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TRIO À CORDES : conte, par Anne-Marie Poncet

On sait combien importe la transmission, combien nous est essentielle l’éthique de la musique, vocale ou instrumentale, en tous lieux, à travers toutes les générations. C’est ainsi que l’on se rappelle combien ce violon-là pendant la seconde guerre mondiale fit de miracles :             Violon-naissance, par Linette Guéron-El Houssine | Carnet de la langue-espace (wordpress.com).

Ici ce TRIO A CORDES vibre à travers les générations ; l’alto de ce trio poursuit dès aujourd’hui dans de nouvelles mains sa grande et active vigilance.

YB

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                                                           pour Carla, l’Altiste

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(du moment)

que l’une (qui possédait la mandoline) et l’autre (avec ses trois violons, mais aussi un Pleyel ébène… et même un petit harmonium) s’épousèrent

que naquirent trois enfants (la grande, la moyenne et la petite)

que la maison des vacances eut (outre celle de la grand-mère) trois chambres (dont la chambre du milieu)

que les trois violons endormis furent remis

le grand : violon marqué Falaise

l’alto : marqué Marquis Delait D’oiseau

le petit : violon trois quart Mirecourt el Maestro

aux deux Luthiers de l’Est

qu’ils les destinèrent chacun 

le petit aux balbutiements d’enfants voisins

le grand au Musicien

que devint l’alto ?

voix médiane

alla se blottir dans les bras

de petite, petite, petite cousine

issue

issue

issue

de germains

sa grand-mère avait trois sœurs (et même un frère)

et son arrière-grand-mère se prénommait Germaine

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Anne-Marie Poncet

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Eau, vent, roc

« Poema » calligraphié à l’acrylique et à l’encre de Chine du 14 au 16 février 2023 à Veynes sur un grand Leporello chinois à vingt-quatre volets au format déplié de 25 cm de haut par 408 ; ce « poema » a été écrit dans les deux mois qui ont précédé à Crest, Paris, Die et Veynes.

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1

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Mon socle est une montagne.

Cette montagne est bleue, dis-tu.

Le socle de mon socle

est fait de plissements, dis-tu.

Plus profond ou antérieur,

qu’y a-t-il, je ne le sais pas encore.

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En ce temps où quelque chose

crépite et fait semblant

d’être lumière,

dans les plis sédimentaires

dans les blocs granitiques que les plis serrent

continuent,

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continuent encore à engendrer

à se risquer à se frotter

la semence âcre et le mythe orgueilleux

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continuent à se broyer les uns les autres

mes doigts qui se desserrant

libèrent les vents qu’ils créent

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et les vents à toute vitesse montent,

archétypales alouettes dont le trille infini

me soulève dans les airs

où je commence à parler.

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2

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De mon socle

par une source invisible et bruyante

naît le fleuve vert,

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naît le cours de l’eau ivoire et verte

qui s’en va chercher partout

la main tardive du vent,

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à reculons en souriant

la main tardive du vent, dis-tu,

va par les plaines et les mers

tourne par les monts et les vals,

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la main tardive du vent,

écume si claire

sillage que crée ma vie.

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Dans mon socle bleu, dis-tu,

fleuve vert creuse et siffle

ligne de mon destin dans la paume du ciel.

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3

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Les pillages et les dogmes

les mercenaires et les viols

cherchent partout la source pour la boucher,

sans répit fouillent où empoisonner le fleuve,

brutes stupides harcèlent pour cisailler ma voix.

Mon socle, dis-tu, craint et s’effrite.

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Je déteste que mon socle craigne.

Pour le voir je me retourne.

Pour le voir je fronce mes sourcils,

mon front, dis-tu, est de cent plis sédimentaires.

Mes yeux les voici blocs granitiques

que plissée ma peau serre.

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Même si je meurs

mes yeux restent

et mes cordes vocales aussi

haut par-dessus le sillage vert du fleuve.

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4

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Multiples plis et strates

qui jaillissez des forêts pentues,

qui à vif jaillissez quand s’effondre

la moitié de la montagne

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multiples plis c’est multiples fois

que je plie mes bras et mes jambes,

multiples fois que j’avance

dans les buissons de ronces

et brise les branches sévères

et trace, dis-tu, le sentier de ma vie

dans l’orage sombre la tourbe enflammée

.

multiples plis c’est chaque pas

chaque début de phrase que je lance

sur la mer déchaînée teigneuse

.

multiples plis c’est chaque étape

chaque sursaut rapide et dur, dis-tu,

qui sculpte nouvelle côte de mon torse,

qui exhale nouveau soupir de mon poumon,

ah nouvelle cicatrice

de ma ténacité contre l’avalanche,

ah nouvelle dent à ma mâchoire

claquante dans le froid

.

multiples plis c’est mon front

c’est le coin de mes yeux

car j’avance quoi qu’il en soit,

proue solitaire que les algues pleureuses

ne freinent pas

.

multiples plis c’est ma scansion

ma confiance à jamais même si boiteuse.

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Dans l’âge de mon corps

et dans le heurt de mon pas

je veux aller jusqu’au basalte

je chasse boue et sable

jusqu’au plus profond toujours clair pli.

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5

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Sous mon socle, dis-tu,

tous ceux et celles qui sont mal morts,

qui ont été tués, ont été brisés

tous, serrés les uns contre les autres, remuent

lourdement remuent

lentement

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sous mon socle, dis-tu,

tous ceux et celles qui sont mal morts

qui épuisés de faim, fuyant par sables et mers

ont perdu dents cheveux vêtures mains

et même ceux vendus comme esclaves

en plein désert près d’un puits

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sous mon socle, dis-tu,

tous ceux-là et celles-là remuent

avec un bruit de tant de piétinement de tant de pieds

.

leur sang sec si durci

qu’en craquèle la montagne ma mère.

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Ils remuent si fort que pressante leur douleur

se heurte à mes plissements, dis-tu,

et je ne peux plier genoux et coudes

qu’en contrechant des poussées de leurs âmes

mal mortes qui crient contre la voûte

de l’immense caverne sous le socle.

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Si fort ils crient et remuent

que sédiments, plis et blocs

se brisent ici, ici-même qui se dit

source invisible et bruyante

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ici même où filtre l’eau ivoire et verte.

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6

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Je m’appelle Tesnim, dit-elle,

mon prénom veut dire Source du Paradis

c’est-à-dire Parole Claire.

J’aspire l’eau.

Elle remonte jusqu’à mes lèvres.

Elle se recueille en moi.

Puis je la verse.

Je suis, dit-elle, la sève de douceur

dans les arbres des rives,

elles n’ont plus peur.

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J’efface inondation et crue,

de la violence je me retire ; au paysage sarcastique

des mâles en cuirasse j’ôte prévalence.

Je suis, dit-elle, douceur.

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La chair bleue de la montagne, c’est moi.

Je cours dans le versant d’ombre

de la masse rocheuse.

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Je sais remonter la pente si raide,

emportant vers le haut l’insomnie crieuse

du socle et des socles.

