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« Filtrer l’eau avant l’aube », dessin d’Antonio Devicienti

« FILTRER L’EAU AVANT L’AUBE »

encres de différentes couleurs et crayon sur papier,

14 cm de haut par 21

à Orino, Italie, le 6 janvier 2023

en écho à la dernière publication, ce matin même, de ce blog :

Calcaire et marne

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Bach. Espace. Signes   , par Antonio Devicienti

Œuvre créée le 31 octobre 2022 sur papier, au format 29,5 cm de haut par 21 ; encres de différentes couleurs, crayon, imprimante.

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Antonio Devicienti

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Sur le concept de Poésie-en-acte, dans La Maquette, par Antonio Devicienti

 

 

La version originelle italienne de cet article d’Antonio Devicienti se lit ici : https://rebstein.wordpress.com/2020/05/13/sul-concetto-di-poesia-in-atto/

 

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Délibérément je l’écris ainsi : poésie-en-acte afin que sa lecture doive aussi être effectuée d’une seule émission de souffle, tout en maintenant distincts les trois vocables. Le résultat est un seul concept constitué de trois identités concomitantes et en interaction : poésie, la création de la pensée au moyen du son, du rythme et de la parole – en pour exprimer, plutôt qu’un état dans un lieu, une modalité et une présence dans le temps – acte pour dire l’avènement ici et maintenant, le déroulement de l’action (et non pas son essence déjà survenue).

 

Ce concept et son avènement je les perçois, exemplaires dans le long poème en cours de création d’Yves Bergeret La Maquette, que Francesco Marotta traduit, qu’on me passe l’expression, presque en simultané.

 

Je trouve intéressant, ensuite, que tout ceci se produise au moyen de l’instrument de deux blogs (Carnet de la langue-espace et La Dimora del tempo sospeso ) à l’intérieur donc de l’espace du web, responsable d’une révolution anthropologique réelle et pas encore entièrement prévisible dans ses aboutissements, responsable aussi de grands dégâts sur lesquels je n’ai pas l’intention de m’arrêter – mais sur le web je reviendrai plus tard.

 

Mon analyse est qu’Yves Bergeret continue à proposer un mode de créer poésie qui ne se surajoute pas ou ne s’adjoint pas comme maquillage (quand bien même de qualité) au réel, ou qui veuille se donner à voir pour être admiré ou dont le point d’arrivée soit un livre à proposer en librairie ; mais elle se compose, à la lettre, en même temps qu’il vit, qu’il lui arrive certaines rencontres, certaines lectures, certains vagabondages dans sa ville de Die et ses environs (la splendide région du Diois) ou parmi certains lieux parisiens, normands, siciliens et, en remontant dans le temps, antillais, chypriotes, maliens…

 

Il ne s’agit pas de la tenue d’une chronique, encore moins de réalisme, mais – étant acquis l’enseignement venu de cultures dans lesquelles la parole chantée, dansée et offerte à la communauté est la manifestation même de la vie communautaire dans ses événements, la garante et le témoin de l’existence de la vie et de la communauté, étant refusé le repli solipsiste, exténué, quand bien même très raffiné mais stérile et narcissique – il s’agit d’un vrai et exact long poème qui survient au moment même où surviennent les faits, les rencontres, les incursions, les lectures qui en arrivent à constituer la raison immédiate du long poème lui-même, lequel finalement a, comme en mémoire, des significations et des rappels très vastes et complexes.

 

Il ne s’agit donc pas non plus de spontanéisme ou d’improvisation, ni de pur et simple acte performatif. Il s’agit en fait de reconnaître à la poésie une capacité qui semble souvent perdue ou oubliée : être présente dans le territoire immense et pourtant très difficile qui n’est pas l’essai, qui n’est pas le récit, qui n’est pas le théâtre (même si beaucoup de ces longs poèmes peuvent être mis en scène et être accompagnés de musique, scénographies et jeux d’acteurs), qui n’est pas la chronique, qui n’est pas le journal, mais qui est chant prêté aux choses et aux lieux, aux événements et aux pensées. Il s’agit de parole qui nomme (il semble évident que la poésie doive être justement cela, mais elle ne l’est plus depuis fort longtemps) ; il s’agit de la parole dans sa gestation (poésie-en-acte) qui trouve sa première manifestation dans deux lieux spécifiques du web ( La Dimora del tempo sospeso et le blog d’Yves), place publique désormais immensément amplifiée en comparaison de la place publique du village Toro nomu où Yves a plus d’une fois écouté et vu les femmes chanter et danser les événements de la journée, mais aussi en comparaison de la chambre quasi monacale devant la Mer des Antilles où son ami le poète Monchoachi poursuit les voix millénaires de son peuple et en comparaison des routes, des sentiers, des montagnes de Die et du Diois -et je n’oublierai pas la présence (quasi inconnue, je le crains, en Italie) d’un autre grand compagnon d’Yves, le poète Lorand Gaspar, qui chante les espaces stratifiés et vastes d’Israël et de la Palestine, et d’un désert qui, en comparaison du plus plat préjugé, est fécond d’histoires, de rencontres, de culture et est un creuset de langues.

 

Et à présent il y a un jeune architecte d’origine sicilienne qui élabore avec le poète français un projet de complexe thermal en Sicile : voici qu’existe l’idée qu’un lieu de soins puisse être soustrait à la tendance diffusée et largement majoritaire d’une médicalisation complète de notre bios, pour le rendre à une dimension de recherche de l’harmonie entre mondes intérieur et extérieur, entre vie biologique et vie mentale, entre architecture des lieux et parole. Voici qu’Yves Bergeret fait exister le projet des thermes, et la maquette que ce projet rend visible, par le moyen de la parole poétique, met en acte en termes de chant (et je dirais de danse, car la parole de Bergeret est une parole dansante) l’acte de pensée qui élabore un projet et l’acte de la main qui dessine et construit – puis sur les murs des bâtiments thermaux les mots du poète accompagneront les personnes, en confirmant combien peut et doit être concrète et efficace la parole poétique, l’acte quotidien (pas dans le sens banal) de l’existence consciente et pensante.

 

Antonio Devicienti

 

 

 

 

 

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Chocolat, suite (avec A.Devicienti et F.Marotta; et des dominos !)

A la publication précédente de ce blog, Chocolat, (  https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2019/01/17/chocolat-a-langeais-en-bord-de-loire/ ) il est utile d’ajouter ici deux éléments : la traduction d’une splendide « introduction » d’Antonio Devicienti à la version italienne du texte et, par ailleurs, une remarque sur les jeux de dominos et de cartes.

 

Tout d’abord, dans un mail du 23 janvier, pour parachever sa traduction en italien avant de la publier, Francesco Marotta me demande de lui parler un peu d’une strophe du poème ; ce que je fais volontiers. Finalement je publie ici les éléments que j’ai envoyés à Francesco Marotta. Où l’on voit que les dominos parlent !

 

Le lendemain je découvre la traduction complète en italien, sur le site La Dimora del tempo sospeso (lien : https://rebstein.wordpress.com/2019/01/24/cioccolato/ ) avec une « introduction » d’Antonio Devicienti, que je traduis plus bas ici, car elle me semble tout à fait opportune pour offrir aux lectrices et lecteurs de ce blog, particulièrement dans cette période très troublée en Europe, une synthèse sur ma démarche de création : car cette démarche n’a rien à voir avec une esthétisme morose.

YB

 

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Mail du 23 janvier à Francesco Marotta

 

Ce texte, Mail du 23 janvier à Francesco Marotta, vient d’être traduit, ce 28 janvier, en italien par ce dernier ; il a fait précéder sa traduction d’une splendide « présentation » portant en particulier sur mon attention à l’oralité et aux civilisations non-européennes. Tout ceci se lit, en italien, à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2019/01/28/domino-e-giochi-a-carte/

YB

 

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Tremble la terre

tremble la strate blanche

tremble la strate noire

seul compte le tremblement

tandis qu’à reculons le volcan

retourne ricaner

même pas dans une radicelle

du cacaoyer togolais.

 

Tout d’un coup dans le poème Chocolat, changement de ton avec l’arrivée abrupte du jeu de dominos. Mais ce n’est pas du tout par hasard. L’énorme Cahier de commandes de chocolat, farine et brioches est, en fait, une grosse Bible populaire (mais illisible et quasi secrète) qui gère l’ordre du monde, social, rituel, alimentaire, économique, etc. C’est une Bible vraiment car elle repose sur une double rupture originelle et fondatrice de temporalité : la première c’est la captation coloniale de la graine de cacao pour en faire un produit de luxe européen ; la seconde c’est le péché de gourmandise des chrétiens. Et voilà que ce Cahier avec son maillage très dense (comme une partition de chef d’orchestre) met en ordre l’humanité damnée.

 

Mais cette rude humanité a des bouffées de libération ; la bouffée la plus pratiquée est le carnaval. Mais il y a aussi les jeux de hasard où ce n’est pas un dieu qui oriente tyranniquement l’histoire de l’humanité grande ou petite ; le jeu de hasard le plus universellement populaire (s’il n’est dévoré par la corruption et la mafia) c’est le football où la foule hurle au fur et à mesure des cinq actes de cette énorme tragédie grecque antique dont le dénouement appartient, non pas au dieu, mais à un ballon et à des chevilles de jeunes cinglés qui courent dans tous les sens – les dieux sont dépossédés de leur tyrannie.

