroi-parete/
.
.
Si j’y pose mes lèvres
la paroi feule.
.
Contre le nombril de la paroi
j’ai dormi
cinq siècles
puis je l’ai aspirée.
M’a-t-elle aspiré ?
.
A chaque geste quand je la grimpe
elle m’expire.
.
De geste de mes bras à geste de mes jambes
de geste à geste
elle m’apprend la mélodie
elle m’apprend l’harmonie
de son destin de paroi.
.
Elle me soutient
en feulant.
.
Elle feule
toute polyphonie
de ceux qui toujours grimpent leur vie
et qui grimpant tirent coque et poupe.
.
Paroi et moi
avons en commun
fissures et interstices :
ce sont nos cordes vocales.
Nous n’en avons pas d’autres.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Orages de Briançon
.
Sur un Leporello chinois à 24 volets au format déplié de 25 cm de haut par 408, créé et calligraphié à Briançon le 10 juin 2023, en essayant de s’abriter d’incessants orages.
Et voici dans la langue italienne la plus vive ces huit aperçus entre foudre et tonnerre, grâce au poète et philosophe Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2023/06/26/temporali-di-briancon/
.
.
1
Elle balaie les algues devant sa porte,
elle respire par les racines des arbres de ma forêt,
elle aime.
.
2
Lui, tel cette brute qui châtie son chien
qui lui lèche les mains.
.
3
Elle se prend pour un nuage
qui dévêt son cauchemar
et débride son passé.
.
.
4
Il nous fait attendre au pied de sa maison.
Tout l’angoisse
tant
qu’il nous humilierait
jusqu’à la servilité.
.
5
L’écho parfois de l’ombre,
comme celui du tonnerre,
cogne l’enclume
du bourreau dogmatique,
…fille de l’ombre et des ombres
…mère de l’ombre et des ombres.
.
.
6
Ton imprécation dans la grotte au plafond triste,
dit la foudre,
je la cherche
et l’emporte.
.
.
7
.
Près du feu
près du lac
entre les mains
entre les crêtes
déroule-nous le fil futur du récit.
.
8
… comme le vent rieur
qui dessoude les entraves à tes chevilles
et les jette au fond de l’océan.
.
*
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Proue
Issu d’un grand Poema en cours, ce poème est créé et calligraphié sur un Leporello chinois à 24 volets au format déplié de 35,5 cm de haut par 600, à l’encre de Chine et à l’acrylique, à Briançon le 24 mai 2023.
Et cette proue, grâce au poète Francesco Marotta, se multiplie dans une traduction italienne d’une toute dynamique beauté ; la voici : https://rebstein.wordpress.com/2023/05/25/proue-prua/
.
.
1
.
Je regarde droit devant
dans la matière aimante de la vie.
.
Mon regard entre dans la chair de la vie.
Mon âme est proue,
n’est que proue.
.
2
.
La vie selon ses vagues et ses souffles de houle
me soulève, me soulève, j’en attraperai
les martinets en plein soir.
.
3
.
Et aussi la vie me laisse décliner en glissant ;
j’en recueille dans la double coquille de mes mains
les filaments salés, les biles sombres.
.
4
.
Mon mouvement n’est que proue,
je me lève à nouveau
entraînant foule des montagnes,
cortège des vivants et des morts,
même ceux qui meurent seuls
dans une chambre ignorée.
.
5
.
Proue simple de bois
ouvrant l’immense polyphonie
des quatre torrents
et des oiseaux qui les chantent
avant même l’aube.
.
6
.
Ne va, ne va que de l’avant la proue.
Proue je suis
et j’ai l’énergie du guépard
mais je cours sans tuer jamais,
tirant la coque des miens et de tous
et la poupe des morts.
.
7
.
Proue je vais,
tirant les montagnes qui
fendent les houles en s’inclinant
dans le rebond et la joie.
.
*
.