C’est moi qui donne à la montagne

la courbe de son dos

et à sa crête la forme d’une carène

de brume sombre en plein milieu du ciel

.

dont je noue et moule le bleu profond

entre mes seins.

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7

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Or Tesnim, dis-tu, déjà se retire

ou est-ce la brume qui si soigneusement

l’absorbe, si voluptueusement

qu’on ne sait si le bleu

est sang, corps de Tesnim ou ciel profond.

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Je suis, dis-tu, le souffle

du long cri que pousse la montagne

au moment où Tesnim se retire.

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Je suis, dis-tu, le froissement

l’arrachement des chairs.

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Je suis le trille

de cela qui ouvre la voie de son propre récit

entre halètement dans la foule du socle

et suspens du ciel à l’œil encore clos

sur sel et vent vert.

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8

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Suspendu à mi-pente assis sur le seuil

je vois, dis-tu, l’égaré affolé échevelé

qui patauge en bas retombe

plusieurs pas en arrière s’efforce.

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Par le travers des forêts sombres il cherche

du bois pour charpenter son corps

trois rameaux droits pour étayer sa vie

mais les branches cassent

retombent sur ses pieds.

Qui saignent. Il part en tressautant

ailleurs, au ravin suivant, au val tortueux.

Il me hèle, dis-tu, et veut trouver le sentier

et la clairière, dit-il, avant le seuil.

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Ce n’est pas clairière, lui dis-tu.

Avant le seuil ce sont dix pierres claires.

Sur leurs faces de longues incisions entrecroisées

attendent le doigt de l’aveugle

qui les lira, dis-tu,

attendent la main de celui ou celle

qui leur versera quelque sang quelque sève.

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Rien ne sert de trépigner, lui dis-tu.

Les dix pierres claires, lui dis-tu,

sont mes sœurs silencieuses.

Tesnim les enfanta

un matin dans une intuition foudroyante.

Je m’assieds près d’elles, dis-tu.

La seule pierre sombre, dis-tu,

c’est moi ; je suis sonore,

sonore du son de tous les piétinements

sous le socle, de tous les piétinements en bas

des pentes, des rebonds des dix pierres claires

si un poème les élance.

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9

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Dix pierres claires, dis-tu, ne font clairière ni rivière.

Dix pierres claires nées par grands à-coups.

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Personne ne voit ensemble les dix pierres.

Pas même moi.

Chaque histoire est une colonne,

en haut de la colonne une pierre claire.

Toutes ensemble elles portent ma vie

mais jamais toutes ensemble, dis-tu.

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Il y a la colonne courte de mon enfance pénible

et son babillage dans l’humus noir.

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Il y a la colonne de la fugue adolescente

et son remue-ménage funambule.

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Il y a la colonne de la jeunesse dure

et celle de la jeunesse fougueuse

et celle de la jeunesse intrépide.

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Il y a, dis-tu, la colonne de mon premier enfant

et sa prudence enthousiaste,

il y a, dis-tu, la colonne de mon deuxième enfant

et ses écailles audacieuses.

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Chaque colonne n’entre dans la réalité

que par sa pierre claire, de guingois à sa cime,

cristallisant le rire, dis-tu,

qui m’a toujours fait avancer.

Mais le rire est silencieux, juste en tenace harmonie

avec mille plis et leurs blocs

qui n’ont pas souvent la tendresse pour emblème.

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Si les autres colonnes sont à peine esquissées

leurs pierres claires se suspendent déjà

dans le vide, narquoises quelque peu dis-tu.

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Tel est mon humain clan, sans âge

et riant. Pas de sable ni de boue.

Des pierres claires. A mi-pente.

A lointaine pente, dis-tu.

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Les échevelés croient que nous faisons clairière

où ils viendraient mendier câlins.

C’est l’inverse. C’est en pleine pente roue irréelle

à dix pierres claires.

Le moyeu de la roue c’est la pierre sombre,

c’est le contrejour que je suis, dis-tu.

C’est la source invisible et bruyante qui me dit,

qui dit.

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Yves Bergeret

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Qui regarde ?

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Cet essai se lit aussi en italien dans une brillante et claire traduction du poète et philosophe Francesco Marotta ; la voici : https://rebstein.wordpress.com/2023/03/19/chi-e-che-guarda/

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Un raccourci comique a affirmé que le « paysage occidental » et, en conséquence, la figuration de celui-ci étaient une élaboration intellectuelle issue de la Renaissance (la fenêtre d’Alberti, de 1435), du platonisme, de la séparation éloignant l’un de l’autre une conscience rationalisante et le monde réel qu’elle dominerait ; cette conscience, en quelque sorte, regarderait le monde en le jaugeant « de haut ». Elle développerait envers ce dernier un instinct de propriétaire. De surcroît cette conscience orgueilleuse et dominatrice serait bien sûr celle de l’ultérieur colonialisme. C’est ainsi qu’un dictionnaire en langue française rédige cette définition cocasse : « paysage = partie d’un pays que la nature présente à un observateur ».

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C’est effectivement ce qui se vend comme carte postale touristique dans les lieux de vacances où l’ « on » s’échine à transformer en marchandise le loisir. Du « paysage » cadré dans un rectangle, ciel bleu avec trois ou quatre cumulus, nature végétale ensoleillée, eau dormante ou courante, vague horizon et ce doigt d’anthropisation, culturelle, patrimoniale ou autre, qui rassure en ressassant que l’homme dominerait le réel.

C’est alors en effet que l’acheteur de carte postale achète puis envoie par la poste sa « fenêtre sur l’espace » ; il manifeste à son destinataire postal, par exemple aux grands-parents restés à la ville, qu’il s’est bien « penché sur » ce panorama (étymologiquement, cette « vision globale ») ; il invite les grands parents à s’accouder à leur tour à cette fenêtre de carton imprimé, vaguement exotico-lénifiante.

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Il est exact que ce type de « paysage » est élaboration rationalisante quand une volonté régalienne, apollinienne et plus tard positiviste organise l’espace en « jardin à la française » dont le meilleur architecte paysagiste s’appelle Le Nôtre. Cet architecte de l’espace naturel organise et travaille pour le roi Louis 14, qui dispose en jolies postures harmonieusement théâtralisées ses courtisans et la foule des domestiques dans les allées végétales qu’encadrent les modèles de pierre, les statues.

En somme ce paysage est regardé par le Roi-Soleil, par l’ « œil du maître » comme dans la fable de La Fontaine ou dans la cité utopique de Nicolas Ledoux aux Salines Royales d’Arc-et-Senans. Les courtisans et autres regardent ce paysage pour y apprendre comment se conformer à l’usage ordonnancé du monde, du réel, du « bon goût » et des « bienséances ». Alors en effet on peut parler ici d’un paysage dominé pour l’autosatisfaction autant esthétique que morale d’une toute petite partie de la société occidentale à un bref moment donné : juste la fin du dix-septième siècle à Versailles. Mais déjà, un demi siècle après, Rousseau en sa Nouvelle Héloïse puis ses Rêveries balaie cette organisation méthodique de l’espace.

