Sirocco

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Tant à l’écoute du grondement de la Durance, ici jeune torrent, que du Temps chanté, Musique pour violon et orchestre (1992) de Wolfgang Rihm,

voici ce poème créé et calligraphié sur un Leporello chinois à 24 volets, au format déplié de 42 cm de haut par 720 cm, à l’encre de Chine, au crayon noir, aux pastels et à l’acrylique, avec divers collages, à Briançon du 6 au 9 avril 2024,

tandis qu’à nouveau soufflait un coriace sirocco apportant depuis un profond lointain de l’autre côté de la Méditerranée poussière, infimes graviers roux, poudres d’inépuisables espoirs.

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Merci sirocco qui égratignes

le fond de gorge

par où des restes de silhouettes

ne parlent presque plus depuis des lustres.

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Merci sirocco qui fais sourdre

encore un peu de sang aux gencives vieilles

de la crête granitique et du masque plâtreux.

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Merci sirocco qui agrippes ta montagne,

la rapproches de ses soeurs ici,

la cognes à mes épaules,

me fais la protéger à sa manière.

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Merci sirocco qui me protèges aussi

et me distribues farine

qu’à sueur et sang me moulent

ceux du désert.

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Merci sirocco qui ne connais pas les fantômes.

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Merci sirocco qui élargis le vacarme

du torrent, qui le feutres et le veloutes, encore plus fort,

encore plus humain, frère des êtres invisibles.

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Merci remous opaque du torrent

qui fais rouler dans son lit contre un rocher

un galet sonore qu’apporta le précédent sirocco,

œuf qui n’éclot jamais

sinon dans le grand bourdonnement

que les sables des vents se transmettent

et me remettent,

.

à charge pour moi que j’entende

le foetus et ce qu’il clame affamé

les poings toujours serrés,

ce qu’il clame, pousse, saigne par les gencives.

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Vois comme là-haut près du ciel

la montagne se fissure, saignote

et comme le sirocco s’attarde

à la panser.

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Yves Bergeret

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Roue de la vie

Poème écrit et calligraphié dans l’écoute intérieure du Concerto pour violon (1935) d’Alban Berg, le 6 avril 2024 à Fontenil au bord de la Durance, juste à l’aval de Briançon, sur dix triptyques de Clairefontaine, 300 g, au format déplié A3, acrylique, crayons Kooh-i-nor et encre de Chine.

Le poète Francesco Marotta, dans une langue italienne tout de mouvement et de rotation, offre ici sa traduction : https://rebstein.wordpress.com/2024/04/08/la-ruota-della-vita/

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Au bord du torrent du village

un petit terrain de pétanque toujours vide

une table vermoulue sous les frênes

où j’aime lire ou écrire

.

Mais aujourd’hui

trois hommes en maillots plus ou moins noirs

jouent aux boules, dix cannettes de bière vides

dans un coin, un chien affalé dans l’herbe.

.

Le torrent roule et gronde à tue-tête.

Âges insituables, entre trente et soixante,

tant misère et alcool ont creusé et amolli

leurs visages et voix que le torrent aussi

écrase.

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Passant près d’eux pour gagner la table

je vois sur une nuque un tatouage :

deux poignées d’épée, un arc pur de cercle,

des caractères chinois.

Dessin magnifique.

.

Je le leur dis.

L’homme au tatouage ôte son maillot

montre son dos.

Des omoplates au crâne

un sobre mandala à cinq sections.

« C’est moi qui l’ai dessiné.

J’ai donné le dessin au tatoueur.

C’est la roue de ma vie,

ma carapace et mon ciel,

la section du feu, celle de l’air,

celle de la terre, celle de l’eau,

celle du vide.

Car je suis vide.

Le vide est mon pivot

et la lumière de l’aube décide chaque matin

qui je serai,

flamme en lames crépitantes,

sirocco aux mille doigts crissants,

humus de l’inatteignable forêt,

remous salé contre l’écueil.

Depuis que j’ai créé ce dessin

et que je le porte sur mon dos

j’existe

et ai rompu avec les drogues dures.

.

Personne n’avait jamais

vu ni lu mon tatouage.

Je suis heureux ».

Et il remet son maillot.

.

Les trois joueurs de pétanque

reprennent leur partie.