 

Et surtout à petite échelle il y a les jeux de carte et, encore mieux, les jeux de dominos. Bien plus que l’intelligence des joueurs, le vrai dieu c’est l’absence de tout dieu, c’est-à-dire le hasard. Le rythme de la tragédie c’est silence, cris, silence, cris, silence, cris, silence et hurlements finaux. Mais tout est rythmé par les poignets ou les côtés de mains qui cognent fortement le plateau de la table ; le domino est encore plus efficace car il constitue un petit instrument à percussion.

 

Regarde les joueurs de cartes ou de dominos, Francesco ; ils tiennent des petits registres de jeux, quelque fois une simple feuille, sur lesquels ils écrivent en signes quasi illisibles les « points » gagnés par les uns et les autres pendant la partie. Et le déroulement percussif, musical, sonore, choral de la partie est exactement la même chose que ce que dévoile ou indique le Cahier du Chocolatier.       Voilà nos joueurs de dominos qui sont des petits démiurges qui théâtralisent tout d’un coup leur liberté très éphémère, en tapant sur la table.

 

Tu viens de retraduire en italien le Poème de l’Etna ; l’Etna c’est le dieu de culpabilisation, mais les joueurs de dominos, en jouant blasphématoirement, le font fuir. Et ici, Francesco, je te raconte des épisodes merveilleux avec Monchoachi. A la Martinique, au pied du volcan (chaque île en a un), quand nous le pouvions nous allions dans les endroits que les touristes ne voient absolument pas : les auvents à dominos. Au retour de la pêche artisanale nocturne, les pêcheurs dorment quelques heures, puis vont au bar boire un ‘ti-rhum » (un verre de rhum très fort) puis vont à cet auvent. Il est construit avec les bouts de bois des barques détruites par les tempêtes. Et là, des parties effrénées de dominos, bruyantes, uniquement en créole et qui se terminent toujours par un aphorisme, un proverbe, une formule orale, en créole bien sûr, qu’improvise devant ses compagnons de jeu celui qui vient de gagner la partie. Monchoachi et moi adorons cette extraordinaire créativité de la poésie orale.

 

Or ces aphorismes s’adressent, c’est ainsi que je les ai toujours compris, au destin qui a broyé des familles entières dans la Traite des Noirs vers les plantations coloniales, s’adressent au dieu de mort et aussi aux « loas » (les dieux vaudou), aux ancêtres ; ces aphorismes subvertissent tous le destin. Ces auvents à dominos sont en général sur les côtes atlantiques des îles, et non pas face au Mexique, et s’adressent à l’Afrique perdue.

 

J’ai vu à peu près les mêmes rites de jeux de dominos en Kabylie et à Chypre. De véritables rites…

Face aux cris et au jeu théâtral de révolte et de dignité le gros dieu massif, le volcan, se sent ridicule, est ridicule, veut disparaître dans une petite racine de cacaoyer (de l’arbre qui donne cette graine à rêve) ; mais bien sûr rien ne se passe. Ce qui se passe c’est juste le rite de subversion. J’ai écrit la fin de cette strophe un peu comme un rebond de proverbe créole sur lui-même, un jeu sonore et verbal, un petit bout de Queneau ou d’Oulipo, une fantaisie rythmique très libre. Je ne pense pas que le cacaoyer pousse au Togo. En Côte d’Ivoire, ah, si ! mais le plaisir farfelu et insolent de dire cacaoyer togolais, pour l’oreille française, c’est jubilant !

Autrement dit en italien, où je connais si peu de choses…, j’imaginerais bien sûr ce sens politique et social mais dans une sorte de délire jubilant de cantastorie !

 

J’ajoute enfin, Francesco, que sur une des trois photos tu vois quatre vieux joueurs acharnés de dominos, bien sûr grands acteurs de théâtre !, dans un petit bar kabyle à Paris juste à côté de l’atelier de Giacometti. Et sur la table avec la tasse de café, une gouache d’art brut (une « voiture de course ») que je venais d’acheter à Guillaume que j’avais vu sur le trottoir dans ce quartier une heure avant.

Les deux autres photos sont dans un café portugais et un café serbe, toujours très près de l’atelier de Giacometti.

 

 

 

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Introduzione

 

 

Introduction d’Antonio Devicienti, publiée en italien le 24 janvier 2019, en ouverture de la traduction de Chocolat par Francesco Marotta sur le site La Dimora del tempo sospeso.

 

Le mode le plus récent par lequel Yves Bergeret crée un poème est l’ « occasion », entendu comme rencontre, expérience, élément concret qui met en mouvement l’écriture poétique et imaginaire – écriture qui est aussi « pensée poétisante » (j’emploie l’expression, bien sûr, à Antonio Prete, interprète de Leopardi) ; pensée qui possède déjà sa robuste et noble articulation, en liens étroits avec de précises références historiques, anthropologiques, culturels, éthiques.

 

Nous lisons ensemble ce Chocolat (à Langeais, en bord de Loire) et nous rendons aussitôt compte que l’élément de départ (l’ « occasion », justement) est la visite (par hasard) à une pâtisserie qui s’appuie sur une longue tradition dans la production de chocolat, reprise par les gestionnaires actuels et qui se concrétise en un énorme « livre de commandes » à aspect de missel ou de psautier qui, à mieux regarder, assume tous les caractères d’un livre alchimique et, en même temps, d’un document d’histoire. La prose poétique qui présente l’ « occasion » et les prémices des textes poétiques qui vont suivre possède une grande beauté de langage et manifeste la capacité du poète à interpréter les signes et les informations contenues en eux – et on a bien à l’esprit que l’écriture de Bergeret ne donne JAMAIS dans l’esthétisme ni l’exotisme ; car, en plus, elle part toujours de la conviction (élaborée au fil des décennies d’études, de voyages et de rencontres) que l’Europe et l’Occident doivent se débarrasser de leur péché d’esthétisme et d’exotisme qui, dans le domaine de la culture, est la manifestation directe du colonialisme et du racisme : ils ont caractérisé pendant des siècles l’Occident dans ses rapports avec l’Afrique, l’Amérique centrale et du sud, l’Asie et l’Océanie – conviction que d’un tel péché Occident et Europe doivent enfin se purifier.

 

Ici est le noyau éthique, absolu et incontournable, d’où s’élance toute l’œuvre de Bergeret ; cette œuvre sait s’imposer comme art de haut niveau et art innovateur grâce aux qualités de création et de formulation poétique d’une écriture immédiatement reconnaissable : elle s’inspire consciemment de la tradition orale (pas seulement européenne, ou plutôt européenne pour une toute petite part en conséquence de la réduction progressive de la tradition orale sur le vieux Continent) et d’une de ses racines les plus anciennes, la performativité. C’est pour cela que, cohérents comme « juste des vaguelettes au bord de l’oralité », les vers peuvent se déployer l’un après l’autre comblés d’enthousiasme et d’émotion, s’imprégner des traditions des divers peuples de la planète, se faire, selon l’image très chère à Yves, « carène » d’une embarcation commune en chantier, ou bien (mais le sens est le même) « maison commune » des humains.

 

Je sais, car nous en discutons souvent en privé, combien Yves déteste les scories d’une poésie exténuée dans ses propres raffinements et élégances, d’une poésie donc affectée et enfermée sur elle-même, asphyxiée et asphyxiante ; toujours, le poème bergeretien, au contraire, s’envole et s’élève et élance l’esprit en prenant élan d’une apparente simplicité et d’une immédiateté expressive : mais cela est dû au rythme oral qu’Yves a toujours même quand il écrit. Il en conserve personnelle expérience en ayant écouté (et vu) plus d’une fois les femmes de Koyo, par exemple, danser et chanter des faits survenus quelques d’heures plus tôt en les transformant en une vraie et spécifique re-création épique, ou grâce à la profonde amitié qui le lie au grand poète martiniquais Monchoachi.

 

Le « dieu à qui on n’a pas appris à lire » et « l’universalisme à la française » sont alors des expressions cohérentes avec l’idée anti-monothéiste (c’est le monothéisme qui fonde et justifie racisme et pensée unique) et avec le refus déclaré d’un mode « français » (mais comprenons aussi bien : « occidental ») de rapport au monde et aux cultures non-européennes. La « fève » de chocolat, en fait, est le véhicule aussi bien linguistique qu’historique sur lequel voyage ce cycle poétique de Bergeret, liant la France à l’Afrique, renversant le rapport entre colonisateur et colonisé, rappelant à beaucoup de lecteurs oublieux que le précieux art français du chocolat doit énormément à un produit qui vient d’un autre continent, cultivé et cueilli par des journaliers esclavagisés – alors apparaît avec évidence le parallèle avec un certain mode de conduite des intellectuel européens, raffinés et cultivés, mais oubliant qu’ils construisent leurs inoubliables œuvres sur la souffrance et l’exploitation de millions de personnes. Toute l’œuvre de Bergeret se fonde sur cette conscience (que l’on lise et relise ici le dernier texte du cycle), ainsi que sur la réflexion autour du rapport entre livre et oralité, entre écriture et parole : ce pourquoi il n’y a vraiment rien dans l’expérience quotidienne qui ne puisse être transposé en poème : et non pas, comme il arrive souvent en Italie, dans un style descriptif et banalement prosaïque, mais avec la confiance dans le chant , autrement dit dans la rythme de la pensée, danse du temps narré (les textes d’Yves possèdent toujours une très vaste ouverture spatiale et temporelle et ses mots semblent même des corps dansant), cérémonie officiée par l’être humain qui, en chantant, se reconnaît à l’intérieur de la « maison commune ».