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Cependant l’organisation dominatrice, esthétisante, éthique et politique de l’espace en forme de « paysage » est loin d’être l’apanage d’une « conscience occidentale renaissante platonicienne ».

A l’ouest de l’Europe le Jardin de l’Amour Courtois, avec ses propres strictes paramètres, précède de plusieurs siècles le parc de Versailles. En outre, à peine à l’Est, le jardin fleuri où bourdonnent la délicate fontaine et les passereaux raffinés peuple avec rigueur toute la figuration persane et soufie de l’espace trois siècles avant la Renaissance.

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Quant à l’usage dominateur idéaliste de l’espace, supposé fleuron d’une pensée rationalisante, il reste, même depuis la Renaissance, infime. Car l’usage efficace de l’espace est aussi pastoral, agricole, de chasse, sacré, anthropologique ; avant tout, on le verra plus loin, il est animiste. La pensée humaine occidentale de l’espace et du paysage est loin de se cantonner à une réduction à vrai dire caricaturale de l’espace vu, sourde et emplie d’une brillante suffisance : elle va en fait beaucoup plus loin que dans une naïve émission d’ordres ou que l’imposition d’un Ordre. L’idée d’un regard dominateur jaugeant et régentant, de manière solipsiste, l’espace, est vraiment un artefact d’une piètre pauvreté. Il privilégie un regard allant dans un seul sens. D’une haute conscience vers le bas réel. Orientation vectorielle unique. Supposant, entraînant distance entre observant et observé.

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Mais en tout lieu et en toute culture l’usage de l’espace est tout autant sonore que visuel : demandons à un chasseur comment il perçoit son paysage, voire le construit. Mes deux essais sur l’Ecoute ont analysé en détail les variétés très riches de la perception de l’espace sonore et la constitution sonore de celui-ci, y compris au cœur de la pensée occidentale ( liens : L’ E C O U T E (1) | Carnet de la langue-espace (wordpress.com)  et  L’ E C O U T E ( 2 ) | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) ) : notre espace et notre paysage sont un « tapis sonore », comme on dit en parallèle un « tapis végétal » ; et le cœur battant permanent de ce « tapis sonore » est la géophonie.

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De plus la mixité indémêlable de l’espace visuel et de l’espace sonore s’enrichit parfois aussi de l’espace olfactif et de l’espace tactile. S’il est vrai que, pour éviter vision trouble, l’espace visuel suppose une certaine distance entre « observateur » et réel observé, il pourrait superficiellement privilégier un axe unique de perception, et de pensée : de l’œil vers l’objet regardé. Mais cet axe à sens unique n’existe pas. Car, sonore et visuel se mêlant, ce n’est pas l’oreille, indissociable de la vue, qui crée le son ; au contraire elle le reçoit. L’axe de perception se renverse alors. Ou plutôt devient bi-directionnel. Affirmer que le regard lui-même soit unidirectionnel est une bizarrerie.

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Il y a un peu plus d’un siècle, déjà, que Victor Segalen, a renversé la notion d’exotisme et l’expérience visuelle du paysage. Je rappelle ce qu’il écrit en 1915 dans Equipée : « c’est au moment même qu’ayant traversé le fleuve qui en vient, pour, de là, drainer toute la Chine ; c’est là, qu’émerveillé, étonné, et repu de tant de paysages minéraux, seul depuis de longs jours avec moi, et sans miroir, n’ayant sous les yeux que les fronts chevalins de mes mules ou le paysage connu des yeux plats de mes gens habituels, je me suis trouvé tout d’un coup en présence de quelque chose, qui, lié au plus magnifique paysage dans la grande montagne, en était si distant et si homogène que tous les autres se reculaient et se faisaient souvenirs concrets. Ma vue habituée aux masses énormes s’est tout d’un coup violemment éprise de cela qu’elle voyait à portée d’elle, et qui la regardait aussi, car cela avait deux yeux dans un visage brun doré, et une frondaison chevelue, noire et sauvage autour du front. Et c’était toute la face d’une fille aborigène, enfantée là, plantée là sur ses jambes fortes, et qui, stupéfaite moins que moi, regardait passer l’animal étrange que j’étais, et qui, par pitié pour l’inattendue beauté du spectacle, n’osa point se détourner pour la revoir encore. Car la seconde épreuve eût peut-être été déplorable. Il n’est pas donné de voir naïvement et innocemment deux fois dans une étape, un voyage ou la vie, ni de reproduire à volonté le miracle de deux yeux organisés depuis des jours pour ne saisir que la grande montagne, versants et cimes, et qui se trouvent tout d’un coup aux prises avec l’étonnant spectacle de deux autres yeux répondants ».

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J’entre dans l’église néo-byzantine de Saint-Pierre de Montrouge, dans le sud de Paris. Un intérieur d’église ou de temple est hyperbole sacralisée du paysage ordinaire. Sur un faisceau de piliers de la croisée du transept, piliers essentiels pour porter la structure du gros édifice, est suspendue une large copie d’icône orthodoxe, au thème canonique : un Christ en résurrection, habillé de blanc, entouré d’une mandorle claire, renversant les planches de bois de cercueils, écartant les falaises rocheuses dans son dos. Rien à voir avec la fenêtre d’Alberti et son point de fuite vers un lointain. Au contraire, le point de fuite est le spectateur vers lequel le Christ arrive, poussin cassant la coquille de son œuf. Le spectateur, dans cette scène centrale du récit chrétien, ne domine pas un paysage qu’il observerait d’un regard dominateur ; c’est depuis le sein de ce paysage figuré qu’un dieu drapé de blanc regarde le spectateur, le domine, va vers lui et va l’engloutir dans ce processus physique et théologique d’éclosion.

Le paysage spirituel de cette église parisienne est toute contradiction : l’architecte néo-byzantin confère une force ascensionnelle visuelle à ses piliers pour expédier le fidèle observant vers l’infini céleste que désire sa prière. Mais le copiste d’icône propulse l’acte théâtral de la résurrection vers le fidèle, centre de l’attention de ce ressuscité qui renverse et écarte les éléments du décor-paysage et dissémine en bas de cette « non-fenêtre-paysage » les clous et autre petit attirail de la scène.

Or, voyez-vous, cette église néo-byzantine ne s’effondre pas. Malgré les tensions opposées. L’une vers l’inaccessible point de fuite à l’infini du regard du priant, l’autre vers le cœur ému au fond du torse du même priant. Le regard sur le paysage peut tout à fait naturellement et culturellement être bi-directionnel.

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Toute icône orthodoxe, toute fresque orthodoxe fonctionne de la sorte : la personne occidentale semblerait naïvement chercher dans icône ou fresque un point de fuite ? Non, c’est son dieu, derrière l’icône ou depuis le fond de l’icône, qui regarde la personne humaine, la presse, la jauge, l’entraîne dans l’énergie de sa grâce. La moitié orientale de l’Europe le sait depuis un millénaire ; et pratique ainsi cette pensée et cet usage de l’espace.