Le torrent est devenu muet.

Le chien court en tous sens.

A la petite table mon crayon

court sur le papier.

.

Un autre des trois hommes

s’approche de la table,

ouvre un petit paquet de biscuits,

m’en donne un : «  Monsieur,

notre ami n’avait jamais parlé comme cela ».

Le biscuit est rond, du chocolat au lait

l’enrobe.

Les boules de pétanque roulent

sur le sable gris.

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Yves Bergeret

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Trois saluts d’avril au Glacier Noir

Avec Boris Brémond, jeune guide de haute montagne et jeune père, je salue ce matin du 5 avril 2024 à Briançon, le Glacier Noir et ses sept géants( Manger le Glacier Noir (2, analyse) | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) ) encore sous d’immenses masses de neige ; je les salue au moyen de ces trois aphorismes que je calligraphie à l’encre de Chine, à l’acrylique, aux crayons de couleur Kooh-i-nor et au très fin stylo, sur trois triptyques de Clairefontaine 300 g, chacun au format déplié de 29,7 cm de haut par 42.

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Yves Bergeret

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Glacier Noir

manger ciel et roc

pour qu’ils nous mangent.

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Puiseux

Tracer le ciel

lui emprunter une plume

de son aile gauche

.

Qui grimpe

d’abord écoute

puis prend prise et délivre.

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Sentier côtier

Poème-portrait d’un être libre, en forme d’une suite en deux parties, créé le vendredi 28 mars 2024 sous une voûte surplombant une ruelle de Châtillon-en-Diois, acrylique et encre de Chine, crayon noir et stylos à encre de Chine de différentes tailles de pointe, puis le samedi 29 mars dans un bar à Crest, pastels gras, crayon noir et stylos comme la veille,

ces douze petites strophes se déroulant sur des feuilles de Clairefontaine 224 g prises en diptyque et au format déplié A4. Brusques averses le 28, sirocco rageur le 29, début virulent de printemps.

Le poète Francesco Marotta, avec une dynamique sensible et vigilante, fait venir dans la langue italienne ce poème-portrait : https://rebstein.wordpress.com/2024/04/02/sentiero-costiero/ .

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Première partie

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1

Prénom m’importune.

Nom m’indiffère.

Si tu as envie

tu peux m’appeler Sentier Côtier.

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J’aime la pluie de nuit,

le vent qui tord les os et les troncs,

le fil blanc du ressac qui brode l’infini.

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2

Je n’ai pas l’esprit de fief.

Qu’après tempête

clôture tombe à la mer

me fait plonger de joie dans les remous.

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3

Je ne suis pas constitué.

Les coups dans mon enfance

ont déformé mon crâne à gauche.

Longtemps je n’ai su parler qu’en crabe

ou pas du tout.

Bondir du haut de la falaise devint mon art.

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4

Je suis aucun, je suis un, je suis tous,

toi compris que je hais ou que j’aime.

Mes yeux sur tes épaules

mes mains sur tes genoux

je te moule en m’esquivant

et te surprends dans le langage.

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5

Mais j’ai oublié de m’occuper de moi,

je n’ai ni nom ni corps,

je suis juste une maille du filet

ou deux mailles si tu veux me rejoindre

ou trois.

.

6

J’improvise ma personne,

je sonne par monts et vaux

.

arpège archipel

.

mais c’est déjà trop.

.

un peu d’écume et d’embrun

tissant sente et trame

de vous à moi,

telle est ma préférence.

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*

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Seconde partie

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7

Dans la vague qui retombe

se délabre ma vétusté

qu’elle emporte par affection ou cécité.

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8

Dans le rebond après le ressac

se dresse sur ses deux jambes

mon crâne-soleil

qui réfute tout docile profil.

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9

Grand éclat vers le haut,

marcher au bord de la falaise

convient aux semelles salées.

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10

Courbe totale de la vague et son élan vers le soleil,

Mozart aussi mange le gouffre

dans le souffle de la voix

de qui.

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11

Lente et vaste houle descendante,

les graviers me choisissent

dans la terre meuble,

lente houle me hisse parmi

les voiles que l’on hisse

depuis la moindre bruyère.

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12

Houle montante,

mon amoureuse improvisante

qui se cache derrière la montagne.