 

Antonio Devicienti

 

 

 

 

 

 

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Du Bar de Chatillon-en-Diois et d’autres lieux, d’Antonio Devicienti, (à Die, avril 2018)

Ce vaste poème, commencé à Die dans la Drôme, est dédié à Yves, Elma et Giulia. Les lieux sont Die, Châtillon-en-Diois, Saillans, Crest, l’Abbaye de Valcroissant, les cours d’eau Drôme et Bez, qui apparaissent ici plus ou moins transfigurés, tout comme bars et maisons, même s’ils existent réellement. Les personnes sont celles rencontrées, dans la réalité ou en rêve, durant le trop court mais splendide week-end de Pâques à Die ; le « philosophe-mathématicien » est Marcel Légaut.

 

Ce vaste poème veut être un nouvel hommage à la France et un remerciement pour l’exquise hospitalité qui nous a été offerte par le Poète de la Langue-Espace et par les personnes qu’il nous a fait rencontrer.

 

Au moment précis où je finissais d’écrire ce vaste poème, Yves Bergeret publiait sur son blog un très beau texte construit autour des deux frères charpentiers et une des maisons (celle de la poutre maîtresse) sur lesquels moi aussi j’écris dans mon vaste poème :

[https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2018/04/10/le-bois-de-vie-a-crest-avril-2018/]

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La version originale de ce vaste poème se lit en italien à cette adresse :

https://vialepsius.wordpress.com/2018/04/10/del-caffe-di-chatillon-en-diois-e-di-altri-luoghi/

 

Le patron du bar ex-clown ex-trapéziste

saurait raconter des centaines d’histoires

si le client, entré pour un café,

le lui demandait.

 

Qui regarde les murs doublés de bois délavé,

les tables des années cinquante,

les photos encadrées d’un cirque

désormais abandonné,

pourrait déduire quel homme il est, en réalité,

sur le seuil du vaste poème.

 

S’entrevoit dans son dos

entre le présentoir des biscuits et l’horloge au mur

le temps pendulaire de l’écriture.

 

Il y a un torrent qui jaillit

impétueux d’une gorge rocheuse

comme le fait parfois l’écriture

après de longs moments d’ennui et d’attente

et le temps à nouveau s’ouvre en multiples temps

et les temps denses s’entre-tressent,

vannerie de la parole.

 

S’asseoir avec le mathématicien-philosophe de Valcroissant

au bord du pâturage

et y voir arriver une famille

de saltimbanques et de comédiens de l’art,

partager avec eux un pain cuit

dans le four de l’Abbaye,

puis ils étendent à terre des nattes de laine,

autour du feu ils se blottissent pour dormir.

 

La lumière du crépuscule illumine encore

les pierres grises de l’Abbaye, la rosace,

les marches, le visage du philosophe-mathématicien

dont les yeux

tant et tant d’années ont lu les siècles et veillé

dans de vastes prières, dans des pensées

dépourvues d’inimitié.

 

C’est alors que l’ex-clowm et trapéziste,

gardien du vaste poème,

en dansant comme désarticulé

sur les gouttières du toit saisit la lune,

la tirant à lui de biais

s’y enfonce en riant

y fait mille cabrioles,

s’y pend la tête en bas.

 

Parce qu’il y a un poutre maîtresse,

bien faite, splendide en bois bien travaillé,

une poutre à épouser les murs

très anciens, il y a un grand toit

à réparer et à remettre en place ;

 

deux frères charpentiers capables

de soulever l’immense poutre

jusqu’à la cime solaire du bourg

(« à l’école on s’ennuyait », dit l’un)

(« la vieille maison archipleine de choses

était une boîte à merveilles », dit l’autre)

invitent le gardien du vaste poème

à nous mener promener au dessus,

à nous faire encore sauts et cabrioles,

grimaces et galantes révérences.

 

– et il y a un rappel de la pierre à la pierre,

chacune extraite de la montagne,

de la pierre au bois, il y a la vie

(sacrée) des fontaines au centre des villages

pour la soif des animaux et des hommes,

pour la lessive et la vaisselle,

pour désaltérer l’esprit

qui regarde l’eau surgir et couler

des robinets antiques, dans des vasques

de pierre ouvragée, au long de canaux

qui rendent l’eau à la terre.

 

 

Tu le sais : chaque fissure de la vasque

de la haute fontaine, chaque intervalle

entre les pavés, chaque vitre

de fenêtre ancienne rappelle l’arrivée

des camionnettes militaires,

les maquisards regroupés sur la montagne

(ce n’est pas l’histoire passée, c’est le souffle au cœur du présent),

les rafles

et les fusillades.

 

Et l’écriture, qui écoute la noble

exquise dame qui nous accueille

et nous raconte des épisodes de la Résistance,

se réchauffe au soleil du début de l’après-midi,

se laisse conduire par elle,

autre gardienne du vaste poème

par seule vertu de parole humaine et narrante

au long des routes de France

à l’intérieur d’une maison de très anciennes pierres

et c’est ainsi que tu apprends : jamais soumis,

jamais esclaves les gens de ces vallées

et de ces montagnes, conscients

de génération en génération,

fidèles aux enseignements de la montagne.

 

Le Poète de la Parole-Espace

qui a les sentiers de haute montagne

et les parois verticales pour

pages où écrire le souffle

de l’ouvert et de l’immense

raconte lieux et personnes –

sa maison marquée par les pas

et les sillons de générations et générations

tout en haut d’un escalier long

et étroit s’installe au-dedans de remparts

millénaires, se suspend

sur une voute

et la ruelle au dessous a la lumière

des traversées.

 

Encore des poutres (les maîtresses,

les secondaires, les centaines de planches

clouées pour former le plafond de la chambre)

pour une maison travaillée

paume à paume par des mains savantes

( m’émeut toujours le savoir

des mains ) : encore un mouvement

pendulaire d’ici, de nouveau, à Valcroissant.

 

 

Tortueuse la route,

mais l’ermitage sait être au cœur

de la communauté, de l’histoire.

 

L’étable adossée à l’Abbaye,

la réserve de paille et celle de bois.

Le philosophe-et-mathématicien vient vivre ici,

la famille et quelques amis avec lui :

le travail ( qui salit les mains

et laisse puanteur sur les vêtements )

alimente l’esprit, enflamme

la réflexion.

 

Il s’agit de trouver des chemins neufs pour la pensée,

alors on la cultive paume à paume,

on l’ouvre dans le silence qui

la nuit et jusqu’à l’aube monte jusqu’aux

crêtes enténébrées des montagnes,

qui de l’aube tout au long de l’arc

de la matinée descend sur la vallée

ouverte, puis l’après-midi s’adoucit

au toucher des prés qui furent teints

du sang des maquisards.

 

Et voici une librairie, nécessaire,

et un acte libertaire, un lieu

dont les livres surviennent pour être

offerts aux mains gourmandes de lecteurs

qui les ouvrent, les feuillètent…

 

Le village a balcons et fenêtres

ouverts à la lumière, une rivière

enthousiaste d’exister

et encore une fontaine où

le pas de la soif est celui de la lecture.

 

Et voici un bar populaire, nécessaire,

où les gens parlent de politique

et de leurs métiers, de réunions et de paris.

L’ex-clown-trapéziste ne voyage plus

depuis des décennies, passe un chiffon

humide sur le comptoir et bien sûr se rappelle

le fourgon Citroën jaune avec lequel arrivait

le courrier :

 

 

je vous écris d’endroits où

les élagueurs se transmettent un métier

vieux de milliers d’années

et tailler pour éclaircir signifie

donner force à la vie.

 

Je peindrai les tours de fenêtre en vert clair,

planterai un olivier dans la grande jarre sur le balcon,

huilerai les gonds de la porte,

remplirai la carafe d’eau

et me mettrai à écrire sur la table dans la cuisine.

 

Le fromage a la saveur savante

des paniers d’osier tressé, le pain

la fragrance de l’intelligence.

 

Une maison (tu le sais) n’est pas

dans les chiffres du cadastre, mais dans le livre

comptable du charbonnier et dans le parfum

des armoires que l’ébéniste fabriqua

en les encastrant dans des niches du mur :

étage à étage, jusqu’aux combles

sous le toit, fenêtre après fenêtre jusqu’à la génoise

à triple ondulation, une cheminée

dans chaque chambre, les plafonniers

suspendus et les marches de bois sonore

à grimper en rythme

au fil des ans, des lustres, des décennies

 

… ou à descendre

jusqu’aux voûtes croisées des étables et

des caves, ville engloutie de

canaux, couloirs, pressoirs en hypogée, murs

mitoyens, fours.

 

Un lanterne magique projetterait

alors de très fines silhouettes de clowns

trapézistes ou de mathématiciens de Sorbonne

et de pianistes non pas sur des parois assombries

mais sur la paume de la main qui

écrit et en écrivant la main

redonnerait ces voix, ces moues

du visage à la page

carrefour des passages ;

 

très petits cimetières familiaux

en pleine campagne signes bien

visibles des siècles des guerres de religion ;

 

auvents élancés pour protéger les fours

où commence la distillation

de la lavande ;

 

la gardienne du vaste poème, encore

enfant, en apprenant à écrire

sur un cahier en recopiant un syllabaire

et pour cela le monde, à peine

né, y devient dense

et tu remercies : chaque nouveau vaste poème

est acte de gratitude envers le monde

qui vient de naître.