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Je m’avance jusqu’au fond de cette église parisienne assez banale mais significative. La voûte à l’abside porte, canoniquement dans le programme iconographique de ce type d’édifice, un Christ puissant. Vous pensez le regarder ou même l’observer ? C’est le contraire. C’est lui qui vous regarde. L’étincelante lumière surnaturelle, dorée, scintillante, éblouit derrière le drapé blanc de son torse. Le personnage se penche sur vous, il vous menace presque, vous subissez toute la pression du divin dont vous voici la préoccupation inquiète : vous êtes l’intime point de fuite de ce qui est figuré sur la voûte de l’abside.

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Combien d’églises orthodoxes, de la Géorgie à l’Ukraine, de Chypre à la Sicile septentrionale, portent peint ou en mosaïque au faite intérieur de leur coupole ce Christ pantocrator effrayant, qui bouche complètement le point de fuite dans ou vers l’infini céleste ; et qui, au contraire, appuie d’une pression massive sur la poitrine faible de ce croyant qui, au sol, voudrait psalmodier et élancer sa prière. L’espace sacré est alors orienté vers la créature inaboutie, souffrante, pécheresse, cherchant salut et absolution. Le sacré l’empoigne ; le modeste « observateur » ne domine rien.

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Multiples sont les situations de perception de l’espace où c’est beaucoup plus l’espace ou le paysage qui regarde la personne et agit sur elle, plutôt que ce soit la personne qui porte sur le paysage face à elle un regard organisateur et dominateur. Il en va de la sorte pour tous les vitraux des églises gothiques en Europe de l’ouest depuis la construction des premières d’entre elles au onzième et douzième siècles. A présent une pensée académique dominatrice savoure, esthétiquement, le bleu clair des vitraux de Chartres ; cet esthétisme largement pratiqué de nos jours, autosatisfait, raffiné et jouisseur, ne comprend pas la fonction de ce qui anime et propulse ce paysage mystique : ce paysage précis s’adresse au croyant et même au touriste, la divinité de Marie mère du dieu caressant avec bienveillance le fidèle inquiet errant de par « ce monde quotidien » triste et gris.

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Le regard esthétique dominateur et unidirectionnel est, il est vrai, fortement incité à déployer son savoir dans les Musées, enfants de ce rationalisme occidental ancré dans l’idéalisme platonicien.

Mais même sur le mur du Musée les petits portraits de Fayoum, peints à la cire sur bois, du premier au quatrième siècles, échappent avec une ironie désinvolte à la manie classificatrice d’un « observateur » dominant. Car ces yeux de Fayoum, fixés sur le visiteur, l’interpellent, depuis la cimaise et surtout depuis un au-delà de la mort, et lui diffusent conseils, protection, intensité d’affect, de pensée et de rite : ces yeux se saisissent du visiteur, le dominent, peut-être l’envoûtent et élargissent le temps présent, où respire ce visiteur, vers un temps plus vaste et mystérieux : ces petits portraits sont des phares qui strient la pénombre du quotidien. L’espace actuel du Musée ou privé des maisons des premiers siècles agit, bouge, requiert qui s’y trouve. Comme dans le paragraphe de prose de Segalen que je cite plus haut, c’est la paire d’yeux du Fayoum, face à l’ « observateur », qui requiert celui-ci et non l’inverse.

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Je rappelle ce quatrain de Baudelaire, au début du sonnet Correspondances :

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles.

L’homme y passe à travers une forêt de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

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Ces yeux extérieurs à l’ « observateur » et le requérant fortement vivent dans de multiples situations : ils sont là, devant, impérieux. Ils organisent ou réorganisent le monde fragilisé ou fragilisable où se débat l’ « observateur ».

Dans l’Ethiopie populaire, dont le paysage est un métissage de l’animisme très ancien des Zars et d’orthodoxie, le thérapeute initié soigne le patient en souffrance en écoutant longuement le récit de celui-ci ; lorsqu’il entend où se formule verbalement le nœud de douleur du souffrant, le thérapeute réécrit en caractères amhariques sur un long rouleau de parchemin la partie abimée du récit mythique, essentiellement biblique, qui est colonne vertébrale du patient, de toute personne et du monde : le thérapeute recompose le paysage d’oralité où, trébuchant, le patient s’est douloureusement blessé. A un endroit de son « rouleau magique » le thérapeute dessine la figuration du génie Zar concerné par le dysfonctionnement algogène ; le centre de cette figuration et donc du récit reconstruit du monde est la paire d’yeux noirs, intenses, fascinants, envoûtants, qui fixent le patient. Dans cette thérapie le paysage de vie et en conséquence le corps qui y a souffert sont guéris au bout de plusieurs heures d’écoute puis de graphie et dessin sur le parchemin. Le patient guéri reçoit le parchemin, le roule, le porte plusieurs semaines, s’il le veut, à sa ceinture, en pleine santé.

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Dans notre paysage urbain, périurbain et campagnard, des yeux de sévérité, de confort, de sécurisation se posent sans cesse sur nous qui allons de ci de là. Surtout quand nous roulons sur du goudron au volant d’une voiture. Ces yeux, chacun vrai œil cyclopéen de génie Zar éthiopien, sont les panneaux de signalisation routière. Format géométrique très simple, un cercle, un triangle, etc., entouré d’un vigoureux liseré monochrome : ils enserrent la vie du voyageur dans une sécurité de santé. Qui ne « respecte » pas les yeux fixes de ces panneaux et enfreint leur injonction encourt blessure, mort ou punition. Le paysage est l’ « observateur » de qui s’y meut.

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Dans notre paysage urbain, périurbain et campagnard sont ouvertes devant nos yeux de très larges et multiples « fenêtres sur ». Voilà que nous les regardons et presque aussitôt nous nous penchons par elles sur un autre paysage fait de bonheur (selon une certaine conception du bonheur), fait de symboles de puissance, fait d’affectivité consolante enserrant dans la jouissance intime. Fenêtres en creux dans le paysage urbain ou non urbain. Ce sont les panneaux publicitaires. Si nous vivons en grande ville notre paysage quotidien assez oppressant est rééquilibré non pas vraiment par des yeux de Fayoum ou de génie Zar, mais par notre plongée visuelle dans les panneaux publicitaires au bord des quais du métro. Leur format à Paris, trois mètres sur quatre, dispose une parfaite fenêtre d’Alberti.

Mais il s’agit bien d’une absorption de notre personne. La totalité de cette « fenêtre » nous engloutit par anesthésie et envoûtement magique vers un monde de santé, à vrai dire non pas psychique mais de jouissance matérielle infantile immédiate : gavage consumériste.

En creux dans le paysage urbain ou non-urbain la fenêtre publicitaire tyranniquement engloutit celui qui se croit « observateur », l’engloutit vers une compulsion d’achats supposés jouissifs. Le panneau publicitaire sur le quai du métro ou au bord de la rue ou de la route est une paire d’yeux voraces d’une hyène, bien sûr prédatrice, très observatrice, qui n’attend que notre imminente cécité.