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Ocelles du guépard
« Poema » faisant partie d’un plus vaste ensemble qui sera bientôt publié, ici calligraphié à l’acrylique et à l’encre de Chine le 16 mai 2023 à Veynes sur un grand Leporello chinois à vingt-quatre volets au format déplié de 25 cm de haut par 408.
Voici comme le très dynamique poète Francesco Marotta l’offre aux lectrices et lecteurs dans sa traduction italienne : https://rebstein.wordpress.com/2023/05/19/gli-ocelli-del-ghepardo/
.
.
.
Voici l’ocelle de mon nom
qui passe à mon index, à son tour, l’anneau
d’une dignité à laquelle obligent certains ancêtres
parce qu’ils surent rester libres.
.
Voici l’ocelle de ma continuité dans le temps
qui rapproche la paroi immémoriale de mon simple rachis.
.
Voici l’ocelle de la flexion de mes genoux
et jaillissant par son cercle chaque aube je réapprends
à me lancer en flèche dans la question infinie.
.
Voici l’ocelle de ma désintoxication des objets
qui m’allège m’allège m’allège
jusqu’à la proximité du cœur du vent.
.
.
Voici l’ocelle de l’immensité de mon respect
que jamais assez je n’atteins et pourtant ce havre
est le seul pour ne pas s’asphyxier dans les haines.
.
Voici l’ocelle de ma scission en deux
comme la monnaie ou la lune ont deux faces
et même je préfère m’écarter de moi-même
par-dessus la faille des eaux originelles.
.
Voici l’ocelle du puits de ma joie
si profonde et profuse sous les douleurs que rire
et sourire et rire éclaboussent chacune et chacun
dans les ressacs des éboulis avant que je ne grimpe.
.
.
Voici l’ocelle de l’orchestra
où nu-pieds nos mères incantent chaque printemps
la gestation, la parturition, la crainte d’or et de sang.
.
Voici l’ocelle de la ceinture de l’équateur
vaste comme les vents étésiens
et j’ouvre sans fin les crans de ma ceinture
pour qu’affamés et meurtris du Sud
puissent atteindre un accueil au Nord s’il sait.
.
Voici l’ocelle de la surrection de la montagne
qui s’effrite et se hausse avec les vents et moi
car je grimpe et j’érode
j’érode et je grimpe.
.
.
De la vêture de ma fourrure ocellée
je me départis à toute heure,
que je grimpe à l’arbre qui accède au ciel
ou que je grimpe à la paroi qui jaillit de la mer.
J’accepte le souple maillage des ocelles
et le quitte à chaque relais de mon escalade,
puis je le reformule plus clair.
Chaque jour me voici plus léger, plus svelte,
tout brouillard dissipé,
dans l’aube à la source de la pensée,
dans la vapeur de la parole qui juste à son aval
frémit, ocellée.
.
*
*
Yves Bergeret
*****
***
*
4 Leporello créés au désert du Sahara & retrouvés 21 ans après
Ce jour je retrouve dans un recoin de ma caverne des Leporello à 24 volets que, à l’encre de Chine et à l’acrylique, j’avais créés avec des « poseurs de signes » sans écriture dans le Sahara malien il y a 21 ans et que je n’avais plus jamais ouverts depuis. Leur format est assez petit : 2 de 24 cm de haut et 2 de 27 cm de haut, tous faisant dépliés 384 cm.
Les « poseurs de signes » et moi commencions à plus finement nous connaître ; nous « disions » ensemble les lieux de sable et de montagnes abruptes où nous vivions, sous un soleil accablant. Nous grimpions sur les sommets tabulaires par des passages acrobatiques et audacieux. Bonheur direct et dru.
Peu à peu au fil des années qui suivirent 2002 les signes graphiques allaient s’affiner et transmettre beaucoup plus d’éléments des savoirs initiatiques de l’oralité et, en écho bien sûr, mes aphorismes alphabétiques allaient écouter les plans et arrière-plans polyphoniques de la montagne animiste.