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Yves Bergeret

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L’inutilité du profil

Poème en trois parties, créé à Die le 24 mars 2024, sur un Leporello chinois à 24 volets au format déplié de 17 cm de haut par 288, à l’acrylique et à l’encre de Chine.

Révélant exactement qui sont Sam et Bram, le poète Francesco Marotta a traduit, tout en vivacité, ces trois strophes en italien :https://rebstein.wordpress.com/2024/03/26/linutilita-del-profilo/ .

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Elle court, la montagne,

par-dessus la ligne des toits,

.

elle court avec sa forêt hirsute

chevelure défaite,

.

elle court avec les vapeurs égarées du ciel

aux grands doigts écartelés.

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*

De l’aube à midi

au fil de mon ascension

sans répit deux chevreuils

que les buis cachent

m’ont aboyé le récit

du torrent de la vie.

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*

Rides certes de Sam et de Bram,

mais aucun profil.

Ton cœur t’a lâché,

tes artères se sont bouchées

vieux montagnard aux dents

dures comme quartz,

quartz, ton cœur lumineux,

circulaire quartz, ta vie cyclone.

.

*

.

Le nuage sait aussi jeter son ombre sur le ciel,

surtout à l’aube, avant que les pieux,

à coups de gourdin, fassent tout chuter.

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Yves Bergeret

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Cris roc sel

Sur un Cahier « Codex lin », de Lamali, entièrement en feuilles de lin naturel fabriquées manuellement « à la forme » au Rajasthan, tant les 66 pages intérieures blanc écru de 220 g environ que la couverture beige de 350 g environ, de format 22,5 cm de haut par 16, voici cette suite de courts poèmes créés et calligraphiés à Crozon, au bout de la Bretagne, et à Paris, du 13 au 17 mars 2024.

Et voici que franchissant en six bonds les Alpes ces poèmes sont arrivés dans la langue italienne grâce au poète Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2024/03/20/la-mano-del-fuoco/ .

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Cigales grillons chantent tempête

depuis le fond de la mer.

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Elytres ailes mâchoires en folie

carillon du soleil

carillon de ceux fous de vivre

ils bondissent et se cognent contre le ciel.

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C’est l’alouette qui les reprend la première

en lançant vertical très haut son trille

qu’elle bondit chercher

plus haut même que l’espoir.

.

Ecoute les coups de gouge

de l’ébéniste d’il y a sept siècles.

Il a taillé comme étrave de sa barque

le hêtre de ma colline.

« Dors dans son ombre fébrile,

ton rêve est mon burin ».

.

L’eau s’invente la cascade.

Je m’invente le récit.

Tout rebondit.

.

Si le corps me lâche

j’ai toujours la main du feu

que je peux saisir

pour me ressaisir.

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Si la source en haut du village tarit

tu as toujours le regret le miroir

pour attraper la foudre qui ouvre

le ciel en deux et recommence la genèse.

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Dormir sous un plafond m’ennuie.

Je préfère le bord du cratère

ou le vestiaire du vent.

.

Ne dors pas sur le sentier lui-même :

le caracal y chasse la nuit.

.

Petites pierres qui roulent au ravin…

écoute bien ces osselets que le caracal

jette pour dénuder l’avenir

et le laver entre ses pattes et ton sommeil.

.

Îles de l’archipel

terre distendue morcelée émiettée

disparate visage

l’eau salée est-elle un fil utile inutile…

depuis le fond de la mer

cigales grillons ma tendre fanfare.

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Quoi qu’il en soit

le volcan de chaque île

brûle les pattes velues du malheur.

.

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Yves Bergeret

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Des pas sur l’estran

« Notes de la vie sans fard » déposées sur un Leporello chinois à 22 volets de format déplié 12 cm de haut par 198 cm, créées au stylo à encre de Chine et aux crayons de couleurs Koh-i-noor tchèques, à Crozon, devant l’océan atlantique, le 13 mars 2024.

Ces « Notes » se lisent également dans un italien tout en vivacité et empathie grâce au poète Francesco Marotta :https://rebstein.wordpress.com/2024/03/18/passi-sulla-battigia/

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Es-tu celui ou celle,

de calcium et d’ivoire,

qu’on laisse au péril de l’estran

et que jamais marée ne noie ?

