Archive | novembre 2021

Chant de l’encrier-plumier ottoman de voyage

Ainsi chante l’encrier-plumier ottoman de voyage que Linette Guéron El Houssine me montre (d’elle on a lu : Violon-naissance, par Linette Guéron-El Houssine | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) ). Bel objet en cuivre, vingt centimètres de long, ancien, au moins du 19ème siècle. Jadis dans sa famille juive, à Karaağaç, un faubourg d’Andrinople à la frontière de la Turquie, la Bulgarie et la Grèce, on se le transmettait de génération en génération ; Linette pense qu’il vient plutôt du côté maternel de sa famille, qui, expulsé d’Espagne à la fin du quinzième siècle, s’appelle Cordova.

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Les paroles de ce chant se lisent aussi en italien, dans la traduction aussi rythmique que mélodique du poète Francesco Marotta ; et la voici : https://rebstein.wordpress.com/2021/12/04/chant-de-lencrier-plumier/

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Je suis le doigt de Dieu

en cuivre ciselé

plein et creux.

.

Par les villages je vais

dans la besace du clerc.

Sur le plateau de l’écritoire

je m’étire et m’affale.

Astiqué je brille.

Sous vert-de-gris je luis.

.

J’affirme, j’en impose, je suis

doigt du dieu, comme vous dites, unique.

Ah, dieu impuissant fané…

Creux je suis, tel os à moelle…

.

Scribe, ressuscite-moi,

ouvre-moi, prends ma plume,

verse de l’encre dans mon godet

et maintenant nomme compte énumère

agis écris !

Mon dieu n’est pas non plus le vulcain balkanique

qui il y a des siècles me moula

me façonna m’assembla.

Mon vrai dieu, Messieurs Dames, c’est le scribe.

.

D’amour et de rage mon vulcain

me cisela à foison gentilles figures végétales

pour m’exalter à vivre fertile.

.

Mon vulcain me fit phallus

à pérenne érection mais seul je n’éjacule

ni ne crée rien.

.

Car, je le dis, c’est seul le scribe errant qui,

du calame qu’il range en moi ou plonge

dans l’encre qu’il verse à mon godet,

suscite le réel qu’il embrase dans l’écriture,

.

l’écriture qui décide, décrète et signe,

qui ponctue achats et ventes,

emprunts et dettes,

mariages et legs,

alliances, pactes et liens

par monts et plaines des Balkans

où se croisent furieusement les langues.

.

On s’entretue depuis des siècles sur les frontières

mais moi, je ne suis pas arme en son fourreau de cuivre,

je suis instrument de parole et de paix.

Pour missives, traités et contrats

mon petit dieu le scribe me dégaine.

Phallus métallique d’un dieu guerrier, pfffff…

Ce que je suis, c’est modeste clef de paix.

.

Dans la besace du clerc errant

sur le plateau de l’écritoire

voyez comme je suspends la querelle et les cris.

.

Je ne suis pas le sexe stérile du dieu vide,

je suis le cocasse gourdin du scribe errant,

le raffiné, le magique, le théâtral brandon du scribe                        

qui me brandit étincelant au soleil,

qui de mon corps dur sort la petite plume

grinçante apte à départager les clans,

à terrasser les truands,

à faire cesser le feu,

à décréter la paix,

à consolider toute parole encore fille

trop tendre pour être écoutée.

.

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Yves Bergeret

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Violon-naissance, par Linette Guéron-El Houssine

Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienveillance.

René Char, in Le marteau sans maître

(On lit cette prose en italien dans une traduction très vivante du poète Francesco Marotta, à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2021/11/15/violino-nascita/ )

              La moelle de nos mots

             Mon père, Élie Guéron, est né à Karaağaç (« arbre noir », en turc), dans la banlieue d’Andrinople. En 1907. Quant au jour et au mois, personne ne savait.

            À Andrinople, on n’accordait pas d’importance aux dates de naissance. Alors celle d’Élie… D’ailleurs, les treize synagogues où l’on enregistrait les naissances avaient brûlé dans le Grand Incendie.

