Archive | novembre 2023

Orphée et Eurydice, sur un textile de Thierry Véron-Dentressangle, œuvre de Mariam Partskhaladze & Nâna Metreveli

Du premier au quinze décembre de cette année la galerie Artundweise (Lorrainestrasse 16, 3013 Berne, Suisse) présente une exposition de divers travaux de l’artiste textile Thierry Véron-Dentressangle, personne délicate et sensible. Celui-ci crée en réinterprétant volontiers des textiles anciens.

Mariam Partskhaladze, artiste textile géorgienne vivant à Die depuis deux décennies (voir les deux articles Dans l’atelier de Mariam Partskhaladze, créatrice textile à Die | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) et Le rêve et le vent / Trois créatrices en art textile | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) ), apprécie depuis longtemps son travail et lui avait suggéré qu’ils fassent une création ensemble. L’exposition de Berne est l’occasion idéale pour présenter une œuvre commune.

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Thierry Véron-Dentressangle fournit donc à Mariam deux impressions numériques sur coton dont le thème est « Orphée et Eurydice » : il les a élaborées en 2019, elles figurent deux puzzle complexes en destruction ou reconstruction, monde finissant ou renaissant de ses fissurations, à éléments de base répétitifs, laissant pourtant apparaître en arrière-plan, dans des parties « vides », des morceaux de statuaire antique mutilés, sur un mystérieux fond noir : un poitrail de centaure, une probable nymphe dans un drapé léger très moulant, un torse masculin nu jeune, une probable Amazone montant à cru un cheval cabré. En somme un tête-à-tête virulent entre femme et homme, figé (ou pacifié ?) par la pierre sculptée ; au premier plan quelques couleurs crues en à-plat surtout par longues bandes rectilignes. Espoir, amour, désespoir, virulence, paix dans un marbre supposé immortel, maillage strict de l’image turbulente, espoir, frémissement de quelque chose à sans cesse reprendre : exactement comme l’Orfeo de Monteverdi en 1607 est le premier opéra européen à déployer dans une dynamique lumineuse la lutte entre amour et mort.

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Mariam Partskhaladze prend dans ses mains ces deux tissus, les étale à plat, les étire puis les découpe en longues bandes à bords parallèles, tels cordes vaporeuses de la lyre d’Orphée, puis elle en feutre une très large partie, plisse, serre, desserre, feutre encore certaines de ces bandes.

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Puis, avec l’aide de Brigitte Ogès, remarquable couturière, elle fait un montage de ces bandes en robe/chlamyde/toge/manteau en deux exemplaires, sur deux mannequins. Orphée et Eurydice sont morts depuis trente siècles. Leurs corps sont définitivement absents et fantômes. C’est l’inverse : leur pensée et leur énergie mythiques sont puissamment présents. Mythe de l’amour par delà même la mort, mythe de la parole poétique du joueur de lyre capable de calmer les bêtes fauves, de faire danser les arbres et d’aller chercher dans l’au-delà par le seul carmen-charme-sortilège de son chant son épouse qu’a mordue la vipère.

Mariam fait passer en trois dimensions les deux tissus de Thierry, les met debout sur des torses de mannequins. On pourrait croire des cannelures de colonnes du Parthénon, mais les bandes de tissu respirent au vent de l’atelier, au vent de la scène de quelque futur théâtre, au vent de la vallée montagneuse où vit Mariam. Les effigies, ici pleines-vides, des deux héros désespérés et opiniâtres bourdonnent des mélodies et des harmonies de Monteverdi. Mariam et Monteverdi et Thierry sont des êtres confiants, d’abord profondément humains.

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C’est alors que Mariam, lors d’un voyage en août dernier à Tbilissi, y propose à son amie, la célèbre brodeuse Nâna Metreveli, de prendre part à la création en cours. Celle-ci donne à Mariam de superbes broderies en brefs tourbillons de couleurs et d’ensorcellement. De retour à son atelier Mariam trouve bientôt comment joindre aux grandes bandes où le puzzle s’assemble et se disloque, où la figuration animale et humaine s’agrippe et s’efface, les talismans exubérants qu’a brodés Nâna.

