Archive | Mai 2018

Cris de Die (mai 2018)

Ce cycle de poèmes se lit dans une version italienne, ferme et dynamique, du poète Francesco Marotta ; on lit cette vrai re-création en italien à cette adresse :  https://rebstein.wordpress.com/2019/06/02/la-parola-non-muore-mai/

 

 

Derrière les arbres exubérants

les crêtes violettes grandissent

et se poussent les unes les autres

comme boules au billard roulent

et strient au hasard l’horizon.

Les montagnes roulent sur le bonheur dur.

 

Derrière les arbres exubérants

les crêtes violettes ne retiennent rien

ni rage de vivre ni jet de meurtre

ni l’orchestre clair des étoiles et des ruisseaux.

 

Et cet homme jeune roule dans le jeu de billard.

Mais cet autre homme au corps détruit écoute le jeu.

Mais là-bas cet homme manchot joue hirsute,

il est la boule borgne qui roule heureuse

dans le vide follement visible

entre les arbres et les crêtes au bord de la nuit.

*

 

 

 

Entre les nuages blancs épais

là où un peu de ciel bleu irréel se voit

se faufile le martinet énergique.

De ses ailes il cogne ici un nuage

là un autre nuage, qui file.

Mais l’oiseau est plus vif,

crie pour nous tendre

à tire d’aile l’espérance l’espérance

tandis que les nuages passent épais, sots et fidèles,

miroirs fumeux de ce qui nivelle

et nous coupe les jambes.

*

 

 

 

Le ventre en sang

je descends de la colline

où les tyrans gras à griffes d’acier

envoient leurs esclaves ramasser les olives

et piller les tombes.

Par le chemin à contrevent

je descends rencontrer l’étranger

naufragé avant-hier sur notre île.

Sa naïveté, on me l’a dit, retrousse le vent.

Notre bavardage couard, sa vigueur l’écartèle

à ce carrefour des vents

où de sa promesse maison naîtra

hors d’une trahison brune.

*

 

 

 

Je vois l’enfant qui prend le nuage par le dessus

et le rabat sur la montagne en le cognant de toute sa force.

La montagne se fissure en plusieurs récits

et par le vide de ces lignes en zigzag s’effondre

et s’enfuit dans les ravins de son propre manque.

Assis sur le rocher pourpre

derrière l’ombre du tonnerre

je donne à manger à l’enfant

qui court me rejoindre en criant de joie.

 

Il dévore. Pense-t-il à boire ?

Il engloutit.

A nos pieds il laisse un brouillard de miettes,

et quelques pans de montagne sans sucre ni sel.

En fait quel âge a-t-il ? Il me répond

avoir quatre fois mon âge

et que dans la trace de ses pas j’apprendrai

où se façonne la violence, unique mère des hommes

car les hommes sont puérils et n’arrivent guère à la quitter.

*

 

 

 

Les cloches sonnent à toute volée.

L’homme aux bras maigres s’en va

avec un bouquet d’iris.

Tégu dumno abada

la parole ne meurt jamais.

Le nouveau-né crie dans sa poussette.

Les martinets au dessus du clocher

chorégraphient ses cris.

 

Faut-il vraiment des lignes de lettres attachées

pour excaver la phrase qui rend vie à la vie ?

Faut-il stylo, stèle et burin,

faut-il tailler, arrêter, inciser, adorer objet

pour que sous les gravats air et lumière

atteignent la parole ?

 

Je connais des charpentiers, des marcheurs,

des chanteuses qui ne sont pas de ceux qu’effraie

ouvrir en disant,

bâtir en écoute et lien de vent.

 

Yves Bergeret

 

*****

***

*

 

 

 

 

 

Le Quatrième jour

Ce double poème se lit en italien dans une magnifique traduction du poète Francesco Marotta, à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2018/05/11/il-quarto-giorno/

 

Avec ses cordes vocales

le ciel a pris les vents qui se querellaient.

Le ciel n’a pas de mains,

seulement des cordes vocales

désœuvrées.

Pas d’yeux non plus,

Mais il a une peau diaphane,

tendue, cicatrisable toujours.

Le ciel n’a pas d’organe vital

ni de projet.

Il a ces instruments-là, des cordes vocales.

 

En l’an mil les hommes étaient une montagne

au vaste socle gris,

une montagne avec ses quatre points cardinaux

et ses cent vingt torrents.

 

La bêtise féodale décapita la montagne humaine.

Les nuages étaient des grumeaux de sang.

Des féodaux, des brutes, des trancheurs de tête

jetaient en l’air comme des pierres

les corps de faibles, de femmes, d’enfants.

En retombant comme pierres lourdes les corps

se disloquaient et écrasaient

abris, corridors et cavernes du socle montagneux.

Il pleuvait du sang

et la douleur fut la mère de tous.

