Archiane
Poème écrit et calligraphié en deux diptyques (à l’encre de Chine et acrylique sur « Dessin à grains » de Clairefontaine 180 g au format déplié de 29,7 cm de haut sur 40), au pied du Roc d’Archiane, près de Die, le 28 mars 2021.
« J’ai deux épaules, dit la montagne,
l’une pour porter le sel des hommes, l’autre leur sang ».
Elle l’accepte. Elle en parle à demi-mots.
« Ma tête vogue.
Elle pourrait voguer, dit la montagne,
même sur vos choses peu claires
car je sais voir loin.
C’est vous qui m’avez suggéré le lointain
en perdant votre virginité
que vous aviez prise pour votre espoir ».

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Yves Bergeret
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Les Façadiers
Ce poème se lit en italien grâce au poète Francesco Marotta, dans une traduction belle par sa fermeté sensible et sa clarté noble. Le voici : I muratori | La dimora del tempo sospeso (wordpress.com)
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L’orage, le dégel jettent dans la pente
les pierres calcaires aux arêtes saillantes.
Elles chutent. Jusqu’au lit du torrent. Scarifient. Tuent.
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Les pierres, le torrent en son lit les roule
jusqu’à les polir arrondir en galets lisses :
alors avec eux chantent les remous.
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Des mains d’il y a dix siècles
ont prélevé les galets, avec eux
ont monté des murs de maison.
–
Les murs chantent l’écho de la chute,
du frottement, du remous ;
la chambre est l’oreille de la montagne.
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Depuis huit jours les maçons façadiers
sur les planches de leur échafaudage dans la rue
lavent au mur la face solaire de chaque galet
–
puis sur le mur jettent à la truelle l’enduit frais
qui les enchâsse, et voici à neuf le tympan
vibrant de mille ans de vie humaine, de vie.
–
La chambre est le temple où chaque aube se marient
millénaire humain et millénaire calcaire :
je salue les façadiers qui officient.
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Qui l’entendra dormira dans la racine du poème.
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Yves Bergeret
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Ton premier hiver
Poème écrit à Langeais le 17 mars 2021.
Le poète Francesco Marotta l’a mis dans la langue italienne, dans une traduction toute de lumière et de tendresse : Il tuo primo inverno | La dimora del tempo sospeso (wordpress.com)
Vers la fin de ton premier hiver
en t’appuyant au panier d’osier que tu pousses devant toi
tu te mets à te déplacer debout seul.
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Le panier est fier que tu lui donnes ta force.
Il glisse sur le sol.
Il glisse comme une longue chanson sur la mer.
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Le panier et toi glissez votre longue chanson.
Elle réveille le sol de la pièce et la terre du jardin
que l’hiver avait engourdis afin qu’ils préparent leur force.
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Tu entends la chanson que ton panier saura rouler jusqu’à la mer.
Elle filait déjà sur la neige crissante de la montagne.
Aujourd’hui c’est toi qui chantes dans le creux de nos oreilles.
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Le panier et toi racontez une très belle histoire
car tu sais maintenant aller de long en large
comme le rouge-gorge dans le jardin.
–
Ecoute bien, le bruit sec et doux du panier d’osier
c’est le son né de toutes nos histoires,
de tous nos voyages par les montagnes et les plaines,
au long des eaux vives et des eaux douces.
–
De l’autre côté du jardin le fleuve
roule doucement ses sables.
Lui aussi est fier de faire aller sur le sol ses eaux et ses sables.
Ecoute comme le fleuve traverse l’hiver
en brassant ses sables.
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Très loin par là-bas où la neige habille tout l’hiver la montagne
le fleuve en frottant a pris à la roche les grains
dont il fait le sable. Et il le porte jusqu’ici
et il le portera jusqu’à la mer.
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Parfois c’est toi avec ton panier qui appelles le sable
et encourages le fleuve.
C’est toi qui es l’ami du sable.
Le fleuve vient le déposer près de toi.