 

Pour le spasmodique aller-retour

oui, le monde

neuf à chaque création, vieux

à chaque regard,

les vignes taillez-les bien de tout côté

et chaque fois la langue se fait espace –

l’espace se refait langue   :

au marché contre la Cathédrale

la marchande d’épices

le fabricant de savons,

le vannier.

 

La lune d’hier soir s’est brisée

dans les lampes exposées dans une vitrine

et dans les paniers de marché en vannerie

exposés sur la place :

les amis archéologues de retour de la

campagne de fouilles au Kurdistan

racontent la dérive de la pensée

du désir d’espace et de vol,

de la neige qui, rude mais

complice, aide à franchir la frontière.

 

Le client, qui assis à une table

boit à petites gorgées son café

regarde à la dérobée le barman ex-clown

et l’homme pâle, absorbé

dans la mélancolie du journal, son

cousin : il est toujours question de frontière,

pense-t-il, ici la frontière va

entre l’obstiné voyage du cirque

et la fixité de la route départementale

qui coupe en deux le village –

entre gérer un café provincial

à moitié désert et le désir de partir

dans quelque nulle-part.

 

Mais toi, tu as besoin de passeurs fiables

maintenant que la frontière s’emballe

entre fascisme renaissant et parole ;

tu as avec toi, dans un sac de tissu,

Char et Giacometti, Reverdy et Picasso,

Thierry Metz et Jerome Rothenberg,

tous cadeaux du Poète très cher ami ;

ta fille a ramassé pour toi

 

des galets blancs dans le lit

des cours d’eau sauvages de la région,

tu reconvoques encore le gardien du vaste poème

 

qui ne connaît rien à la littérature

mais de la vie et de l’amour sait beaucoup,

de la brusque lacération de la mort,

des congés excessifs

 

et lui, essuyant un dernier verre à bière

laissé d’une tournée remontant

à des années, le pose tête en bas sur le replat

là, oui, entre le présentoir de biscuits

et l’horloge murale.

 

Antonio Devicienti

 

*****

***

*

 

 

 

 

Au Café Andarta, à Die, poème d’Antonio Devicienti

Ayant séjourné à Die, le poète et essayiste Antonio Devicienti a consacré ce poème à un des Cafés les plus créatifs et humains de la vallée. On lit sa version originale en italien ici : https://vialepsius.wordpress.com/2017/06/28/au-cafe-andarta/

*

On sait que le grand site et blog italien La Dimora del tempo sospeso fait très largement autorité en Italie. Il vient de reprendre ce poème-ci d’Antonio Devicienti, tout en l’accompagnant de la présentation que l’on va lire ci-dessous. Celle-ci en outre rappelle clairement l’orientation éthique fondamentale de mon travail. Je remercie sincèrement l’auteur de ce rappel. Il m’a paru utile de le traduire et de le proposer en avant-propos aux lecteurs francophones.

YB

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Il y a six ans, en plein été, faisaient leur apparition sur ce site les premiers textes (pour être précis, le très beau Poème de l’Etna) d’Yves Bergeret, poète et artiste plasticien de valeur absolue et reconnue, voyageur infatigable, depuis toujours en dialogue avec les cultures autres de l’Afrique et des Amériques, de l’Europe et de l’Asie, grand connaisseur des civilisations liées à l’oralité, estimé et traduit dans le monde entier. Alors pratiquement inconnu en Italie, à la louable exception toutefois d’un groupe d’artistes et d’intellectuels siciliens (et avant tous, Carlo Sapuppo et Pia Scornavacca) qui avaient oeuvré à présenter au public italien ses installations, ses « poèmes-peintures » intenses et impressionnants, en même temps que l’engagement constant du poète provençal en faveur de la cause des migrants.

A partir de ce moment son œuvre a contribué à enrichir La dimora del tempo sospeso dont il est devenu une présence constante, discrète mais essentielle, en parfaite syntonie avec son traducteur, Francesco Marotta ( à qui on doit, entre autres, un des plus beaux essais qu’il soit donné de lire sur l’œuvre de Bergeret ), et en totale cohérence avec l’intention éthico-politique, avant même d’être esthétique, qui est une des raisons d’existence du blog. Pour fêter, à notre manière, l’événement, nous préparons une petite anthologie tirée de la centaine de textes de création et de pages en prose qu’il a voulu nous offrir, sans aucune présomption critique mais en suivant uniquement le fil de l’émotion, de l’implication personnelle et des pistes de réflexion et de connaissance qu’il a su nous nous fournir dès que, il y a quelques années, nous l’avons connu et nous avons commencé à le lire avec une attention toujours plus grande.

Dans l’attente que soit conclu le travail que nous nous préparons, nous voulons partager avec vous l’hommage que lui a dédié Antonio Devicienti, sensible et très précis comme toujours, sur son blog. A l’apparence et à la description, toute en écoute et en participation, d’un lieu bien précis, le Café Andarta, à Die, ville natale d’Yves Bergeret, qui se transforme, de vers en vers, d’image en image, en un vaste portrait réunissant un poète qui nous est et nous sera toujours cher, les valeurs dont sa personne et son oeuvre sont l’expression, les mondes que nous avons connus et habités grâce à ses yeux, à ses couleurs et à ses poèmes, l’humanité que nous avons retrouvée en nous et hors de nous grâce à son exemple. (g.e.m.-rebstein)

La version originale en italien de cette présentation se lit ici :  https://rebstein.wordpress.com/2017/07/10/al-caffe-andarta/

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Au Café Andarta on va pour une bière ambrée

et des paroles d’amitié

 

au Café Andarta les pierres antiques des remparts

et le bois vivant des tables, des planchers

sont des mers profondes qui engendrent des montagnes

sont des montagnes d’écriture grande ouverte

et des livres aux murs qui murmurent des mots

tandis que le poète découpe

et colle les éléments de ses collages et écrit

peint écrit découpe et colle

 

au Café Andarta vient s’asseoir Boulgakov

et Marguerite est avec lui

 

sur une serviette en papier

il écrit au stylographe cette lettre si belle qui

semble un papillon –  – Ж

et la serviette s’envole et plane sur le

piano du Café Andarta

où Elytis joue par coeur Bach

puis la serviette-papillon devient

une carte routière de la France,

les sentiers de la Drôme et du maquis,

un livre donné, un manuscrit de René Char,

une marque de pouce dans l’argile humide,

la lampe suspendue au dessus de la table au Café Andarta,

l’appareil photo de Josef Sudek

et son bras arraché – acte de poésie,

les lunettes de soleil de Pasolini,

une mosquée de sable du Mali,

un exemplaire de Lémistè.

 

 

 

Pour Valentina et Yves

 

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***

*

 

 

 

 

 

Varèse, Baptistère & Cathédrale, avec Antonio Devicienti

*

Yves Bergeret

Les montagnes sont proches. Les grands lacs effilés sont proches. Proches sont les pentes raides couverts de forêts profondes. Les collines sont là, jusqu’au cœur de Varèse, et leurs grottes et leurs carrières. Et si on va au cœur de la ville de Varèse, on pose son bagage un moment au cœur du long voyage. On arrive au cœur le plus ancien entre les façades sévères et actives, entre les rues marchandes à arcades médiévales. On arrive au triple surprenant corps de bâtiments, la Cathédrale, un puissant campanile sombre et enfin le Baptistère. Lui est clair, modeste. Septième siècle, mais profondément remanié au treizième. De l’extérieur : hauts murs nus. Puis la porte médiévale de bois brut incisé de rudes entailles.

Le seuil, et encore quelques marches de granit rouge, usées, bon granit âpre de la montagne. On descend, comme au Baptistère de Poitiers, ces marches et on est dans ce simple cube de clarté (clarté due sans aucun doute aux restaurations récentes), cube juste adjoint d’une petite abside, elle-même surmontée d’une sorte de chapelle subsidiaire qu’on devine. Et on butte, au centre du sol, sur une grande vasque monolithique claire orthogonale, sculptée de personnages simples : les fonds baptismaux. Sous lesquels les restaurations laissent voir une très ancienne fosse baptismale.

Mais on est irrésistiblement attiré par là-haut la lumière, là-haut les à-plats çà et là de couleurs sur les hauts murs blancs. Des restes parfois assez vastes de fresques le plus souvent du quatorzième siècle, vigoureuses, fraîches, presque toutes entourées d’une petite et franche bordure peinte.

L’état actuel de conservation et de restauration donne un très judicieux effet de liberté aérienne à ce que disent traits et couleurs voguant ici parmi la lumière et le blanc. Le programme iconographique pour une  liturgie de messe ou de baptême est carrément oublié : par exemple sur des bouts de murs imprévus deux fois est peint, deux fois et séparément !, le moment unique et dramatique de la crucifixion. Des saints debout lévitent ci et là. Dans la petite abside se côtoient non sans rudesse des scènes rustiques et touchantes, une Madone qui allaite, un sauvetage des trois enfants dans le saloir par saint Nicolas, mais, de manière beaucoup plus sage, une Madone à l’enfant du quinzième, escortée d’un Jean Baptiste et d’un saint Victor.

Ici le baptême de la cuve centrale de pierre blanche projette le néophyte dans un monde actif et clair, ouvert et en cours de gestation. Ce qui donne son sens et sa nécessité au lieu c’est non pas la dramaturgie d’une liturgie, mais beaucoup plus la puissance agissante des donateurs, aristocrates et bourgeois des siècles anciens qui enjoignaient aux peintres à fresque d’ajouter ci et là des images, des traits, des effigies simples colorées en deux dimensions. Le sens du lieu, c’est énergie constructrice. Elle se voit partout.