Voici, ci- dessous, les toutes premières approches sur papier entre deux « poseurs de signes » et moi : en août 2002. Grâce à la traduction très présente du poète Francesco Marotta, on les lit en italien ici : https://rebstein.wordpress.com/2023/05/11/linfanzia-del-segno/
YB
*
*
Cortège
.
Créé le 9 août 2002 avec H.B.D., « captif » de Touareg, dans l’oasis de Boni, maintenant ravagée saccagée par le fanatisme et la pure violence.
.
.
.
Cortège
et la montagne est venue jusqu’à nous
et
les nuages d’orage ont chanté.
Gens de montagne ou de plaine
ont marché dans les traces de leurs propres
pas,
cherchant abri et vie
dans l’ombre mobile du signe.
.
*
Avec le vent
.
Créé le 15 août 2002 avec H.B.D., « captif » de Touareg, dans l’oasis de Hombori, maintenant ravagée saccagée aussi par le fanatisme et la pure violence.
.
.
.
J’ai posé le ciel
sur un pilier. Viens t’
asseoir avec moi.
Le vent
nous pousse dans les mains
et
je noue le vent à la
racine de la parole.
.
*
La musique
.
Créé le 16 août 2002 avec Nouhoum Mondoro, dans l’oasis songhaï de Hombori, maintenant ravagée saccagée par la violence fanatique. Nouhoum est « hole bari », c’est-à-dire « cheval de génie » [le « hole » (« génie », ou « esprit »), maître très énergique d’un des éléments du monde songhaï animiste, vient, dans un rite spécifique avec sacrifice animaux, s’asseoir sur les épaules de l’initié « bari » (« cheval ») ; le « hole » lui insuffle les paroles que dans une transe dansée et soutenue par le « godié », instrument monocorde frottée, le « bari » va apporter en réponse aux questions des participants du rite. Dans les signes graphiques on peut ici identifier à plusieurs reprises le « godié ». La multiplication des points en séquence de pointillés figure l’irradiation de l’énergie animiste qui se réunit pour une transe à venir immédiatement.]
.
.
.
Je danse
sur les chemins,
mes silences vous
embrassent ;
je prends les
montagnes par la main et pars
avec elles.
.
*
Mouvement
.
Créé le 19 août 2002 avec le « hole bari » Nouhoum Mondoro, dans l’oasis songhaï de Hombori, maintenant victime de la pire violence fanatique. [Les animaux et éléments ici accompagnés de pointillés sont insérés dans une turbulence animiste, par exemple un sacrifice imminent.]
.
.
.
Où vont les
chemins ?
Qui parle dans
le vent ?
Qui redonne
nom à l’
eau ?
.
*
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Martinet premier
Poème créé et calligraphié à Briançon sur un Leporello chinois à 24 volets au format déplié de 35,5 cm de haut par 600, à l’encre de Chine et à l’acrylique à Briançon le 18 avril 2023 pour saluer l’arrivée, la veille, du premier martinet de l’année sur les hautes vallées et les vives montagnes de l’Oisans.
.
Le poète Francesco Marotta propose la version italienne de ce poème, puissante et fluide, telle que l’on peut la lire ici : https://rebstein.wordpress.com/2023/04/22/il-primo-rondone/
*
.
.
1
.
.
Solitaire
avant-garde de ses frères migrants
reconstruisant le ciel
à grandes volées silencieuses.
.
2
.
.
Battant soudain l’air à coups frénétiques d’ailes
l’irradiant l’exaltant
avant de reprendre la tracée sans fin
de la volonté
de la pensée.
.
3
.
.
De toute vigueur secouant ses ailes
en suspens devant la forêt vertigineuse
pour appeler aiguilles et puis cônes des mélèzes
à sortir de leur hiver.
.
4
.
.
De son bec tirant les nuages
et puis leurs ombres plus rapides.
.
5
.
.
Et si les vents d’altitude hésitent
et se croisent en tous sens,
il les bouscule, les raille,
les rallie, les aime
comme des ancêtres aux os frêles
et les jette dans la joie.
.
*
*
Yves Bergeret
*****
***
*
Commentaires récents