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Et l’ensemble est si beau et si évocateur de la remise en harmonie dynamique et créatrice d’un monde que la douleur et la mort travaillent, qu’il me saute aux yeux, qu’il me saute à la mémoire, qu’il me saute à l’espoir, que Mariam a trouvé la juste place pour le rameau d’or. Oui, rappelons-nous : lorsque, dit Virgile, Enée demande à la prophétesse de Cumes comment accéder à l’au-delà (que l’Antiquité gréco-romaine situe sous le sol et appelle globalement « Enfers »), elle lui indique où cheminer par de sombres gorges et des forêts touffues jusqu’à découvrir en haut d’un arbre ce très mystérieux rameau d’or. Le cueillir à main nue. Le cœur pur, entrer avec lui dans l’au-delà. Orphée procède comme Enée. Mariam modernise et rend encore plus humain et sensible le mythe : le talisman d’or n’est plus en haut d’un arbre, mais maintenant le voici directement sur le vêtement d’art, de souffrance et d’espoir qui enserre enserra les corps des amants.

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Orphée lui aussi veut « descendre » dans l’au-delà pour en extraire son amante. Charmés-envoûtés par le chant de son poème, les dieux le lui consentent. Il doit seulement marcher devant elle en « remontant » dans le réel et ne pas se retourner vers elle avant d’avoir atteint la « lumière du jour ».

Hélas il ne résiste pas à l’impulsion de son amour, tourne la tête pour lui sourire : Eurydice tendant en vain ses bras devient fantôme de fantôme. A jamais.

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Pour faire ces quelques photos-ci, Mariam, son mari Vassili (Vassili, imprimeur parmi les traces et les signes des montagnes | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) / son atelier jouxte celui de Mariam) et moi sortons et posons sur de simples tabourets le couple d’œuvres présentes-s’absentant vers quelque ailleurs pathétiquement inatteignable. Le couple d’œuvres vit dans le mythe, bandes de tissu et de broderies sombres et dorées, que soleil et très léger vent viennent écouter. Comme dans le mythe Orphée remonte, lui devant, vers le réel ; derrière marche Eurydice. Il y a une absence, un appel du vide, mais, non, non et non, l’œuvre est là, toute présence.

Je remarque le petit arbre que Vassili a fait planter juste devant l’atelier de sa femme en 2020 ; l’arbre cet après-midi où je prends ces photos insiste pour participer à l’œuvre. Vassili, très sensible depuis son enfance à la vie profonde des langues particulièrement dans cette partie du monde dont il vient, me dit que c’est un « acacia de Constantinople », un arbre qu’il aime depuis toujours ; mais en Géorgie on l’appelle « Acacia de Lenkorani ». Vassile ajoute Lenkoran est une ville d’Azerbaïdjan non loin de la mer Caspienne et qu’étymologiquement son nom vient du mot persan « lenkoran » qui sert à désigner « le lieu du lever de l’ancre ».

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Yves Bergeret

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Ciel rouge, grumes, bœufs et galets

D’une manière aussi dynamique que précise le poète Francesco Marotta propose sa traduction de ces poèmes en italien : https://rebstein.wordpress.com/2023/11/19/ciottoli-controcorrente/

Ciel rouge

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Poème en huit strophes sur trois triptyques de format déplié A2 avec collages de pièces sur papiers divers à l’acrylique et à l’encre de Chine, créé et réalisé à Veynes le 15 novembre 2023

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Un peu avant le soir

certains nuages se sont enflammés

par en dessous.

C’est le rouge, ce rouge des viscères frais.

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La montagne s’est un peu reculée

pour laisser bonne place à l’haruspice,

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puis elle se ravise

et bondit de l’avant

parce que, après tout, c’est elle et moi

qui, nous seuls, décidons de l’avenir.