Dans les images elles-mêmes les morceaux d’architecture simples sont très souvent représentés. Même la tête du Christ en croix se comprend dans une architecture de bois.

La matière elle-même de la peinture est une couche supplémentaire, volontaire et joyeuse ; la fresque est une pâte pigmentée posée avec détermination et elle tient bien, là très haut sur le mur blanc, là dans le coin contre l’arc d’une ogive.

Le traitement des visages va de même. Très peu de modelés, de dégradés ; plutôt des à-plats sur lesquels on trace de simples traits, comme des bribes d’écriture, la ligne d’un nez, d’un sourcil, d’une lèvre. Le visage est un élan d’écriture, voire de calligraphie, élan typé selon chaque peintre.

Or l’image principale est fortement décalée, et de côté et en hauteur. Sur le grand mur blanc à droite, là-haut une frise des douze apôtres au dessus des restes d’une autre frise de grands personnages moins identifiables.

Tous les personnages lévitent, pieds nus écartés. Minces, sur un large fond bleu, frère optimiste du bleu de Giotto à la chapelle Scrovegni de Padoue. Aucune dramatisation. Presque toutes les têtes, juvéniles et aux traits dessinés simples se tournent de trois quarts, échappant à la pause impérieuse. Les apôtres tiennent tous en main un livre ou un parchemin non ouverts, textes du savoir futur. Mais à la différence du fond que Giotto peignit à Padoue, le fond ici n’est pas que bleu. Il va d’une bande ocre derrière les pieds nus, à une bande brune derrière les jambes à la large bande du ciel bleu derrière le reste du corps. Le sol est minéral, les longues dalles de pierre et les sols de terre dure existent ici. Exactement comme le tout dernier Malevitch dresse ses silhouettes hiératiques devant des bandes horizontales monochromes, sol puis ciel livide. Exactement comme dans le nord du Mali les esclaves de Peul à Nissanata ou à Nokara, les femmes Songhaï de Dakka et de Hombori couvrent leurs murs intérieurs de fermes bandes horizontales avant d’y tracer des signes. Le monde est stable et bâti. Si comme dans les grandes mosaïques de Ravenne la « théorie » des grandes effigies impériales ou sacrées en impose, pourtant ici leur grâce est libre et légère ; elle vient danser sur un monde en construction, pierre et ciel.

Et l’on revient vers la petite abside aux modestes fresques presque naïves : ce qui ressort alors de son espace plus intime c’est la liberté de la disposition des images comme un jeu de cartes distribuées avec une juvénile énergie, avec leurs bribes d’architecture figurée, avec la santé des visages. Ces faces n’ont pas de volume, ni secret, ni tourment intérieur, ni ombre. Rien n’appesantit vers le tourment sacré d’une vie intérieure. Ce qui se figure avant tout dans ce bâtiment c’est l’acte de construire, de mettre en murs, en effigies à deux dimensions, en panneaux.

Pourtant le mur-panneau cache, indique, protège, révèle quelque chose, dissimule et montre à la fois qu’il dissimule quelque chose. Ce que ce Baptistère, tel qu’il est actuellement, montre c’est la densité pierreuse du monde, ici au pied des Alpes et le courage humain qui sait bâtir. Il montre l’instabilité disponible et créatrice des grandes pierres. Si la personne humaine est avant tout figurée dans les effigies, affranchie de présence et de menace divines, figurée légère et aérienne, c’est qu’elle est l’oiseau qui volète, vole, chante entre les grandes pierres. Tout dans ce Baptistère se joue entre la pierre à bâtir et l’être humain, certes frêle et broyable, mais léger souffle, seulement léger souffle, qui passe en battant ci et là des ailes, souffle léger dont les battements d’ailes sont des syllabes. La continuité de son souffle et de son vol est une phrase : la parole qui passe dans l’espace lithique.

YB

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Antonio Devicienti

Dans une terre d’intenses passages, une sorte de corridor naturel constitué par le territoire autour du Lac Majeur qui unit géographiquement l’Europe Centrale au Nord de l’Italie, se trouve Varèse, ville depuis toujours à vocation marchande et commerciale, dont la fonction était jusqu’à la fin du Moyen Age aussi de halte de poste pour le changement de chevaux et de marché situé justement à ce point de jonction entre Suisse-Allemagne et Italie. Du point de vue religieux toute la région a connu et connaît encore le Rite Ambrosien, sur plus d’un point différent du Rite Romain – la conséquence en est que l’iconographie aussi et le calendrier liturgique possèdent des particularités qui peuvent être lisibles dans l’espace religieux tels qu’églises, baptistères, ermitages.

J’ai eu le privilège d’être avec Yves Bergeret quand ce dernier découvrit et justement s’enthousiasma, en les lisant comme lui seul sait le faire, les espaces de la Cathédrale de Varèse et du Baptistère San Giovanni ; j’ai vu avec ses yeux la stratification des époques et des mains exécutantes dans les fresques murales du Baptistère, j’ai constaté et discuté avec lui la convergence de la culture religieuse populaire avec les motivations des commanditaires (qu’ils fussent aristocrates ou bourgeois), je me souviens très bien de la distribution de l’espace, toujours débordant de lumière et toujours rythmé par la pierre et les briques, capables les uns et l’autre d’être matériau vivant et pages pour un récit fertile du rapport entre l’homme et le divin.

Yves est capable d’une concentration absolue quand il observe les espaces et les fresques, les voûtes à croisées d’ogive et les surfaces accidentés des portails en bois. Il photographie avec une précision qui, je le découvre, est la même, complètement la même que celle des anciens peintres à fresque : en s’approchant de très près des fresques on voit très bien l’exécution sûre et sans repentir des lignes d’un visage ou les plis d’un vêtement – en observant Yves on se rend compte qu’il possède un regard sûr et déterminé, guide pour les mains qui orientent l’objectif pour cueillir dans les peintures ou dans les architectures ces rythmes et ces volumes, ces couleurs et ces effritements des murs qui ensemble forment un vaste poème de détrempes, pierre, enduit, formes géométriques A L’INTERIEUR DUQUEL se tiennent, non plus des visiteurs ( ou, pire encore, des touristes, mot horrible), mais des esprits prenant part à la continuité ininterrompue de la représentation, du récit, du chant et de la vision – esprits que souvent nous oublions d’être après des générations et des générations de regards qui ont vu ce même lieu, qui en sont devenus parts agissantes.

Le Baptistère, donc : de l’extérieur, construction sobre, salle musicale articulée en trois espaces qui communiquent à l’intérieur l’un avec l’autre, quasi seul survivance d’un Varèse médiéval effacé par le passage des siècles, le lieu dans lequel on se libérait du péché originel en s’immergeant dans la grande vasque orthogonale creusée dans un unique, énorme bloc de pierre, le Baptistère est la convergence de la pierre et de la brique (pierre et argile, donc, burin qui creuse et donne forme et feu qui cuit) avec l’eau purificatrice (la région de Varèse est la région des eaux, nombreuses et multiples, eaux des lacs nés de la fonte des glaciers et eaux des si nombreuses rivières qui descendant des Alpes se canalisent dans le Lac Majeur et le Tessin vers le Pô, le grand fleuve de l’Italie du nord, eaux des pluies et eaux qui s’accumulent dans l’utérus fécond des montagnes ; et, en contemplant les peintures subsistantes, en reconnaissant dans les us et les postures des silhouettes la succession du temps historique et culturel (du Moyen Âge à la fin de la Renaissance), en imaginant les chants du rite baptismal et les mouvements des participants, les flammes des bougies et des chandelles, on s’insère dans cette continuité des signes et des idées.

*

Varèse et la région de Varèse sont, on ne l’oublie guère, terre de frontière : non seulement parce qu’en allant quelques kilomètres vers le nord on entre déjà dans la canton du Tessin et on continue vers l’Allemagne, mais aussi parce que justement de l’autre côté des Alpes suisses la Réforme luthérienne a avancé à grands pas vers le sud et que l’Eglise de la Contre-Réforme a voulu le long du versant méridional des Alpes une série de Monts Sacrés (on en construisit un aussi à Varèse) qui fussent signes tangibles et évidents de la foi romaine et rempart contre la menace luthérienne ; dans la Cathédrale de Varèse, intitulée Saint Victor Martyr les murs sont totalement recouverts de peintures, la machinerie théâtrale du maître-autel, des sculptures par centaines et deux énormes chaires de bois très sombre animent ultérieurement l’espace dans lequel la théologie et l’idéologie de la Contre-Réforme se réaffirment elles-mêmes – Yves s’arrête, comme saisi, devant l’autel dédié à la Vierge du Rosaire, avec comme auteur et très habile metteur en scène un artiste local (mais de niveau national) connu sous le nom de “le Marazzone” : une Bataille de Lépante représentée sur le devant d’autel renouvelle la présence de conflits antiques, la disposition des peintures dédiées aux épisodes de la vie de la Vierge réaffirme la centralité d’une figure suspendue en pleine ambiguïté entre son propre rôle maternel et une attitude guerrière inattendue.

Yves a sur lui un petit carnet, il l’annote à toute force, il se déplace dans l’espace devant l’autel, il est clair qu’il cherche à vitesse inouïe des correspondances entre l’univers animiste et ces représentations de la Madone du Rosaire : les Mystères des douleurs et des joies, la profusion d’images de décollations, de transpercements et de toute sorte de torture visibles partout dans l’église parlent d’une présence vraiment forte du corps et font de la Mort la grande Interlocutrice.