.

Ta forêt migre

et part au printemps

s’habiller du sel de l’océan.

.

Celui ou celle qui rétrécit ses hanches bassin front

pour stériliser verbe et mot,

en ultime terreur,

en grinçant terreau,

emmène-le au pied de la cascade.

.

Pauvre gringalet

qui cherche sous la montagne

puis sous la table

l’ombre de sa mère

et rien d’autre…

.

Aïe… celle qui s’est retirée

dans les os du poignet de son fils…

…et le voici analphabète !

.

Le fond de fût

en dessous même de la cave violette…

et ta lie lui fait bourdon…

mais tu espères toujours.

.

Trame et chaîne

deux moitiés du monde

une aigle un aigle

deux yeux

deux rochers invisibles…

elle sait les rapprocher.

.

Certain babil aigu…

dans quelles coulisses…

… alors elle chante avec lui.

.

La lumière : poison

La station debout : poison

Le désir : poison

La main chaude : arsenic.

Mais tu la fixes dans ses yeux

et la fais rire.

.

Prends dans ta paume la mort.

C’est une petite braise

qui cloque ta peau avec virulence

ou ironie.

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Yves Bergeret

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Paume transparente

Poème en trois strophes, chacune sur un polyptyque vertical à 6 volets, de Fabriano 220 g de 135 cm de haut par 50, acrylique et encre de Chine, créé et calligraphié sur la colline de Saint-Martin-du-tertre, au dessus des méandres de l’Yonne et de la ville de Sens, en Bourgogne, le mercredi 28 février 2024.

On lit la traduction limpide et ferme en italien de ce poème par le poète Francesco Marotta, à l’adresse que voici : https://rebstein.wordpress.com/2024/03/11/palmo-trasparente/

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1

Qui dit trouver dans la cendre et l’alluvion

miasme et mythe,

qu’il me montre devant la flamme de vie

si ses paumes sont transparentes.

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2

Tu te débats, petite proie,

comme tu as raison !

Rage de vivre est ton nom.

Adorer la vie est ton soleil par ta base.

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3

Entre ta naïveté et ta rage de vivre

va ton fleuve, parole limpide.

Sur sa rive je me lave.

Dans ma paume je la bois.

.

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Yves Bergeret

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Genèse

En écoutant Prometeo, tragedia dell’ascolto (1985) de Luigi Nono, j’ai créé ce poème en ses étapes sur un Leporello chinois à 24 volets, de format déplié de 20 cm de haut par 480, acryliques et encre de Chine, à Briançon le 10 février 2024.

Ce Genèse se lit aussi dans la remarquable traduction italienne, fluide et colorée, du poète Francesco Marotta: https://rebstein.wordpress.com/2024/03/13/genesi-2

au début de laquelle on accède à une vidéo intégrale du chef-d’œuvre de Luigi Nono, Prometeo, tragedia dell’ascolto.

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1

L’air a frotté la pierre.

Le ciel a frotté la roche.

Le vent érafle le sol.

.

2

Un lambeau de peau,

une infime fourrure

s’échappent s’éraflent naissent,

naît une peau, la peau.

.

3

De l’ombre glisse sur la peau

la peau du dos,

la terre dort sur le ventre,

le dos gèle ou cuit.

.

4

Du bruit remonte à contresens du vent.

.

5

Tu m’as dit que l’on dirait

un piétinement de sabots.

.

6

Le dos se craquèle

ou luit.

.

7

Balbutie

quoi

bégaye.

.

8

Dos qui frémit

qui frissonne.

.

9

Cette peau, elle se lève, claque au vent,

s’en va, crois-tu.

.

10

As-tu vu que cette peau

comme celle du lait

se plie ?

.

11

Plis de la peau retroussent le vent

qui renonce et insiste et ne renonce pas

mais la peau endure

endurante respire

inspire expire respire.

.

12

Mais la peau a des mains

appuie ses mains

qui lancent les consonnes

crêtes consonnes

clavicules peut-être.

.

13

Quelques mètres plus haut

quelques heurts de l’air plus haut

que le ciment brut de la terre

ou de la mort tiède

la peau bat

.

14

sur ses os ses plis ses consonnes.