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Suis-je la boue de la montagne

ou est-elle ma boue ?

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C’est en allant ensemble que nous y verrons

clair, ma chère montagne.

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Nous savons bien qu’en poussant à hue et à dia

nous fabriquons le destin

non sans croiser des grumes suintantes

ou aussi des fers à béton tordus.

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Mais rien n’y fera,

si je me décourage, tu m’enlaces,

ma chère montagne,

pour me prodiguer ta chaleur stellaire

et me voilà repartant dans tes pas

sur ce territoire de mort et de rage

et de flétrissement et d’exubérance

où avec de la boue toi et moi

créons l’humain profil,

creuse caverne et globe somptueux.

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Beaucoup brille à la voûte

ou sur le dessus du crâne lisse

de l’ancêtre absolu

et nous allons.

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Grumes et bœufs

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Poème en trois mouvements sur trois triptyques de format déplié A2 avec acrylique et collages de pièces découpées elles-mêmes à l’acrylique et à l’encre de Chine, créé à Lus-la-croix-haute et réalisé à Veynes le 16 novembre 2023

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Dans la clairière boueuse à mi-pente

le bûcheron-camionneur charge sur la remorque

ses cinquante grumes

toutes amoureuses de lui

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puis part lentement porter les cinquante tigresses langoureuses

de l’autre côté de la montagne noire

à la scierie de l’oncle

où les grumes dans de grands couinements

se feront planches claires par milliers

avec un profond parfum âcre

de fond d’océan.

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A reculons le vacher avec son tracteur pousse

la benne des êtres serrés

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à reculons entre dans le pré

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le tracteur pousse encore cinq mètres

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puis ouverture du vantail

du fond de benne.

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Rien. Les êtres bruns n’expriment rien.

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Le vacher en grosses bottes de caoutchouc

entre dans la benne, pique avec une

longue ferraille les ventres les croupes.

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Un premier bœuf brun descend

de la benne belle comme un cratère.

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Il est temps de changer les bœufs de pâture.

Le vent glacé déchiquète les tardifs.

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Ils déplacent les choses, vacher et bûcheron.

Toute la vie ils déplacent

fourrure de la montagne, bovins en pâture.

Toute la vie ils déplacent les choses

sous la voûte du ciel, sous le crâne de la mère

dont une tempe bat sur la rive sèche de la solitude,

l’autre sur la rive tendre de l’écoute.

La vie les déplace toute leur vie d’une rive à l’autre.

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Ils enfoncent profond sous la boue, profond

sous le tapis végétal, profond dans la mémoire,

profond dans le futur, des pieux de parole

qui portent tout et surtout l’estrade

sur laquelle la vie n’est plus végétale ni animale

mais est dramaturgie vers plus de lumière,

vers quelque universel bonheur clair.

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Banc de galets

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Poème en trois mouvements sur trois triptyques de format déplié A2 avec acrylique et collages de pièces découpées elles-mêmes à l’acrylique et à l’encre de Chine, créé à Veynes le 17 novembre 2023

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La vie d’une personne

c’est un banc de galets

au fil du courant d’un torrent.

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L’art est d’écouter le son de chaque galet,

est de saisir leurs entrechocs,

leurs frottements.

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L’art est de les placer à rebours

en sorte que leur cortège

donne mélodie ou quelque rude litanie

où le « non » élance le « je vais »,

où le « oui, allez, je vais » élance le « mais, tu souffres ? ».

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Poser les galets à contrecourant, oui,

et l’eau ruante les saute en riant

mais les galets font bien plus que répliquer.

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Avez-vous vu qu’alors ils ne sont pas

des bœufs blancs ou bruns,

qu’ils ont des jambes puissantes,

qu’ils bondissent,

qu’ils inventent cela qui se nomme « rebonds »

et qu’ils sont des taureaux clairs d’une grande fertilité ?