            Quand Élie quitta la Turquie, il dut donner sa date de naissance avec le jour et le mois. Il inventa : le 10 décembre. Plus tard, il demanda à la vieille tante Marie : « Il faisait quel temps à Andrinople quand je suis né ? » Elle répondit en judéo-espagnol : « Un calor de atabafar. »

            Connaissait-il la rumeur sur les origines de sa chère banlieue ? La mythologie grecque s’en serait mêlée. Le site d’Orestias, où avait été fondée la ville, devrait son nom à Oreste, fils d’Agamemnon. L’Atride, héros ténébreux harcelé par le destin et les divinités de l’Ombre à chevelure de serpents ! Non, Élie n’avait jamais évoqué la tragédie antique à propos de Karaağaç. Pour lui, c’était le « quartier de la gare », bâti selon le tracé ondoyant de la frontière turque, bulgare, ou grecque au bord d’une rivière nommée tantôt « Meriç », tantôt « Maritsa », ou « Evros », et tiraillé d’un ennemi à l’autre, d’un traité à l’autre, d’un Empire à l’autre. Il aimait le mélange de langues et de cultures du « Petit Paris » (Küçük Paris) et, même, il en était fier. L’Espagne ancestrale y murmurait, enlacée à la Turquie contemporaine. Au temps de l’Inquisition, les habitants juifs de Gerona, en Catalogne, persécutés par Isabelle la Catholique, avaient été expulsés et avaient pris le nom de leur ville. Gerona avait été francisé en Guéron. (…)

                         .

            Un jour, Élie affirma d’un ton tranquille, tout en déjeunant : « Ma vraie naissance, c’est le 8 mai 1945. » C’est cette vraie naissance qu’on aurait dû fêter et non l’autre, l’administrative, bricolée dans l’urgence, qui était tombée par hasard sur un jour de décembre. Mais nous ne le pouvions pas. Au jour de la Libération, célébrée par la nation tout entière, cette vraie naissance relevait de l’intime : une pure émotion, et la liberté de choisir sa date de venue au monde.                                                                                                                                                                                                                                                                                 

            Élie avait été mobilisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale et capturé quelques mois plus tard en tant que soldat français. Il ne parlait pas beaucoup de ses cinq ans de détention en Allemagne, ou seulement pour en rire.

            Perché sur le mont de Petrisberg, à Trèves, le stalag XII D aligne ses dizaines de baraques en bois. En contrebas, bien proprement, les vignobles rangent le paysage en petits carrés le long de la Moselle. 

            Les vingt-cinq musiciens du camp répétaient l’Arlésienne. Le chef d’orchestre, sec comme sa baguette, les gestes tout en rondeur, avait l’air de calligraphier la vie en pleins et en déliés. Il avait négocié avec la Kommandantur le retour de Guéron au stalag de Trèves. Il leur avait assuré que « Guéron », ça sonnait bien français et qu’il connaissait même un village de ce nom en Normandie. Il avait insisté : c’était une erreur, Guéron n’était pas juif, d’ailleurs il ne pouvait pas perdre un aussi bon violoniste. C’est ainsi que de probable déporté, Élie était redevenu simple soldat prisonnier de guerre.

            Je songeai à la signification de ce mot allemand, Stalag, abréviation de camp ordinaire, qui vient de Kriegsgefangenen-Mannschafts-Stammlager, « camp ordinaire de prisonniers de guerre ». Élie avait-il été envoyé vers des travaux forcés ou une déportation « ordinaire » ? Qui l’avait dénoncé ? Les accords de Genève s’appliquaient-ils encore dans ce lieu sans nom ? Le chef d’orchestre s’y était-il déplacé pour en extirper le soldat Guéron ? La musique aurait un tel pouvoir ? Revenu à Trèves, Élie y avait retrouvé son ironique confort de prisonnier de guerre. Le stalag n’était pas un paradis, loin de là ! Au moins, il était protégé par la Croix-Rouge.

            Derrière le premier violon solo, Élie souriait à son pupitre, discret, paupières à demi closes, savourant les harmonies à petites lampées. Il en aurait presque oublié sa dérive vers une mort probable, après son évacuation musclée du stalag XII D, vers un lieu qu’il n’a jamais nommé.

            Entre la répétition du Menuet et de la Farandole, il demanda au chef d’orchestre :

            « Qui m’a trahi ? »

            Le chef d’orchestre dit le nom du traître d’une voix rauque.