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Vermeer par sa courageuse Vue de Delft en 1660 et ses collègues hollandais nous faisant nous pencher vers un lointain par une petite fenêtre figurée au fond du tableau, Canaletto un siècle après à Venise et ses nombreux collègues védutistes, tous organisent un paysage peint brillamment anthropisé. A présent on admire, muséalement et académiquement, leur maestria. Mais Vermeer et Canaletto n’ont pas ouvert des fenêtres pour des touristes cultivés qui, nourris d’idéalisme platonicien, se rendraient dans un Musée qui, de toute façon, était encore loin d’exister. Ils ont peint pour leurs clients. L’armateur ou le négociant hollandais a besoin d’une forte image murale qui en impose au collègue qu’il reçoit, et lui démontre que dans cette belle maison bourgeoise d’Amsterdam on est puissant au point de maîtriser le monde : on intimide par une calme assurance à poigne d’acier. Les doges, très efficaces négociants de Venise en import-export, font en pleine brume indéterminée et au milieu du marécage lagunaire informe surgir sur les murs de leurs Palazzi leur contre-paysage de commande, leur fictif et très précis paysage qui en impose, lui aussi, au commerçant arrivant de la Méditerranée orientale ; la négociation commerciale, exact inverse de la dialectique socratique, brio de la sophistique que Platon récuse à toute force, invente le décor peint en forme de faux paysage avec de vastes cieux où la valeur de la parole s’évanouit en vapeur de prestige et de pression.

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En vue directe sur le paysage, effectivement platonicien, de son admirable parc, les salons du château de Versailles présentent, au mur ou au plafond, leurs peintures virtuoses et redondantes de paysages autres, ardemment mythologiques : tous ces paysages peints cherchent à enfoncer dans les yeux et dans le cerveau des courtisans, des ambassadeurs étrangers, des visiteurs actuels, l’exaltation de la puissance belliqueuse du Roi-Soleil et la sursaturation de sa richesse. Artifice pictural paysagé du salon enchâssé dans l’artifice végétal paysagé du parc, le paysage peint encadre voire écrase l’hôte de la nation rivale et marque au fer rouge l’âme du fils ou petit-fils d’aristocrate dont très peu de décennies plus tôt le parent se précipitait dans la Fronde pour tenter de jeter bas le pouvoir se centralisant et se concentrant du jeune roi.

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Le Musée n’est pas exactement le lieu où voir peint un paysage avec son horizon ; il est un dévoiement spécifique de la figuration d’un espace naturel ou anthropisé : sa spécificité est un certain idéalisme platonicien qui engendre l’esthétisme. Or cette Idée du Beau est un artefact local et temporaire ; il n’est ni universel ni éternel, quelque force académique qu’il mette à prétendre l’être.

Mais ce qui semble bel et bien rester permanent tant dans le « paysage » ou l’espace quotidien que dans la figuration peinte sur toile, papier ou mur, c’est avant tout une puissance d’action de ce paysage, réel ou fictionnel.

Je me permets de renvoyer ici le lecteur à mon article de 2017  : L’Image au mur agit | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) . Le propre du « paysage », donc de l’espace, et de l’image est d’avoir toujours une fonction performative car leur substance appartient irréductiblement à l’animisme. L’image sur le billet de banque ou dans le livre en regard de la page à texte imprimé ou sur une grande affiche publicitaire ou à la voûte de l’abside est toujours performative ; le paysage naturel ou urbain est toujours performatif. C’est elle, c’est lui qui regardent celui qu’une formulation drôle tant elle est superficielle nomme « observateur ». L’image paysagière et le paysage bourdonnent d’intentionnalité polyphonique. L’incessante interaction entre espace-paysage-image et « observateur », est toujours bi-directionnelle. Elle s’appelle l’animisme.

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C’est ainsi que peut se concevoir puis se créer, toujours en espace extérieur, dans le bourdonnement d’un « paysage », à ciel ouvert, le dialogue du poème calligraphié, œuvre qui est sédimentation du regard du paysage sur moi et de moi sur lui.

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Calligraphiant dans le haut du versant nord de l’Estrop, août 2012

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Calligraphiant au Glacier Noir, devant la face est du pic Coolidge et la face sud de la Barre des Ecrins, 26 juin 2022

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Yves Bergeret

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Mains solides

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Voici la splendide version italienne de ce poème, par le poète Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2022/12/31/lo-sguardo-che-ascolta/ (en deuxième partie de cette publication italienne)

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1

Entre la paume et le dos de ta main

l’étranger glisse la lettre qu’il n’ose t’écrire.

Alors tu ouvres tes doigts.

Aussitôt l’océan t’incruste le sel qui a mangé son frère noyé.

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2

Au troisième barreau de mon corps

se repose l’enfant martyr.

Au cinquième la parole devient plus fidèle que le granit.

A quoi nous fera accéder ce corps-échelle, nul ne sait.

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3

Chaque expiration mienne te répond.

Je n’ai pas de contour privé.

Les montagnes sont mes talons.

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4

Dans la nuit de la ville,

sois ma bougie,

dans le souterrain du port

où tous crient à la fois.

.

5

Tu as cherché au creux de tes coudes

et à l’arrière de tes genoux

le meilleur visage de ceux qui s’accrochent

désespérément à toi.

Mais ils sont toujours partis,

tombent ailleurs, dans le pré bruyant,

dans l’atelier mécanique où on dépèce

la parole et ils n’ont plus ni père ni mère.

.

6

Plus je monte

moins je vois que l’on verrouille les portes.

.

7

As-tu écouté l’ombre et son pas tremblant

au bord du vide ?

Ce qu’elle dénie, l’as-tu relevé

et en as-tu mis au soleil le sourire ?

.

8

J’écarte la menace, son sabre, son insulte.

Je remonte l’avalanche à son surplomb.

Tout l’espace est humain à présent.

Ni borne ni enclos.

Juste la ronde du rire.

.

9

Les montagnes se sont mises en route.

Les torrents remontent les pentes.

Il ne reste de neige que dans ma gorge

mais derrière la crête tu chantes avec mon fils,

ta main calleuse trouve le chemin de ma main calleuse.

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Yves Bergeret

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Tables de bar

Poème créé à Die le 4 septembre 2022.

1

Est-ce que c’est l’océan qui afflue reflue ici,

est-ce que c’est la longue kermesse qui bouillonne,

est-ce que la grande pâte humaine

ici sur elle-même se pétrit,

est-ce que frêne, tilleul et érable s’y inclinent,

est-ce que quelque digne récit monte

depuis les tables

où s’appuient des coudes,

s’emplissent se vident des tasses,

s’appuient des fronts éreintés,

accostent des barques surchargées ?

.

Et l’espoir enfle à nouveau l’océan

et la kermesse ne veut plus de dieu

ni de ces choses de pacotille

ni d’Arturo Ui braillant

ni de ce monde de marchandises

mais veut s’il vous plaît un peu de fraternité.

.