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Yves Bergeret

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Poèmes de Briançon [dont La Grotte, sur Leporello], à la fin d’octobre 2023

L’ensemble de cette publication se lit en italien dans une splendide traduction du poète Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2023/11/03/poemi-di-briancon/

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1

Huit aphorismes, en deux parties, sur donc deux dépliants à huit volets de Fabriano 200g, au format déplié de 40 cm de haut par 150, créés à l’acrylique et à l’encre de Chine au pied du lac de l’Eychauda, près de Vallouise, le vendredi 27 octobre 2023, juste après chutes de neige et de pluie massives.

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Dans la boue aussi

brille

la graine

de la rage de vivre.

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Aucune herbe ne plie sous les cris.

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Merci, boue,

qui remoules ma cheville

que la montagne brisa.

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L’aigle soulève

le monde périlleux.

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Je cherche

je cherche

les commissures

du grand visage.

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Homme jeune

se sculpte

en forme de cascade.
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L’eau qui bondit

du haut de la falaise

ignore tout mensonge

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Merci, falaise qui répercutes notre dialogue,

falaise qui sais répliquer, merci.

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2

Poème en deux strophes, calligraphié à l’encre de Chine et à l’acrylique sur très grand papier robuste de 215 cm de haut par 60, le samedi 28 octobre 2023 dans les hautes pentes juste vers 2300 mètres sous le lac de l’Eychauda, près de Vallouise

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L’un écoute l’hélium de pensée et d’art

que lui insuffle l’autre,

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l’autre : double triangle d’œuvres-éboulis millénaires.

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Voici l’ascension.

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L’autre a accompli

puis part en fumée noire vers le sommeil du ciel.

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L’un respire en son propre son,

à son tour socle du monde

qui s’éboule et toujours renaît.

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3

Neuf brefs poèmes, calligraphiés à l’acrylique et à l’encre de Chine sur un cahier allemand de 120 grammes, de format A4, à la fin d’une journée harassante (le 29 octobre 2023) de montée au lac Long, dans le fond de la vallée de la Clarée, assez près de Briançon, sous menace imminente d’une tempête de neige et sous un vent glacial déchaîné ; toutes crêtes et aiguilles du massif des Cerces émergeant d’une chute de neige juste précédente luttaient sous le déferlement des masses de nuages épais tandis que dans les pentes les mélèzes en foule faisaient, à contretemps du vent fou, remonter vers le ciel bouché l’orange de leurs aiguilles saisies par les premiers gels.

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1

Je sais que je pars en fumée noire,

que je veux partir en fumée

de feu de branchages de mélèze.

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2

Et le tsunami de nuages sombres

gris opaques mord

avale les crêtes verticales

qu’écrase la neige des derniers jours.

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3

Les parois s’effritent.

Sera-t-on à présent incapable

de déchiffrer ce que le vent tambourine

avec les branches des pins à crochets ?

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4

Aux seuls mélèzes de cet automne je demande

s’ils savent remonter vers le haut de la pente

mon épuisement.

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5

Bris des aiguilles orange et jaunes

par myriades rattrapent la fumée noire que je suis,

la dissolvent.

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6

Ironie fissurante, rire jubilant,

immenses bris orange

strient le poids des éboulis et des neiges

et l’innommable, la brutale et goulue.

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7

Qui veut partir en fumée noire

vers le sommeil du ciel

par derrière le tsunami

s’en va.

Quitte et part.

Fumée sitôt gobée oubliée vide.

Allez, les petits fauves déchiquètent les restes,

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8

même l’os léger.

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9

et puis le vent déchaîné glacé

me jette au sol dans la boue givrée

de la pente sous le lac

et j’éclate de rire.

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4

La grotte

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Poema créé le 30 octobre 2023, journée de déluge de pluie et neige cependant journée de retour à la cathédrale d’Embrun ( https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2016/10/02/pierre-qui-monte-cree-a-la-cathedrale-dembrun/  ), et calligraphié à l’acrylique et à l’encre de Chine à Briançon le 31 octobre sur un Leporello chinois à 24 volets de format déplié de 25 cm de haut par 408.