             – Il a pu te vendre contre une ration de pain, des cigarettes. Ou alors il l’a fait contre une promesse : il était peut-être en danger. Soit la cupidité, soit la peur. Oui, je sais, c’est incroyable, il est juif lui aussi. En tous cas, son cousin est fou de colère, et il est bien capable de le tuer. »

            Le soir était tombé, immobile et glacé. Élie fixa sans le voir le chef d’orchestre, qui le dépassait d’une tête.

            – Toi qui n’es pas juif, tu es intervenu pour moi, alors que le cousin »

            L’Arlésienne ponctuait leur amertume à grands coups de cymbales et d’archets.

            C’est la première fois que le violon d’Élie lui sauva la vie. Il y aura encore deux autres fois.

(…)

            La deuxième histoire a le goût des aventures de Nasreddin Hodja. Légèreté de la fable et plomb de la guerre. Cette fois, ce n’est pas vraiment une histoire de silence. Élie en a bien gommé les pesanteurs vert-de-gris, mais une fois la tristesse épuisée, il lui reste de la place pour ce ton enjoué. J’ y ai ajouté des bruits de bottes et les larmes de ma nostalgie.

            Un prisonnier du stalag, celui qui traîne son visage gris et ses yeux fous, a récupéré un poste à galène. Il fait partie d’un Kommando qui travaille dans une ferme, à l’extérieur des barbelés. Il ramène le poste en pièces détachées. Un technicien radio le remonte et le chef du baraquement trouve une cachette sous le plancher du seuil : les gardiens n’auraient pas l’idée de fouiller à l’entrée, sous leurs pieds. Guéron, qui a fréquenté une école allemande à Andrinople, est chargé d’écouter les bulletins d’information et de les traduire.

            Soudain une fouille est décidée. Guéron a été repéré depuis longtemps par les gardiens les plus teigneux. Malgré la trahison d’un codétenu, il leur avait échappé grâce au soutien du chef d’orchestre. La victoire risque de leur échapper aussi. C’est dans l’air. Ce serait un jeu de contourner les règles qui protègent les prisonniers de guerre. Inventer, par défi, des jeux cruels…

            Guéron écoute De Gaulle à la BBC : « Ici Londres… Notre quart d’heure français de l’après-midi »… « Voici venu le choc décisif »… « Il s’agit de détruire l’ennemi… Mais il y a beau temps déjà qu’il n’est plus qu’un fauve qui recule… » Personne ne peut avertir Élie de la fouille : il s’est posté au beau milieu du grand baraquement de bois, entre les lits superposés. Quand les Allemands font irruption, il dispose des partitions pour camoufler la radio et joue avec exaltation la romance en fa deBeethoven. Les gardiens s’immobilisent, la guerre aussi. La mort est suspendue à un simple vibrato. Pour chacun des gardiens – le grand sec impassible qui a donné du pain à un prisonnier, le gros rougeaud mafflu qui l’a humilié, celui qui est en vert-de-gris, même à l’intérieur – la musique ranime le souvenir de petits bonheurs : le creux frissonnant et tiède d’une épaule, les fossettes légères des sourires. Les étés bleus et fruités, l’âme à la fête. La lenteur des matins répétés exactement, l’ennui confortable en temps de paix. Ach schön Das ist ja wunderschön…  Retourner vers les craquements familiers de la maison, les craquements des heures limpides. Le recueil des nuits et des journées choisies, grandes ouvertes sur l’amour (y compris les pages blanches, comme le vide est rafraîchissant), Welche Sehnsucht ! – mot intraduisible, nostalgie que les ailes du désir propulsent vers l’avenir. La radio reste insaisissable.

            C’est la deuxième fois que le violon lui sauve la vie.

            ————–

            La troisième histoire est une brève séquence de cinéma, fiction souriante sur laquelle j’ai greffé de la réalité historique.

            Quelques mois après la fouille du baraquement et la romance en fa, les Alliés entrent à Coblence, tout près, et franchissent la Moselle. Les Allemands avaient fui du stalag pendant la nuit. Ils savaient que la guerre était perdue. Ce jour-là, Hitler donne l’ordre de détruire l’Allemagne pour ne rien laisser de vivant derrière lui.  