–
Le fleuve t’écoute. Il pousse et il pousse le sable et lui dit :
« sable, dessine une grande oreille
pour écouter le petit garçon et les oiseaux et le vent ».
–
« Sable, dessine une bouche
pour déposer un baiser sur le front de ceux que tu aimes ».
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« Sable, dessine une aile grande comme une maison.
Du fond des eaux elle va s’élever, longue plume à longue plume,
pour aller en long, pour aller en large
comme un petit garçon qui fait ses premiers pas ».

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Yves Bergeret
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Un dialogue mythique ? : réponse à Zhang Bo
27 février 2021
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Une question, cher Yves : te souviens-tu quelque mythe, symbole ou allégorie dans la tradition occidentale sur la notion de « dialogue » (comme le dialogue entre toi et moi). Par exemple : quand on dit le poète, on pense à l’Orphée. Alors en parlant de dialogue, on pense à quoi ?
Une récente lecture surexcitée que je veux partager avec toi, un poète espagnol contemporain, Antonio Gamoneda, qu’on vient de le traduire en chinois. Une poésie très forte !
Bien à toi,
Zhang Bo
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28 février 2021
Cher Zhang Bo,
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Dans ton mail d’hier tu parles de ce type de dialogue qui est débat d’idées et recherche d’une pensée analysable voire partageable, au moyen de ce débat même, entre plusieurs personnes qui sont strictement sur un pied d’égalité. C’est ainsi que nous avons traduit ensemble René Char dans ta langue et l’avons publié dans ton pays, en Chine, alors que les socles culturel, philosophique, anthropologique de nos deux langues sont extrêmement différents. Ah, ta question sur une figure mythique du dialogue est une question difficile et centrale…Cette question a une signification particulière en étant formulée depuis la Chine où les « figures mythiques fondatrices » continuent à imprégner les esprits, que ce soit Confucius ou Lao Tseu, que ce soit tel « génie » politique, que ce soit les poètes classiques de l’époque Tang ou Song dont la « perfection » devrait être sans fin répétée et perpétuée (ce que d’ailleurs certains poètes chinois contemporains s’emploient à ne pas faire)… En France à l’inverse, pour rester dans le domaine littéraire et plus précisément dans celui de la poésie, le moment de la Renaissance où les poètes français de la Pléiade voulaient de référer à une perfection mythique de la forme et du contenu des poètes de l’âge classique de l’antiquité grecque et romaine, comme Catulle, Horace, Pindare, etc., n’a été suivi d’aucun effet poétique durable ; ici chaque siècle tend à renouveler profondément la poésie et même la littérature en général.
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Aujourd’hui c’est du dialogue que tu parles et d’un éventuel et très populaire référent mythique du dialogue en Europe. Dans l’anthropologie européenne et la culture « occidentale » (si cette formulation peut être aussi large, ce qui n’est pas sûr [il est très difficile de considérer qu’un Allemand, un Français et un Italien ont vraiment en commun un même socle mythique, culturel et anthropologique…]) je serais presque tenté de te dire que le mythe et le dialogue sont incompatibles.
On sait très bien comment le mythe fonctionne (cf Mircea Eliade, qui a été un chercheur fondamental sur cette question) : une parole prédictive, performative, éthique et même normative pour toute une société est portée par un « héros » solitaire qui est en lutte contre les dieux, contre le destin, quelquefois contre une partie restreinte de la société ; ce héros accomplit des exploits qui fondent l’éthique de toute une société qui cherchera à répéter sans fin les gestes et paroles du mythe : ainsi évoque-t-on encore à présent Ulysse le rusé voyageur par exemple, ou Hercule l’opiniâtre lutteur surmontant toutes les épreuves physiques.
Au sens anthropologique et philosophique exact, non, il n’y a pas de mythe fondateur et fédérateur du dialogue. Dans la culture populaire au sens le plus large, je n’en vois pas non plus.