2

Vaste échelle

dont chaque barreau est une table

la table de la jeune femme à voix grave

la table des vendangeuses espagnoles

aux épaules cuites de soleil

la table des mères aux enfants juste sortis de l’école

la table du bégaiement cherchant la clef des vents

la table des plumes que perdent les oiseaux

et la table vide.

Qui doit toujours rester vide.

L’ordre des barreaux n’est pas dit.

La table vide tient au milieu

là où reprendre souffle dans l’ascension

ou dans le récit.

.

3

Où dresser l’échelle, où l’appuyer ?

Pas de stabilité.

Il penche, le sol.

Les tables en tremblant à peine

s’agencent sans cesse en barreaux peu stables,

en écailles de tortue.

On les croit soudés. Mais non.

Toute tortue bouge.

Soudure, ce serait féodalité, esclavage,

prière à genoux avec un bandeau sur les yeux.

.

Les tables bougent,

plateaux d’ivoire, de salive, de kératine,

lourds miroirs conservant renvoyant inversés

phrases, rires, certains gestes des mains.

.

Les tables bougent,

cartes du jeu battues et rebattues

et le jeu jamais ne se clôt.

Façades tout autour, clochers, toits, cheminées,

veillent, attendent les butées

de la grande dramaturgie

que par scènes et actes scandent les tables.

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Yves Bergeret

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REBONDS, 3ème cycle, Genèse

Du 12 au 14 juillet 2022 j’ai créé et calligraphié, avec les mêmes techniques et mêmes supports (215 cm de haut par 60) que pour les deux premiers cycles, les six poèmes de ce troisième cycle, Genèse. (On se rappelle la dynamique des deux premiers cycles : https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2022/07/19/rebonds-1978-2022-oeuvre-au-long-cours/)

En cette mi-août, mon travail a été toujours porté par l’esprit du Glacier Noir, tel que dans le deuxième cycle de Rebonds, mais aussi par l’esprit de la Résistance, du respect absolu du dialogue et de la parole donnée : personne humaine, même naissant au monde, et montagne se respectent et s’écoutent vraiment, se grandissent, grandissent ensemble.

Le lieu même de cette création était parfait : l’ancienne école d’Aussillon, qui fait depuis une quinzaine d’années fonction de centre d’art communal, au pied de la Montagne Noire, dans le Tarn entre Mazamet et la très belle ville de Castres ; je ne saurais assez remercier Paul Foursin, de l’association Ha Ha Art, et Jeanne Gleizes, présidente de l’association : ainsi que Danièle Mailhebiau.

Le 31 août 2022 Genèse en ses six très grandes calligraphies est présenté à Die, grâce à Anne-Marie Poncet, à qui j’adresse de vifs remerciements.

Le poète Francesco Marotta traduit Genèse en italien dans une très belle version que voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/09/05/genesi/

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1

Tu nais,

en trois bonds lumineux

la montagne vient habiter sous ton front.

.

Tu nais,

le torrent t’offre ses cordes vocales.

Vous vous parlerez avant la neige.

.

A peine ouvres-tu les yeux

certains nuages déjà t’emportent sur leur dos.

.

Dans tes yeux sombres veillent plusieurs montagnes,

celle aux sources rouges,

celle au lait profond,

ou celle à profil de vent du large, du grand large.

.

*

2

Disponible aux serres de l’aigle, voici le granit.

.

Libre fissure dans la paroi verticale.

.

Béante, la brèche, béante à la ruée du vent.

.

Voici bouche future,

déjà un murmure, un prologue.

.

A toi de mettre en récit

mont et piémont

et combe et moraine,

sombres et clairs

.

épaules fines ou larges,

marines ou réelles,

solaires ou d’apnée…

.

*

3

Les torrents grondent,

l’avalanche à rebours cherche le vent, l’aube.

Les sabots du ciel

cognent contre le granit.

La montagne, est-ce qu’elle s’écarte ou se réunit ?

« Mes bras, dis-tu, sont courts

mais savent.

Ma salive lie les pierres.

Je n’ai pas le temps pour le doute.

C’est moi qui ouvre le socle de la montagne.

Mes bras lui ouvrent une baie

où l’océan accourt,

voici un port, des quais,

c’est ma fable claire. »

.

*

4

« Je marche sur l’eau.

Mes pieds, dis-tu, sont des barques.

J’éclabousse, j’asperge, j’abreuve la montagne,

elle grandit, arbre exubérant

vacillant vers… »

.

*

5

« Dans les feuilles de l’arbre, dis-tu, je souffle.

Quel alphabet palpite dans mon souffle !

Elle grandit, la montagne, arbre gris et or.

A mon souffle son tronc s’apprivoise

et jusqu’à mes genoux s’incline ».

.

*

6

« L’ancre, dis-tu, je l’aime, l’embrasse, je la laisse

et le souple tronc se relève,

bondit à ses quatre mille mètres.

Qui est l’ancre, elle ou moi ?

La mince espèce humaine,

juste graines minérales et minotières,

un peu de bris, de grincements de dents

entre les lèvres du monde assoiffé de sens…

mais torrent, neige et glace

se précipitent, ah l’avalanche

qui frissonne

par mes bras grand ouverts,

qui maçonne. »

.

*

*

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Yves Bergeret

*****

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*

REBONDS 1978-2022, œuvre au long cours, en 3 cycles

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On se rappelle comment huit de mes poèmes de montagne de l’été 1978, édités dans mon premier livre, Sous la Lombarde, en 1979, vivent de vastes rebonds ; avec la même vitalité claire et nécessaire que celle libérée par Xenakis dans sa pièce Rebonds B, pour percussions. Ces huit poèmes parlent avec les montagnes de l’Oisans et des Cerces sur lesquelles je grimpais depuis 1962 et n’ai ensuite jamais cessé de grimper. Puis le compositeur Edison Denisov les a mis en musique, sous le titre Légendes des eaux souterraines, pour un choeur a capella, en 1989.

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Pour donner encore plus d’ampleur à ce dialogue de 1978 et 1989 avec l’espace, j’ai calligraphié au cœur de ces mêmes montagnes mes huit poèmes originels en très grand format (215 cm de haut par 60 de large) en mars 2022, en créant toujours ces calligraphies dehors, sur le sol, sous le soleil, sous le vent.

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J’invite à relire la présentation de ce premier ensemble : https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2022/05/14/rebonds-vie-et-metamorphose-de-huit-poemes-de-montagne/

Voici ces huit calligraphies de mars dernier :

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Le poème est un acte, et très peu une contemplation, encore moins un rêve d’évasion. La montagne n’est pas un « paysage » sublimant mais un lent et profond mouvement de vie : je l’écoute, je le perçois, je l’approche. Le poème, en particulier dans son geste graphique et dans son déploiement sonore, rejoint la dramaturgie de ce mouvement, sœur de celle du Prométhée enchaîné d’Eschyle. Le poème déploie, élance la parole, libre, désentravée. Il va, il agit, il construit.