.

15

Qui rappelle

qui rafistole

qui narre.

.

16

Parchemin paume

c’est cela qui flotte à mi distance

du dos du sol

et de la flamme de l’air

.

17

et dans la paume sans corps,

la paume de personne

qui flotte par là,

dans la paume encore d’autres plis

se plient rides et hennissements.

.

18

Vois-tu, tu dois accepter

que cette paume tournée vers le ciel

soit très noire.

.

19

Fourrure ou crinière

en cognements de consonnes froisse

les cals de l’âme,

les os de l’âme dure à naître.

.

20

Or si le vent érafleur

frotte à coups de nuages le dos,

or si quelque chose d’impatient,

quelque chose de piétinant

strie comme soc le dos qui va saigner

les consonnes se desserrent se serrent

se desserrent

.

21

et dans le rythme qui écarte le noir

et le plein et l’opaque et le dur

une phrase naît

un sens naît.

.

22

La phrase, c’est le Mérens

et son corps noir à cou épais à jambes lourdes

tournant cou par ci et par val

par cime et par lac.

.

23

La paume ma paume

c’est du charbon pressé

dans les strates les plus profondes du dos.

.

24

Vas-tu extraire le profond de la mine ?

.

25

Charbon friable un nez un menton

minerai de peut-être ce son, le son qui se frotte

archet sur la corde,

.

26

minerai c’est le souffle des poumons

du noir Mérens

qui dicte entre ses consonnes

le sourire d’un deuxième sens,

d’un troisième sens.

.

27

Poumons dis-tu espiègle petite paume

juste devant ce que le Mérens

va brouter, trois feuilles desséchées

de fougère et de ronce.

.

28

Devant la peau qui bat au vent,

devant les lèvres du Mérens,

devant le premier et le deuxième sabots

ton courage aveuglément fou

lucidement fou,

.

29

devant le piétinement

qui te porte, voici ton récit

de parlant, d’être parlant qui bâtit

par bonds et sursauts les voyelles

lumineuses de la fraternité, mon enfant

sculptant tes premiers mots.

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Yves Bergeret

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Le rocher sur la ville

En écoutant Coro (1976), de Luciano Berio, j’ai créé et calligraphié ce poème sur quatre quadriptyques Fabriano 220 grammes, chacun au format déplié de 42 cm de haut par 59,5 cm, collages, encre de Chine et acrylique, à Briançon le 12 février 2024.

La traduction en italien du poète Francesco Marotta est aussi ferme et dynamique que la marche de qui traverse à pied la montagne ; la voici (dans la seconde partie de cette traduction) : https://rebstein.wordpress.com/2024/03/15/abitare-lo-spazio/ ; à son début on trouve le lien pour et écouter et voir Coro, le chef-d’oeuvre de Lunciano Berio.

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Il aspire, dégorge, absorbe, avale,

le grand rocher

qui surplombe la ville.

.

Et les nuages depuis hier le remercient

en venant y verser leur neige

et les larmes du ciel

qui par les veines du roc

descendent jusqu’aux entrailles des citadins,

.

jusqu’à nous versent les pleurs de tous

et de toutes celles et de tous ceux

qui meurent aux sables du désert

sous les bombardements de la misère et de la guerre,

.

qui à prix de tout l’or de leur seul sang

et du seul sang de leurs mères

souffrent s’acharnent à traverser

désert et mer

dont aucun chien ni loup

n’aurait voulu flairer les pistes nulles

ni même s’approcher.

.

As-tu compris

qu’au grand rocher qui surplombe la ville

cherche à accoster la barque du désespoir,

cherche à se reposer

à se caréner la coque de l’espoir fou

où le vent par l’ouest et par l’est

chante murmure psalmodie, je crois,

l’indispensable récit

non encore clamé non encore écrit

dont humaine dignité s’habille, se nomme, se pare

avant toute mort

car toute mort solitaire

dans un ravin ou sur gravas

nous révulse

et nous cherchons, vous dis-je,

la pente par où le grand rocher

s’escalade jusqu’à la cime de la cime

où j’ôterai les clous au corps

de Prométhée, mon aïeul clair

dont vous savez parfaitement

que je me réclame.

.

.

.

.

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Yves Bergeret

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