            Ce matin du 20 mars 1945, les prisonniers sont saisis par un silence étrange. Plus un seul soldat allemand ! Pendant cinq ans, les hurlements des haut-parleurs, les appels quotidiens des gardiens avaient saturé l’air du camp. Los ! Schnell ! Les barbelés en résonnaient encore. Sur le qui-vive, Guéron, encadré par deux compagnons de détention, s’échappe, et longe un canal. L’homme, à sa droite, est flûtiste. Pour cacher son épuisement, il claironne de son accent de titi parisien : « Au régiment, pendant que l’orchestre exécutait la Marseillaise, je jouais en sourdine Je cherche après Titine. Vous savez, la chanson de Charlie Chaplin dans Les Temps modernes. Vous croyez qu’ils s’en seraient rendu compte ? Tu parles ! C’est dans la même tonalité que l’hymne national ! » L’homme qui trottine à la gauche d’Élie est timbalier. À chaque pas, ses moustaches battent le rythme, à la gauloise.

            Il y a d’abord le son, au loin, puis l’image d’une escadrille de chasse américaine qui déchire le ciel : sur les ailes, des étoiles blanches sur fond noir. Les sauveurs sont équipés de mitrailleuses et volent à basse altitude. Les deux amis d’Élie lèvent les bras pour saluer. Les avions descendent en piqué sur le camp et les abattent aussitôt. Par réflexe, Guéron plonge dans le fossé à côté du canal.

            Les avions ne font pas demi-tour. Il attend. Le geste de victoire de ses compagnons est déchiqueté par les mitrailleuses, les chairs mêlées aux chaussures et aux vêtements. À un cheveu près, il a échappé à la mitraille, et aussi, peu avant leur fuite, au bain de sang – règlements de compte des vaincus. Pourquoi est-il vivant ? Est-il vraiment vivant ? De nouveau le silence, sauf son cœur qui cogne. Il détourne son regard d’un bouvreuil écarlate posé sur le béret du flûtiste. (Écarlate ! Je note que la nature a assorti ses couleurs à la scène.) Il faudrait respirer une goulée de ce printemps absurde et tiède qui parle de liberté. Au loin, vers l’ouest, la route attire des grappes d’hommes, se déploie vers la vie.

            Ce jour-là, l’Histoire a encore bavé. En quelques secondes, les Alliés ont descendu des prisonniers de guerre français qui avaient survécu à la détention pendant cinq ans. Excès de zèle ? Peur ? Les soldats américains avaient-ils pris les prisonniers de guerre qui portaient l’uniforme français pour des soldats allemands ? Avaient-ils abattu des hommes qui faisaient le signe de se rendre ?

            Ces avions étaient surnommés les « Ogres ». Et maintenant, sous les crachats de la mitraille alliée, la mémoire ressasse la folie de ce printemps cramoisi.

            À Montreuil [où j’ai habité], le violon d’Élie, fabriqué en 1820 au Tyrol par Josephus Grienberger, avait passé du temps sous un lit, dans un tiroir. Un ami musicien s’en était inquiété. Un violon mémorable. Quel en était le prix ? Deux luthiers étaient venus l’estimer. Peu après leur départ, Ben [mon mari] décrocha l’interphone. Dès leur arrivée au rez-de-chaussée, des chiffres résonnèrent à leur insu dans l’entrée de l’immeuble : l’estimation (en francs) des deux luthiers avait augmenté du double. « Une bonne affaire ! », conclurent-ils d’une voix stridente.

            Plusieurs années après, par une de ces prévenances du hasard, je rencontre Lorenzo [Laurent Lovie] dans la Drôme. Ma mère n’est plus là pour assister à ces retrouvailles d’un violoniste et du violon, que Lorenzo fait sonner, ramène à la vie. Et le violon le reconnaît : c’est bien lui. Ils apprennent à se déchiffrer, à percevoir leurs orages, leurs accords et, à l’unisson, ils jouent, d’ailleurs, ils n’ont pas le choix.

            Un concert maison est organisé. On assiste à la remarquable arrivée du piano à queue Bechstein, « piano migrateur » utilisé par Sylvie [Sagot-Duvauroux] lors de concerts à domicile, ou dans des écoles, des prisons, des lieux peu habitués à la musique. Le piano migrateur, acheminé par camion, franchit rondement la porte d’entrée. Il faut trois gaillards pour l’assembler dans le salon, avec ses trois pieds et son pédalier.