Dès la fonte des neiges je suis retourné, en mai de cette année, vers les plus hauts de ces sommets, créant huit fois un poème de ce temps ; ce poème naît de mon dialogue d’aujourd’hui avec ces sommets, je le calligraphie, en format identique aux premiers, sur la moraine, sur l’alpage, sur une dalle rocheuse. Ainsi rebondit à nouveau la parole née de la montagne, dans le poème lui-même, dans le geste graphique, dans la diction, dans le son imminent de musiciens.

Voici le second cycle de ces rebonds, de mai à juillet 2022, ici photographiés ensemble à Die le 15 juillet 2022, grâce à Anne-Marie Poncet que je remercie :

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GLACIER NOIR

1

Au Glacier Noir

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1a

Il y a des barques dans le ciel.

Les montagnes de quatre mille mètres sont leurs ancres.

Qui a dormi dans les barques ?

Qui a traversé la mer ?

Qui a survécu ?

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1b

Verticale au dessus de toi

tonne la cascade

mêlée aux cris du vent.

Arrachant à la paroi mots et verbes.

Te les tendant.

Avec les plus sacrifiés d’entre nous

tu construis neuve légende.

Alors saura encore parler le monde.

.

2

Parle le martinet

.

D’une cime encore vierge

je jaillis avant l’ordre des choses.

Plus vite que rotation de planète

vers toi je vole.

.

Par l’ombre de mes ailes tu naquis.

De la faulx de mon vol

dans le chaos je te taille,

homme farouche

à l’oreille infinie.

.

Toi, homme, et moi, martinet noir,

nous excavons le minerai de la pensée,

partons accueillir

là où point de toit ne brûle.

.

3

Grimper

.

3a

Entre mains calleuses

au bout d’avant-bras noueux

et les très hautes roches raides

une fumerolle :

toi.

.

Tu as deux âges à la fois : la lave et l’érosion,

en somme deux limes radicales

comme deux fils noirs, félins.

Souples tels félins.

Ne se croisant que sur la paroi,

tels vols et cris de martinets.

.

Cris fusant du haut

traversant l’espace,

le bel espace rêche,

ivoire doré,

et tu le traverses.

L’espace pour toi

hoche sa tête.

La sueur qui tombe de son front

forme les montagnes,

gouttes de l’espace

toutes nées de ton cri double sur la paroi.

.

3b

A grandes enjambées va la montagne

sur la mer et la douleur secrète des hommes pauvres,

.

brassées d’humanité dans ton geste quand tu grimpes,

la mer porte la montagne et ton geste et le long

labeur des bâtisseurs,

la mer s’appelle montagne.

.

4

Parle qui grimpe

.

Je tends le bras gauche

jusqu’à la grotte où naît le vent,

Je tends le bras droit jusqu’au lit

où accoucha de moi ma mère.

Je serre mes dix doigts

Je me hisse, c’est la paroi.

J’en fais tomber la nuit.

J’en fais fondre les clous de souffrance.

Je grimpe.

.

Autour les autres montagnes s’abaissent

et je grimpe.

.

Mes doigts cherchent les marches inversées,

je m’agrippe et grimpe.

.

La peur tombe.

Sur la Terre aux longues jambes écartées

je serre mes doigts.

.

J’ouvre la masse.

J’allège. Je trouve le rire dans la pierre.

Dans son rire je me dissous.

Ma paroi est la porte du monde,

je l’ouvre.

.

Maternelle immense montagne

résonante et souple,

belle telle cloche d’airain

baisant l’océan en toute pierre,

grimpeur je suis son battant

cognant léger au concave

ventre de la montagne,

Je grimpe,

j’ouvre la montagne qui me hisse.

Elle et moi sommes le bourdon

du chœur de toutes et tous

qui souffrent et luttent et cherchent

sommeil si ce n’est paix,

qui cherchent à la belle étoile répit,

la nuque juste posée sur la pierre

sur la prise que je prends

pour ancre dans le haut vide,

pour ancre de ma barque sans nom,

.

qu’au bout de mon bras

je prends pour élan de ma vie

effilée dans les fumerolles.

.

5

Parle la montagne

.

5a

Ta vie : sédiments, bris, sables.

Je suis la barque que tu peux tirer sur la grève.

.

Tourne.

Je suis carène infinie.

.

Je suis ton rebond de mille

fossiles et utopies mâchonnées.

.

En ta bouche mets-moi.

Je te hameçonne.

Je te cisèle ancre.

Houle et brume s’anéantissent.

Granit seras.

.

Qui veut gravir écoute.

Entends le bourdon de mille ans.

D’encore mille ans avance-le.

.

5b

Dans la grande traversée

avec mes soeurs les montagnes,

avec mes gouttes infimes les vingt chamois,

je recueille à mon tour la sueur de l’espace.

.

Féconde

allant

je moule

le minerai de la pensée.

.

Qui veut me gravir

l’entende.

*

***

Voici enfin le troisième cycle de ces rebonds, que j’ai créés et calligraphiés à la mi-août 2022 dans un village du Tarn :

GENESE

1

Tu nais,

en trois bonds lumineux

la montagne vient habiter sous ton front.

.

Tu nais,

le torrent t’offre ses cordes vocales.

Vous vous parlerez avant la neige.

.

A peine ouvres-tu les yeux

certains nuages déjà t’emportent sur leur dos.

.

Dans tes yeux sombres veillent plusieurs montagnes,

celle aux sources rouges,

celle au lait profond,

ou celle à profil de vent du large, du grand large.

.

*

2

Disponible aux serres de l’aigle, voici le granit.

.

Libre fissure dans la paroi verticale.

.

Béante, la brèche, béante à la ruée du vent.

.

Voici bouche future,

déjà un murmure, un prologue.

.

A toi de mettre en récit

mont et piémont

et combe et moraine,

sombres et clairs

.

épaules fines ou larges,

marines ou réelles,

solaires ou d’apnée…

.

*

3

Les torrents grondent,

l’avalanche à rebours cherche le vent, l’aube.

Les sabots du ciel

cognent contre le granit.

La montagne, est-ce qu’elle s’écarte ou se réunit ?

« Mes bras, dis-tu, sont courts

mais savent.

Ma salive lie les pierres.

Je n’ai pas le temps pour le doute.

C’est moi qui ouvre le socle de la montagne.

Mes bras lui ouvrent une baie

où l’océan accourt,

voici un port, des quais,

c’est ma fable claire. »

.

4

« Je marche sur l’eau.

Mes pieds, dis-tu, sont des barques.

J’éclabousse, j’asperge, j’abreuve la montagne,

elle grandit, arbre exubérant

vacillant vers… »

.

5

« Dans les feuilles de l’arbre, dis-tu, je souffle.

Quel alphabet palpite dans mon souffle !

Elle grandit, la montagne, arbre gris et or.

A mon souffle son tronc s’apprivoise

et jusqu’à mes genoux s’incline ».

.

6

« L’ancre, dis-tu, je l’aime, l’embrasse, je la laisse

et le souple tronc se relève,

bondit à ses quatre mille mètres.

Qui est l’ancre, elle ou moi ?