Outre son dialogue avec les espaces des montagnes autour des lacs de l’Eychauda et Rond, outre son dialogue avec le spacieux volume intérieur de la cathédrale d’Embrun, ce poema est également porté par l’écoute régulière et très attentive, depuis deux mois, du Prometeo, tragedia dell’ascolto, de Luigi Nono.

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Puis en entrant dans la grotte

j’ai vu.

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1

Il s’est révélé que le ciel en ses vents et ses nuages

et aussi en ses étoiles par les nuits sans lune

est une conque

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où résonne le son grave

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et dans le fond de la conque

s’arque une voûte de pierres alternées brunes et blanches

qui du bout de leurs poids millénaires

enflent et vaquent

comme une voile de felouque.

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2

Puis dans la demi sphère sombre

du creux de la voile palpitante

j’ai vu la fosse de l’orchestre et y suis parvenu.

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S’il joue à l’unisson, tout le ciel s’émeut

et se glisse jusque dans les pierres brunes et blanches

et vient ramper dans les corridors de la mémoire

où bougie point ne brûle

mais seulement lumière vacille épineuse

disséminée,

ces ocelles sur la peau du creux de la main,

ces cristaux dans les pierres brunes et blanches.

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3

Mais point de dispersion

car c’est juste le fond d’une grotte encore plus profonde

tout au fond de la conque

et dans ce cinquième fond

les lueurs sont les éclats de deux yeux

par les orbites rieuses

de ce qui ne cherche jamais d’excuse ni de prétexte.

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4

Voici le fond de la grotte sèche sombre

et c’est là fusion

de son grave et de lumière.

Cela s’appelle candeur

et souffle dans la voile de la felouque.

Et dans le crâne de l’enfant.

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5

Et dans les interstices des pierres,

entre les mailles du filet céleste

filtre passe le long récit sans temps ni maître ni héros

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car le fond du fond

fédère les cascades en leurs bavardes légendes

jusqu’à cet unique récit

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mais que rien ne révèle ni ne disperse.

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6

Or le fond de la grotte derrière le fond du fond

s’arque en bouche minérale brune et blanche,

blanche et brune conque.

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Y a-t-il salive par la grotte et ses voûtes dans la voûte,

qui le sait ?

fosse buccale de peut-être l’orchestre

des âmes sans mains ni yeux

qui se meuvent par les bris des cascades et leurs cris heureux

et les cristaux des pierres.

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Puis assis sous la voûte presque noire

du septième fond de la grotte

j’ai vu.

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7

Vers ce fond de la grotte

les montagnes ocres encore en pénombre

descendent trois à trois

par les pentes au long des cascades du chant

fait de son grave et de lumière mêlés.

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8

Descendant, leurs pas souples alternés

entraînent dans leur caillasse

des ombres plus sombres que le centre de la grotte,

les ombres des océans et de ces murailles

que le passé par ses tempêtes et ses foudres

tenta de submerger.

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9

Mais rien ne se noie.

Poutres, fémurs et bassins, cuirasses et corsages

dans le fond de la grotte s’entassent,

vastes grumeaux de ce qui fait vibrant socle

au grave son que la lumière laboure.

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10

J’ai vu.

Montagnes hautes et éboulis bas

sont mêmes triangles symétriques ou superposés,

même boucliers de sens et de sang,

deux fois pointe en haut

et le lien d’un triangle à l’autre

est une fibre du son grave

et mille fibres

tressées

donnent sans fin le son grave

que lumière ensemence dans la grotte,

divin poing fermé

où la graine de sens et d’humanité germe.

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11

Avez-vous vu les cordes vocales

au fond de la grotte,

au fond du masque de granit humide sec ?
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Yves Bergeret

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