            La musique caresse les cheveux châtain de Sylvie, spirale dans les sourcils de Lorenzo, se répand en paysages mouvants dans les oreilles d’une trentaine de voisins, d’amis et de leurs enfants. Après les applaudissements, l’attention de l’assistance se tourne vers la silhouette longiligne de Lorenzo, qui parle de la disparition, lors de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de violonistes et de violons, des instruments de musique spoliés qui dorment peut-être encore dans des coffres, de la nécessité vitale de leur transmission : « Autrefois, ces violons d’exception étaient transmis de maître à disciple, ils n’avaient pas de valeur marchande. Donc, quand on a un instrument entre les mains, comme celui d’Élie, on dit : Merci. » Une femme pleure en tenant mon bras. J’ai déjà versé ma larme aux premiers coups d’archet, bien avant le concert, en reconnaissant l’homme qui allait veiller sur le violon d’Élie.

            Ben et moi avons légué le violon Josephus Grienberger de 1820 en bonne et due forme à Lorenzo : il n’y eut pas une seule fausse note dans cette transmission.

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Extraits de La moelle de nos mots, récit autobiographique à paraître, de Linette Guéron-El Houssine

(les photos montrent, au début de cette prose, Elie Guéron vers 1990 (D.R.), le violon (D.R.) et, à la fin, sa fille, Linette, aujourd’hui)

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Deuxième Chant d’homme

Bêche, carillon, granit

Cycle de trois poèmes créés et calligraphiés (encre de Chine et gouache), pendant la tempête de neige des 2 et 3 novembre 2021à Briançon, sur diptyques de Clairefontaine 300 g de format déplié de 24 cm de haut par 32.

Ce cycle fait suite au portrait présenté dans Chant d’homme : Chant d’homme | Carnet de la langue-espace (wordpress.com)

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1

Retourner la terre,

inonder de lumière.

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Renversante, la beauté passe vite, à l’aube, ailes dorées.

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Sarcler, entendre l’humus,

entendre la vie, son poumon.

2

Sixième appel

le carillon, la course de tes pas dans la neige.

Soudain, dans le septième appel, on voit, chemise soulevée,

ton dos flagellé depuis l’enfance, la fuite éperdue

n’osant même imaginer une réponse au huitième appel.

3

Si l’on plisse les yeux

on discerne la haute pente des mélèzes orange

qui enfante la mer, le sel de la mer, les algues.

Lors dans la gorge étroite s’éboule le granit

en blocs et lames, lames et plaques ;

allez, ce sont tes pages à remonter, sans reliure,

pour porter ton récit qui ne pourra plus jamais

être accablé ni non plus naïf.

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Yves Bergeret

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Quatre qui écoutent leurs montagnes, ou roche

Poème de l’écoute, en quatre portraits, créés et calligraphiés à l’encre de Chine et à la gouache sur diptyques de Clairefontaine 224 g, de format déplié 24 cm de haut par 32, à Briançon le 31 octobre 2021.

On le lit dans une somptueuse traduction en italien, dûe au poète Francesco Marotta. La voici : https://rebstein.wordpress.com/2021/11/11/poema-dellascolto/

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1

Par la montagne qui grandit et comprend

Il apprend la vigilance du cobra,

Il observe éprouve la bêtise du scorpion,

Il apprend la place du jeune ancêtre parmi les étoiles,

son voisin de parole et de trait.

2

Par celle qui balance et saigne puis s’en va

lui, il apprend l’élan sédimentaire et souple,

il observe éprouve la vie qui baratte,

il apprend l’humanité, malgré tout, de la sève du lierre

et la beauté du mélèze qui se dénude pour l’hiver.

3

Sur le haut plateau que balaie la tempête

lui autre, il apprend le nouveau point cardinal,

il observe éprouve la poigne du savoir dont il geint,

il apprend que dans ses propres mollets

des ancêtres migrent bruyamment

et qu’en neige avalancheuse

chantent leurs épouses.

4

Dans le poing que serre le granit contre les vagues

elle apprend le fil noir, le fil brun de la parole,

elle observe éprouve la trame du savoir,

elle apprend à sauver le sel et l’âme des cristaux

dans un balbutiement orange

qu’enlace somptueux le ciel.

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Yves Bergeret

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