Le rapport avec la mort, la tentative de l’exorciser en l’évoquant justement, paradoxalement, continuellement, et peut-être le désir de la rendre familière et donc acceptable, la volonté de créer une dimension unique dans laquelle morts et vivants sont présents ensemble et en dialogue, le rêve atavique d’abolir le temps chronologique semblent se rendre visibles dans cet énorme espace voulu par la communauté, financé par l’argent aussi bien public que privé, consacré à un culte en réalité polythéiste, mais sous les déguisements du monothéisme. Mais, nous le savons, c’est aussi la présence totalisante de l’Eglise du concile de Trente qui réaffirme son propre rôle de seule voie vers le Salut, d’unique dépositaire du magister, d’unique Porte de la Foi. Et le Rite Ambrosien, riche d’influences orientales avec des parties du culte liées à la liturgie de la lumière fait contrepoids à l’obsession de la mort en rendant une unité à l’univers qui sinon aurait été en danger.

Yves est fasciné par l’idée de la frontière ; il vient d’en découvrir une qui court ici, entre Nord et sud, entre Protestants et Catholiques, entre gens de langue allemande et gens de langue italienne – et frontière veut dire concomittance, perméabilité, pont et passage, rencontre et réflexion autour des conflits, des incompréhensions, des défiances. Une frontière intérieure à reconnaître dans images et oeuvres de pierres, dans cet inépuisable mouvement du dedans vers le dehors, du dehors vers le dedans.

AD

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Le Salento, d’Antonio Devicienti

Originaire de l’extrême Sud de l’Italie, Antonio Devicienti écrit ce vaste poème dans plusieurs langues, l’italien, le français, le dialecte du Salento, une version dialectale du grec parlée également dans le Salento, et -par quelques mots- en allemand.  Dans ce poème, toutes les formulations dans toutes ces langues sont de lui.

   YB 

 

 

LINGUA MADRE / LANGUE MATERNELLE

(c’est à dire les yeux de la langue)

 

 

Lingua madre che affonda fino al

dialetto

per dire il mondo e le cose

Langue maternelle qui s’appelle aussi

dialecte

afin de dire la terre et ses naissances.    

Dialetto delle madri e dei padri

suono della materia prima da cui edificare

C’est bien le dialecte de nos mères, de nos pères

le son de la matière à partir de laquelle on édifie :

la pietra

la pierre

o lisàri

la pethra.

 

*

 

« Cher Yves,

mon ami, tu m’as écrit que tu ne connais pas la région où je suis né (le Salento, nommé aussi « Terra d’Otranto », Terre d’Otrante). Eh bien, permets-moi de tenter une description de ma région natale où l’on parle trois langues différentes: l’italiano, il dialetto salentino e il griko (c’est à dire le grec de la Terre d’Otrante) ».

 

C’est vrai, oui, c’est bien vrai que la langue est aussi espace et que la langue-espace possède son rouge-d’encre à baigner les oliviers de la plaine entre la mer Ionienne et l’Adriatique, entre le toit de la Cathédrale d’Otrante et les fenêtres des maisons près de la mer à Gallipoli, entre les écueils des migrants à Leuca et les pierres musicales de lumière aux alentours de Lecce.

 

C’est vrai, oui, c’est bien vrai que la langue est un voyage à pieds à travers le travail des mains

 

Ète dialettu e stae inthru le pethre

inthru le chianche te le case

inthru lu cervieddhu te l’amanti quandu crìtane l’amore

 

Ainsi l’appelle-t-on: dialecte, il est

dans les pierres

dans les briques des maisons

dans le cerveau des amants lorsqu’

ils crient dans l’orgasme.

 

C’est ainsi que la langue-espace beauté et mémoire aspro lisàri nifsa stin imera la pierre blanche la nuit dans le jour c’est ainsi qu’elle commence son voyage.

 

*

 

Cher Yves, tu le sais: tout commence depuis une maison (casa, σπίτι, Haus) édifiée avec la pierre locale et avec les mots qu’une génération transmet à la suivante; les dalles de la cuisine sont les plus savantes, la table où l’on mange et où l’on étudie est une étoile de bois, une carte du monde, une étendue de visions.

Je veux raconter une maison qui est faite d’une pierre très fragile, dans le vieux village, le foyer dans l’angle de la cuisine, l’ordre savant des enduits blancs sur les murs

 

*

 

Ieu ddecìa inthru de mmìe: moi, je me disais:

“throppu throppu throppu lu sonnu « le sommeil c’est mon voleur

me rrubba l’ore – il me vole le temps

ddescetatu bbulìa stau je veux veiller

la cchiù parte te la notte: la plus long de la nuit

ca lu libbru aggiu leggìre ci car je veux tout entier lire le livre

lucìsce quannu lu ggiornu poi scurìsce – qui s’allume lorsque le jour s’en va –

Stiddha ‘e sale e thrumentu L’étoile de sel et tourment

comu malata presentia telle qu’une maladie

ète c’est-elle

ci ‘ncelu bballa qui danse dans le ciel

malata te capu…” folle… »

 

Sintìa li capitani te furtuna j’entendais les capitaines du hasard

ci giràane pe lle vie te lu paìse qui flânaient dans les rues du village

manciàane ulìe nìure ils mangeaient des olives noires

descaminados

iddhi ci sempre sviati stannu c’étaient eux qui toujours se perdent

sempre spersi – se throva cquai puesìa? toujours perdus – est-ce ici que l’on rencontre la poésie?

 

“Ientu ‘ene rèfulu « le vent vient subtil et philosophe

mmòzzica la fenèscia il mord la fenêtre

nu llassa l’ore presenti ma il n’abandonne pas les heures d’ici mais il

te passatu l’enchie, te memoria les remplit de passé, de mémoire.

‘Ncigna lu libbru ci nu scrivu Ainsi commence le livre que je n’écris pas

ma vivu, ‘ncigna ogne fiata ca mais que je vis, il commence toutes les fois que

stiddha ‘e sale rrivivesce l’étoile de sel vit à nouveau

bballu e vvilenu vvilenu e ssangu danse et poison poison et sang

– corrida?

 

Thrasi, ientu, ‘ssìttate cquài ‘nnanzi Entrez, monsieur le vent, asseyez-vous ici devant

a mmìe e ‘ncigna ‘ ccuntare…” moi et commencez à conter… »

 

Capitanu te furtuna, se spugghiava lu ientu Capitaine du hasard le vent retirait

te lu cappeddhu – ‘nnanzi te mìe se ‘ssittava. son chapeau – il s’asseyait devant moi.

 

Bbiìame l’assenziu primatìu te lu cuntu. Nous buvions l’absinthe prémices du conte.

 

*

 

SUTTASCIROCCU ci nu sse scerra SOTTOSCIROCCO

Sous-sirocco qui rien n’oublie de tout se souvient

scinne scinne cu le caruse il descend il descend avec les filles

ddabbàsciu: ddhane o limbitari te là-bas: là où se trouve la frontière

la pineta: poi lu mare. la pinède: puis la mer.

‘Mar’a ttìe marinaru ci Malheureux es-tu, matelot toi qui

lu sale sarvàticu manciasti. mangeas le sel sauvage.

 

Caruse te tthruvara iddhe te Des filles t’ont retrouvé

lavara ma tìe? ma tìe nu t’ont lavé mais toi? Mais toi tu ne

parli nu dici parole comu parles pas tu ne dis pas de mots qui connaissent

de rena spierte. la nature des sables.

 

Cuardi. Lu mare Tu regardes. La mer

la rena la pineta: ‘rreta la pineta le sable la pinède: au delà de la pinède il y a

o limbitari: poi ccene nu ccanusci. la frontière: et puis ce que tu ne connais pas.

‘N’àuthra fiata ccene nu ccanusci. Une deuxième fois ce que tu ne connais pas.

 

*

 

ientu ientu ientu le vent o ànemos el viento

SUTTASCIROCCU: SOTTOSCIROCCO: Sous-Sirocco

ientu ci nu sse scerra – le vent qui n’oublie pas –

comu mare ientu ci strascina est semblable à la mer qui entraîne

memuriuse navi les navires du souvenir

azàte ‘nthra ll’occhi te lu munnu soulevés dans les yeux du monde

cquài le lassa ‘nthra ‘stu portu ici il les abandonne, dans ce port

te verba. des paroles.

 

La fenèscia ‘ncapu a lla muraglia La fenêtre au sommet du mur

àuta haute

ccuàrdu e ddicu je la regarde et je dis

 

: fane tthrasu : je veux entrer

(serenata te sta’ pportu) (sérénade d’amour c’est celle-ci, pour toi)

làssime tthrasu. Λίσσομαί σε λίσσομαί σε (c’est bien la prière d’Alcée devant la porte serrée d’une femme)

 

L’acqua te la pagina se scangia L’eau de la page se transforme

canti e ccunti ci te sta’ pportu. en chants et en contes de moi pour toi.