La mince espèce humaine,

juste graines minérales et minotières,

un peu de bris, de grincements de dents

entre les lèvres du monde assoiffé de sens…

mais torrent, neige et glace

se précipitent, ah l’avalanche

qui frissonne

par mes bras grand ouverts,

qui maçonne. »

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Yves Bergeret

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REBONDS 6, Parle la montagne

En réponse à REBONDS 5, Parle qui grimpe, voici cette réplique en deux temps. D’abord ce poème-ci, le quinzième de l’ensemble global REBONDS ; il a été calligraphié en plein vent entre Veynes et Glaise le 12 juillet 2022 sur papier renforcé de format 215 cm de haut par 60, à l’acrylique et à l’encre de Chine.

Grâce au poète Francesco Marotta, on lit ce quinzième poème dans une splendide traduction italienne que voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/08/10/una-carena-infinita/

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Ta vie : sédiments, bris, sables.

Je suis la barque que tu peux tirer sur la grève.

.

Tourne.

Je suis carène infinie.

.

Je suis ton rebond de mille

fossiles et utopies mâchonnées.

.

En ta bouche mets-moi.

Je te hameçonne.

Je te cisèle ancre.

Houle et brume s’anéantissent.

Granit seras.

.

Qui veut gravir écoute.

Entends le bourdon de mille ans.

D’encore mille ans avance-le.

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Et ce poème, où la montagne parle encore, seizième et ultime de l’ensemble du cycle REBONDS ; il a été créé et calligraphié le 13 juillet 2022, en même lieu, mêmes techniques, même support.

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Dans la grande traversée

avec mes soeurs les montagnes,

avec mes gouttes infimes les vingt chamois,

je recueille à mon tour la sueur de l’espace.

.

Féconde

allant

je moule

le minerai de la pensée.

.

Qui veut me gravir

l’entende.

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Yves Bergeret

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REBONDS 5, Parle qui grimpe

En suite immédiate à REBONDS 1, 2, 3 & 4, poème créé et calligraphié (encre de Chine et lavis de cette encre) à Die, sur un papier renforcé en format 215 cm de haut par 60 de large le 6 juillet 2022.

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On lit Parle qui grimpe en italien dans une version libre et très inspirée du poète Francesco Marotta ; la voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/08/06/immensa-materna-montagna/

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REBONDS 1 existe déjà, soutenu par un chœur a capella en musique contemporaine (une partition remarquable d’Edison Denisov) ; REBONDS, de 2 à 5, sera créé en musique contemporaine de manière imminente avec violoncelle, voire chœur a capella, ou encore autre formation sonore ; viendra très prochainement REBONDS 6, de même. Ces sept éléments, sous l’unique titre REBONDS constitueront une œuvre vaste, au moins poétique, plastique, musicale, scénique ; voire dans d’autres dimensions encore.

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Dans la face sud de la Meije (photo H.Br.)

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Je tends le bras gauche

jusqu’à la grotte où naît le vent,

Je tends le bras droit jusqu’au lit

où accoucha de moi ma mère.

Je serre mes dix doigts

Je me hisse, c’est la paroi.

J’en fais tomber la nuit.

J’en fais fondre les clous de souffrance.

Je grimpe.

.

Autour les autres montagnes s’abaissent

et je grimpe.

.

Mes doigts cherchent les marches inversées,

je m’agrippe et grimpe.

.

La peur tombe.

Sur la Terre aux longues jambes écartées

je serre mes doigts.

.

J’ouvre la masse.

J’allège. Je trouve le rire dans la pierre.

Dans son rire je me dissous.

Ma paroi est la porte du monde,

je l’ouvre.

.

Maternelle immense montagne

résonante et souple,

belle telle cloche d’airain

baisant l’océan en toute pierre,

grimpeur je suis son battant

cognant léger au concave

ventre de la montagne,

Je grimpe,

j’ouvre la montagne qui me hisse.

Elle et moi sommes le bourdon

du chœur de toutes et tous

qui souffrent et luttent et cherchent

sommeil si ce n’est paix,

qui cherchent à la belle étoile répit,

la nuque juste posée sur la pierre

sur la prise que je prends

pour ancre dans le haut vide,

pour ancre de ma barque sans nom,

.

qu’au bout de mon bras

je prends pour élan de ma vie

effilée dans les fumerolles.

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Yves Bergeret

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REBONDS 4, Grimper

Deux poèmes créés et calligraphiés (acrylique et encre de Chine) le 26 juin 2022 vers 2600 mètres, au dessus de la Balme de François Blanc, au bout de la moraine latérale vertigineuse du Glacier Noir, non loin de Briançon, sur deux papiers renforcés en format 215 cm de haut par 60 de large, directement sous les immenses face sud de la Barre des Ecrins, face nord du Pelvoux avec son arête nord de la Pointe Puiseux, face nord du Pic sans Nom, face nord des Ailefroides, face est du Pic Coolidge, culminant tous entre 4100 et 3700 mètres ; sur eux j’allais en tous sens dans ma jeunesse, peut-être ancêtre des martinets alpins géants à ventre blanc qui strient le ciel de cette moraine.

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De ce poème, le poète Francesco Marotta crée la très ferme version italienne que voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/07/03/scalare/

Entre mains calleuses

au bout d’avant-bras noueux

et les très hautes roches raides

une fumerolle :

toi.

.

Tu as deux âges à la fois : la lave et l’érosion,

en somme deux limes radicales

comme deux fils noirs, félins.

Souples tels félins.

Ne se croisant que sur la paroi,

tels vols et cris de martinets.

.

Cris fusant du haut

traversant l’espace,

le bel espace rêche,

ivoire doré,

et tu le traverses.

L’espace pour toi

hoche sa tête.

La sueur qui tombe de son front

forme les montagnes,

gouttes de l’espace

toutes nées de ton cri double sur la paroi.

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Version complète non calligraphiée :

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Corps naissant de la paroi

fumerolle

.

entre mains calleuses

au bout d’avant-bras noueux

et les très hautes roches raides

une fumerolle en lutte,

mobile :

c’est toi.

.

Tu as deux âges à la fois : la lave et l’érosion,

en somme deux limes radicales.

Oui, telles deux fils noirs.

Souples tels félins.

Ne se croisant que sur la paroi verticale,

deux fils, vols et cris doubles de martinets

sans jamais collision ni heurt.

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Cris, sons fusant du haut

puis traversant l’espace de la droite à la gauche,

traversant, le portant, le bel espace rêche,

ivoire et gris et doré,

tu le traverses.

D’une oreille à l’autre de l’espace

qui hoche pour toi sa tête.

La sueur qui tombe de son front

forme les montagnes,

gouttes de l’espace

toutes nées de ton cri double sur la paroi.

.

Ta gorge grimpe lente

par devant la lumière,

ta gorge va l’amble

dansant

valsant

avec qui sait entendre.

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A grandes enjambées va la montagne

sur la mer et la douleur secrète des hommes pauvres,

.

brassées d’humanité dans ton geste quand tu grimpes,

la mer porte la montagne et ton geste et le long

labeur des bâtisseurs,

la mer s’appelle montagne.

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Yves Bergeret

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