 

 

Alors des artisans ont pris le sable et le feu,

ont pris le pigment qui fait le bleu ou le jaune

et ils ont œuvré

et ils ont dressé vertical l’immense et mince écran de verre,

le vitrail, rosace lumière et couleur.

Les vents querelleurs ont eu peur

et l’ont contourné.

Alors les verriers ont dressé tout autour de lui

fines parois et fins piliers pierreux

et dans le ciel étonné

la rosace a vibré comme voile.

Effrayés les meurtriers féodaux et la guerre poisseuse

restaient de l’autre côté du vitrail en bas,

vagues et houle fangeuses où giclait à peine de lumière.

Mais avec la membrane du vitrail

les cordes vocales du ciel ont trouvé comment faire sonner

et tinter et lancer un long chant qui étonna tous.

 

A cela manquait pourtant

le sens d’un récit. Les verriers tâtonnaient.

Sous la rosace immense ils ont dressé

en vitraux verticaux tenant bien la rosace dans les vents du ciel

de très hautes effigies de forme humaine,

puissants mannequins de couleur et de lumière intense.

 

 

Sillonnant vertes vallées, carrefours et ports aux coques rouges,

parmi les légendes les verriers ont choisi

que leurs effigies humaines soient des porteurs de souffle

et des poseurs de parole sur l’éboulis confus de la détresse,

de l’espoir et de la disette : des prophètes, des diseurs.

Sous la rosace leurs effigies sont Aaron, le frère

à la langue fleurie, David aux syllabes sans peur,

Salomon l’apaiseur.

 

Alors les gens il y a mil ans

se sont resserrés au pied du vitrail de Chartres

et ont trouvé une paix chantable

car les couleurs de lumière, les effigies

et les losanges de la rosace étaient enfin

les cordes vocales du ciel réunies conjointes

pour ce qu’il apprenait à chanter

afin de soutenir la montagne des hommes

et d’enfoncer les féodaux dans ses ravins

où ils se mordaient la queue.

 

 

***

 

 

Le désert a une odeur

bien plus agrippante que quelques éclats de sel.

 

La pierre a une odeur

bien plus profonde que des incidents de burin.

 

La montagne a une odeur

bien plus âpre que telle charogne en fond de ravin.

 

Unique et universelle est l’odeur

comme le sang du deuxième jour

qui coule à flot sur le désert, la pierre et la montagne

avant de se dissimuler dans les ombres.

 

L’odeur est une et un milliard en une,

poussière du grand combat

dont ciel et terre s’entrelacèrent

et engendrèrent le désert, la pierre et la montagne.

 

Voilà pourquoi un torrent fracasse toujours

l’espace en deux avec des odeurs si amères ;

et l’ordre amoureux du monde,

on l’observe et le respecte.

 

Couards, veules et courtisans

ont bien trop peur

et cherchent partout du silence

comme un déodorant mystique.

 

Mais certains aux mains calleuses

relèvent la plume du martinet que brisa l’aigle

et le piquant du porc-épic égorgé à minuit,

brûlent et broient l’écorce de l’arbre unique,

puis à peine d’eau : voici l’encre noire ;

avec l’encre et le bout dur

ils saisissent le chemin de l’odeur sauvage

depuis le brouhaha du deuxième jour

jusqu’à notre narine droite.

 

Le chemin c’est un trait d’encre.

La narine gauche c’est l’œil unique

du désert, de la montagne et de la pierre,

l’œil qui voit le trait.

 

Je suis le troisième jour

où naît le dessin qui nous chante la légende rythmée,

merveilleuse et cinglante séquence

du tumulte odorant du monde.

 

Mains calleuses qui vous retirez dans les terriers

de l’odeur, ce matin où tracez-vous

les traits du dessin, squelettes d’os fins des ailes

qui battent dans le ciel vers le quatrième jour ?

 

***

 

 

Sont ici photographiés les vitraux du transept nord de la cathédrale de Chartres et des dessins à l’encre de Chine et au piquant de porc-épic de Alguima Guindo, Belco Guindo, Dembo Guindo et Hama Alabouri Guindo, de 2007 et 2009.

Ces dessins des poseurs de signes de Koyo sont tous initiatiques ; la plupart sont les supports visuels (exactement comme une partition musicale) de transmissions sur la « généalogie animiste des lieux de vie et d’action » du poète YB et des poseurs de signes. Certains dessins en outre montrent des rites oraux de parole d’accueil des ancêtres habituellement constamment présents ET invisibles (mais ici visibles) mêlés aux poseurs de signes eux-mêmes, accueil du poète lorsqu’il arrive au village de Koyo après une absence. La transcription de ces transmissions orales n’est pas effectuée ici, en raison de leurs grandes longueurs.

 

 

YB

 

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