 

*

 

(et voici un « mosaïque » de fragments de chants populaires de la Terre d’Otrante avec des fragments qui disent mon amour au pays natal)

 

Fata pu me fàtefse

‘mara l’acqua ci me ‘ttaccàu li peti cu nu bbegnu finc’a ttìe? ‘mara l’acqua persa ‘nthra la rena quant’ave ca te chiamu tìe nu rispunni ‘mara acqua d’incantu ca canta muta ieu lu sacciu nu ssentu ‘mara l’acqua ci me chiudìu le ‘ricchie cu cira vvilenàta? ‘mara l’acqua ca si nu era ‘mara ieu la bbivìa ma forse ha d’essere ‘mara ‘mara l’acqua ‘sta maledizione d’amargura felicità ète ‘mara ‘mara ma disiata ma circata

 

 

Fée qui m’enchanta: est-elle bien amère l’eau qui me lia les pieds afin que je ne parvienne pas jusqu’à toi? Est bien amère l’eau perdue dans le sable c’est beaucoup de temps que je t’appelle toi tu ne réponds pas est bien amère l’eau sorcière qui chante muette je le sais je ne sens pas est bien amère l’eau qui ferma mes oreilles avec de la cire empoisonnée? Est bien amère l’eau parce que si elle n’était pas si amère je l’aurais bue mais peut-être qu’elle doit être si amère est bien amère l’eau cette malédiction d’amertume félicité bien amère amère mais désirée mais cherchée

 

*

 

– percé lu chiamati “dialetto”?

Pethrosa lingua, ‘nvece,

te ribollente lava facta.

 

Quiddha pethra

(te focu)

memoria te lu tempu

aedificatoria materia

mieru cu llu sale.

 

Perché lo chiamate “dialetto”?

Petrosa lingua, invece,

di ribollente lava fatta.

 

Quella pietra

(di fuoco)

memoria del tempo

edificatoria materia

vino con il sale.

 

Pourquoi l’appelez-vous « dialecte »?

Une langue des rochers, par contre,

d’anciens volcans qui ont changé de voix,

mais qui possèdent encore leur voix

et dans la voix des yeux

et dans les yeux la voix de la pierre.

 

*

 

Je regarde ton « cheval-proue » de Poitiers, cher Yves,

et j’y vois les mêmes figures qu’à la mosaïque

d’Otrante – ces dernières sont plus sauvages et primitives,

mais de Poitiers à Otrante

d’Otrante à Poitiers

c’est la même façon

de développer l’espace

depuis l’opaque indifférence des murs ou du pavé

en avant, en avant, vers notre oeil qui regarde

l’oeil est le pont vers l’extérieur

benedictus sit oculus hominis

les yeux de la langue sont merveilleux

les yeux de la langue voient plus loin que nos yeux

et les yeux de la langue sont dans nous

dans la profondeur et dans l’abîme que nous sommes…

 

*

 

La mosaïque d’Otrante est un tapis d’histoires

les fresques de Poitiers sont une bibliothèque d’images

la route d’Otrante à Poitiers s’appelle

imagination et culture et espoir

y passent les pensées qui voient

à travers les yeux de la langue:

cheval-proue et le roi Alexandre

le français et l’italien du sud

la route, c’est la rencontre parmi les langues

le ciel, c’est le changement sans cesse du bleu

l’horizon, c’est le tremblement de la mer et l’élévation de la montagne

 

*

 

QUANDU SCIUCÀANE LI STHRIJ  ‘NTHRA  LLA STRATA

‘ndialettu

critàane

li sthrìj

ca iddhi vivi èrane, vivi, vivi!

 

La storia accadeva altrove.

 

Les enfants jouaient dans la route

ils criaient en dialecte

qu’ils étaient vivants, qu’ils appartenaient à la vie, qu’ils étaient fous de vie.

 

L’histoire se passait en d’autres lieux, bien distants.

 

*

 

Un baptistère aux murs chantants

là je t’imagine, mon ami,

tu appelles des signes contemporains depuis les signes anciens et plus anciens encore.

Il en va ainsi  :

on s’assoit par terre, dans un angle, les épaules contre le mur aux briques rugueuses ;

on regarde les murs qui montent vers la ocupole,

la lumière qui rayonne d’un centre que l’on pressent, mais que l’on ne voit pas.

C’est ainsi que l’on s’oublie soi-même.

 

Et je me souviens d’une basilique à Mistra, au centre du Péloponnèse,

les dalles bouleversées par le temps

les fresques des Saints et des Saintes AUX GRANDS YEUX

qui regardent les étoiles invisibles suspendues dans l’air brûlant.

 

Et je me rappelle la PLACE QUI A FORME D’OEIL

elle se trouve dans le centre lumineux d’Ortige

et j’aime, oui, je l’aime bien d’imaginer le sarcophage de bois

suspendu par une chaîne au plafond du temple d’AthènaLucia

qui imperceptible bouge

et là dedans il y a le corps génial d’Archimède

(on peut lire cette légende dans les chroniques

des savants arabes de Sicile).

 

Et au pays de René Char je me souviens des grandes roues des moulins

des YEUX qui (Saint Trophime aux environs et la Fontaine et le Lubéron en vue)

des yeux qui sont des mains et des mains qui sont écriture

et l’écriture qui bâtit sa demeure (spiti casa maison Haus).

 

Je me souviens de toutes les langues d’Afrique

le linge se séchait aux balcons

on rend visite au Cristo de los Faroles qui se dessèche

de solitude dans le cœur de Córdoba

et je me souviens de John Coltrane qui jouait dans une cave

au même niveau que le fleuve devant l’île de Kampa

(ou bien c’était un rêve et Holan caressait sa fille

pour l’endormir),

d’écrire au crayon une lettre d’amour pour Edith Piaf

pendant que Miles Davis jouait « ascenseur pour l’échafaud »

 

e mi ricordo di Lisbona, città delle andanze

e Praga « viscere d’Europa »

 

et traduire – ça signifie deux êtres humains qui

se fixent dans leurs yeux     :

ils ont envie de se comprendre

 

Terre d’Otrante, carrefour des langues

 

gli occhi della lingua

la mente si fa tutta sguardo

les yeux de la langue

les pensées deviennent TOTALEMENT regard

 

 

gli occhi della lingua

ta màtia tis glossis

vedono Africani Asiatici transitare

ora per questa lingua di terra

(cercano il Nord)

(nulla sanno di questa zattera a Sud-Est)

e tradurre è questo migrare

les yeux de la langue voient des Africains des Asiatiques traverser

maintenant cette langue de terre

(ils vont au Nord)

(ils ne se rendent pas du tout compte

de ce radeau de Sud-Est)

et traduire est migrer ainsi

 

 

… e la poesia europea ha spesso questo torto:

dimentica il canto dei popoli.

Mais les poètes européens sont coupables    

ils oublient volontiers le chant des peuples

 

Ché ho nostalgia delle lingue e dei daletti che non ho

mai imparato o conosciuto

J’ai nostalgie des langues et des dialectes

que je n’ai jamais ni appris ni connus

e mi guida questa mia ignoranza ch’è immane

ma che mi abita desiderio e ammirazione

mon Virgile c’est mon ignorance qui est fort grande

mais qui, en m’habitant, est aussi désir et admiration

 

sur le tapis de mosaïque d’Otrante se croisent

le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest

ghetonia ton laòn  voisinage des peuples

 

e sta nascendo un italiano creolo ? Je me pose la question: une langue qui ne soit ni la langue des colonisateurs, ni la langue des colonisés, mais bien la langue des hommes libres

est-ce qu’il est en train de naître une langue créole italienne ?

 

Glossa tis eleftherìas, glossa stin eleftherìa.

Langue de la liberté, langue dans la liberté

Ce que la langue voit c’est

l’horizon infini des chants

que les peuples ont créés

depuis l’aube de l’homme

 

glossa tis mesemvrìas

langue du midi.

 

Langue (langues) maternelle (maternelles).

 

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Carène, les migrations, la Sicile, par Antonio Devicienti

La version originale italienne de cet article d’Antonio Devicienti se lit ici : https://vialepsius.wordpress.com/2017/03/08/yves-bergeret-le-migrazioni-la-sicilia-carene/

ou ici : https://rebstein.wordpress.com/2017/03/08/carena-approda-a-teatro/

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Yves Bergeret revient en Sicile pour réaliser un projet non seulement ambitieux, mais qui immerge de manière définitive et irréversible son écriture et celle de tous dans la réalité contemporaine : porter au théâtre à Catane (en collaboration avec l’excellente metteuse en scène Anna Di Mauro) son grand poème épique Carène, encore inédit sur papier – mais dont Yves lui-même dans son espace Carnet de la langue espace et Francesco Marotta (remarquable traducteur en italien du poète français) sur le site Dimora del Tempo sospeso ont offert d’amples extraits.

 Carène est une Odyssée contemporaine. Ses héros-Ulysses sont des personnes en chair et en os qui vivent encore maintenant, encore dans ces instants-ci leur réalité de migrants. Les noms des héros de l’épopée rappellent par assonance les noms réels des migrants avec lesquels Yves est entré en contact en Sicile ; il a reçu le récit de l’histoire personnelle de chacun. Il a travaillé avec eux à ses poèmes-peintures typiques. Il est resté en contact aussi avec eux lorsque périodiquement il s’est éloigné de la Sicile pour périodiquement y revenir, en écrivant comme en prise directe Carène. Et ces Ulysses-migrants, Ulysses-marins-de-la-vie sont de très jeunes migrants maliens et sénégalais et en même temps des hommes très anciens qui portent dans leur chair et dans les stratifications de leur mémoire des millénaires de civilisations et de migrations.

C’est ainsi que Alaye, un des protagonistes, s’appelle en réalité Ali et Husséni Séni, deux jeunes migrants qui, dans leur vie quotidienne loin d’être facile possèdent une volonté inflexible d’étudier et de trouver leur propre voie. Ils ont en plus des fonctions de médiateurs culturels auprès de leurs propres compagnons de migrations et au sein de la très compliquée réalité sicilienne et italienne dans laquelle ils sont arrivés (réalité, il convient de le souligner, pas toujours bienveillante dans les échanges qu’ils ont avec elle, mais parfois – et j’emploie en toute connaissance de cause ces paroles – raciste et esclavagiste) ; autrement dit ils essaient d’être des esprits capables d’observer, d’analyser, de comprendre et de faire comprendre la migration dans chacun de ses aspects, dans chacun de ses retournements géographiques et politiques : et les flux migratoires sont aussi, dans de nombreux cas et dans certaines situations, un pur commerce de personnes, un achat et vente d’êtres humains (peu importe leur provenance, âge, sexe) réduits en marchandises soumises à tarifs, rançons, menaces si nécessaire.

2 Alaye au marché aux poissons de Catane, 6 mars 2017

Au projet en cours de montage Ali collabore, au sein de l’équipe ; son rôle est celui de conseiller culturel, car il a la capacité de développer une réflexion articulée sur la réalité migratoire et sur ses rapports avec les populations locales, tandis que Séni est particulièrement attentif aux rapports entre territoires de départ et territoires d’arrivée.

Yves, quant à lui, radicalement aux antipodes du type de l’intellectuel européen sédentaire et satisfait tant de soi que de sa propre érudition, est un écrivain migrant, incapable de rester immobile en un lieu, encore moins entre les murs asphyxiants d’un atelier : la haute montagne, la mer, le désert, l’espace qui se dilate habité tout à la fois par le vent-lumière, par l’œil infiniment curieux de l’être humain, par les appels des oiseaux et l’imagination illimitée du poète, par la mort violente de si nombreux frères en humanité et en culture, et par le désir de compréhension et de rencontre, ces espaces très vastes accueillent Carène et en restituent l’écho nécessaire qui, violent et imparable,  frappe aux portes de la conscience européenne.

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Et il n’y a pas à s’étonner, alors, que des mots écrits à l’encre sur la page veuillent se faire personnages qui agissent et parlent avec des voix d’êtres humains, personnes qui se montrent elles-mêmes (leurs corps, leurs passés, leurs présents) à d’autres personnes – les mots du grand poème épique sont enflammés et solennels, doux et désespérés, courageux et profondément humains : la Sicile, terre des contradictions les plus profondes et des élans les plus inattendus, vraie région de frontière entre un monde poussé au désespoir et un autre plus souvent fermé et incapable de compréhension, accueille ce poème épique-en acte qui n’appartient pas à la mode, pourtant répandue, d’une certaine littérature européenne qui se penche, avec condescendance et pitié, sur la réalité des migrations : Bergeret non seulement vient parler et vivre avec les migrants mais aussi crée concrètement avec eux poèmes et peintures, dialogue avec eux aussi en vers et en peinture, cherche et sollicite l’essence profonde d’hommes jeunes assoiffés aussi de beauté et de connaissance – car il y a cela aussi dans Carène et dans tout le travail d’Yves, la démonstration ni théorique ni velléitaire, mais factuelle et vérifiable dans la réalité que celui qui traverse d’abord le désert en risquant constamment sa vie et puis la Méditerranée sur une très frêle coque de noix ne cherche pas seulement à trouver la paix et un travail qui lui donne du pain mais également, en tant qu’être humain, nourrit et porte en soi aussi des aspirations et des valeurs plus hauts par rapport aux besoins de base pour survivre.

C’est ainsi que le mot culture réacquiert sa propre dignité, souvent perdue ou trahie, et sa propre signification qui est celle de cultiver ce qui en chacun de nous est humain ; c’est ainsi que les personnes migrantes font entendre leurs voix, que dans le grand poème épique d’Yves elles trouvent aussi des mouvements de litanie et de chant communautaire, d’élégie et de rébellion, de tradition et d’élan vers de nouveaux horizons, en arrivant à créer une culture métissée, c’est-à-dire riche d’élan et d’imagination, de beauté et capable, et ce ne sont paroles en l’air, de vraiment construire la paix.

Antonio Devicienti

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Une tasse de café qui en signifie deux, d’Antonio Devicienti

La version originale en italien se lit ici : https://vialepsius.wordpress.com/2016/12/28/una-tazza-di-caffe-che-ne-significa-due/

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Le poète, qui s’attribue à lui-même avec conviction et orgueil ce nom de poète, explore à pas lents et très lents la banlieue en en cherchant l’humanité et en entretissant de très longs dialogues avec les êtres humains qui l’habitent.

Dans sa poche le poète porte un livre de René Char et, assis à une table de Café, observe les personnes, en écoute les voix, prend sur un carnet note de la vie qui, sans répit, coule dans ces salles vitrées, sur ces trottoirs bien visibles depuis la table où une tasse de café dit le suspens et la méditation du corps-esprit.

Le poète me parle d’une table en bois entre deux fenêtres qui donne sur le vertige de l’Océan et d’une petite fille qui joue, heureuse avec la lumière et avec le sel des embruns ; le poète me raconte des escalades vertigineuses dans le corps vivant de la falaise et me parle d’un autre ami et poète, à la monacale concentration.

Dans son corps le poète porte la douleur et dans l’esprit il entreprend un voyage de traversée et d’élan (pas toujours ne répond le corps aux sollicitations, mais l’esprit est impatient, tyran parfois, car il a faim) ; l’esprit a une faim inextinguible.

Le poète aime les poèmes qui naissent à quatre mains (quatre mains signifient deux esprits qui se rencontrent, deux histoires qui se mêlent, deux visions qui s’accostent, deux allures qui se conjuguent, deux qui s’entretissent, s’entrecroisent, se traversent, se touchent, se desarrollan en fugue de Bach).

Le poète fredonne Bach et lui-même, en tâtant sa cheville douloureuse, se rappelle qu’il porte dans ses tendons et ses muscles, dans sa peau et ses os la même minéralité que la montagne du Vercors, la même poussière sur laquelle veillent les esprits et les animaux sacrés de la falaise des Toro nomu -comme un coup de poignard, lui traversent l’esprit la nostalgie et le besoin de l’air immense, sans limites, à la belle étoile

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Le poète vit en poésie chaque instant de sa propre existence : parfois sa journéepoème devient écriture, plus souvent elle est aller, regarder, converser : elle est chercher des êtres humains, parler avec eux, en écouter la poésie du ton de la voix et de leur vie tandis qu’elle se raconte, quand elle est racontée.

Le poète n’a pas honte d’être poète (et pourquoi le devrait-il ? uniquement parce que parlent ainsi les pontifes de l’aridité, de l’avarice et du coïtus interruptus ?) – lui lit l’espace et, comme ses amis Toro nomu, pose des signes dans l’esprit de qui lui parle, tandis qu’il s’abreuve aux paroles des gens, à leurs gestes, aux signes que toute personne a sur sa peau, dans ses vêtements, dans l’intonation de son parler.

Le poète, qui regardant l’Europe en voit le racisme invétéré, l’orgueil vaniteux, l’alanguissement épuisé sans plus d’élan, l’inutile complaisance dans des intellectualismes amorphes, le poète correspond intensément avec des poètes qui ont les mains salies (merveilleusement salies) par le quotidien ; l’un est, par exemple, l’ami qui monte sur la montagne pour observer, solitaire pendant des journées entières, le vol et l’envol d’oiseaux de haute altitude et en rapporte, de retour dans la vallée, des récits d’émotion immuable, de conviction immuable.

Le poète ne sait pas que, en ce moment, tandis que pensant à lui j’écris à son sujet, j’écoute la voix de Mercedes Sosa puis celle de Maria Farantouri, et je suis ému aux larmes parce que je considère et  reconsidère leur courage et leur détermination, parce que l’émigration a marqué au fer rouge leurs esprits ; et le très jeune poète migrant qui a débarqué en Sicile a entre les mains un poème en forme de carène qui fend la nuit et défie la haine ; et lui, venu d’Afrique, a rencontré le poète, enfant d’Europe et Ancien d’Europe et ensemble ils ont parlé, écrit, peint. Et la Sicile, de toute beauté et stratifiée, reste immobile, enchaînée à un Moyen Âge, qui est le sien, sans futur.

Le poète qui connaît Prague et Lisbonne, la Martinique et Chypre, qui habite des salles pleines de noblesse creusées dans la pierre millénaire de remparts romains et, en même temps, deux chambres minuscules dans le corps séculaire de Paris, le poète ouvre un livre d’Elytis pour recueillir dans son propre regard la marche incessante de la poésie, l’horizon très vaste du chant.

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Le poète invite volontiers à s’asseoir avec lui une personne qui, passant par là, a les dents cariées par la beauté de la vie (et par son acidité). Misérables les nombreux poètes blafards qui ne se lisent qu’eux-mêmes. Une amie qui raconte lucide et enthousiaste comment elle combattait dans le maquis, une autre encore, enfant de la Russie, qui offre dans son Café une très bonne bière fraîche couleur de l’ambre et des étagères regorgeant de livres, une tasse de café qui ait goût de France ou de Turquie ou de Grèce et dont chaque gorgée reflète une note de Bach, un vers de Frénaud, un signe signifiant « montagnevive », un son créole antillais, tout cela est acte de remerciement pour ce qui existe.

Antonio Devicienti

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