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Mais, pour des Européens ayant acquis une « culture classique », sur la question de « dialogue exemplaire devenu une sorte de modèle quasiment mythique », ce qui vient immédiatement à l’esprit ce sont les Dialogues de Platon : en fait les dialogues philosophiques de Socrate avec ses élèves parmi lesquels se trouvait Platon. Le « dialogue socratique » et sa maïeutique sont fondateurs pour la culture intellectuelle européenne ; et on peut les considérer comme les fondements de la philosophie, de la rationalité et de la pensée occidentales. Mais c’est précisément en rupture presque complète avec la pensée mythique qu’ils agissent : le dialogue socratique exclut le monologue héroïque, met en débat dialectique incessant la recherche des « Idées » et fonde la relation au monde, la relation à autrui et la Cité.
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Le dialogue d’idées refuse la pensée mythique et par le débat contradictoire sur « l’agora » (terme grec ; chez les Romains on appelle cette place publique, où les citoyens débattent, le « forum ») il instaure l’écoute, le respect de l’autre et la dialectique jusqu’à, si possible, une synthèse conclusive.
Le dialogue est évidemment la substance de base de la démocratie athénienne, de la cité grecque ou romaine ; puis de la république moderne fondée par la Révolution française. Toute personne qui développe une posture de héros mythique est alors vue avec méfiance : elle porte en elle un risque de retour au despotisme archaïque, dont avec la plus grande vigilance tenaient à se garder les citoyens et philosophes grecs.
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Un des textes anciens qui dit le mieux la fondation du débat contradictoire est la tragédie d’Eschyle Les Euménides où on voit très bien comment les citoyens retirent à des dieux vengeurs et coléreux le pouvoir de tout « trancher », celui en particulier de juger les crimes humains, et transfèrent ce pouvoir de juger à un tribunal de citoyens qu’ils fondent : alors les déesses de la vengeance sanguinaire qui s’appelaient les Erynies perdent leur pouvoir, s’adoucissent, changent de nom pour s’appeler dorénavant les Euménides ; on voit très bien dans cette tragédie comment le mythe à l’autorité arbitraire, violente et sanguinaire est évacué pour céder la place au dialogue, au jugement après débat contradictoire, enfin à la fondation du premier tribunal de l’histoire occidentale.
Mais c’est un texte difficile, peu connu du grand public actuel ; fondamental pourtant et abondamment étudié par les philosophes, les historiens, les intellectuels et les chercheurs de toute sorte.
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Si on cherche dans les documents fondateurs de la « culture européenne », on trouve quand même quelques éléments gréco-romains d’un dialogue mythique. Ces éléments sont très faibles. Dans la mythologie, il s’agit de Castor et Pollux, mais il est très difficile de connaître les paroles qu’ils se sont échangées. Chez Homère, il y a sans cesse et dans l’Iliade et dans l’Odyssée des apparences de dialogue entre les dieux d’un seul et même panthéon dont certains soutiennent les Troyens et les autres les Grecs ; mais il ne s’agit pas du tout de dialogues, il s’agit de disputes abondantes avec insultes et provocations : ces dieux mythiques-là n’ont strictement aucune idée de ce qu’est un dialogue.
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Dans les textes mythiques français, donc essentiellement dans les épopées médiévales, il y a une trace de très forte gémellité fraternelle et amicale dans la Chanson de Roland entre Roland et son grand ami Olivier ; mais il est difficile de considérer qu’il s’agisse d’un dialogue, ce sont plutôt des actes guerriers ensemble puis les pleurs de Roland lorsqu’Olivier est tué le premier.
De même à l’est des espaces de la culture européenne tu as la gémellité splendide de l’amitié entre Gilgamesh et Enkidu, mais avec très peu de « paroles en débat ».
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Si tu cherches dans la partie chrétienne du socle de la culture européenne, le dialogue d’idées est presque absent de la Bible et de ce que les gens en mémorisent. Une exception : dans les Évangiles, texte mythique performatif où le héros-dieu (le Christ) pose la parole comme un enchaînement de dogmes sans aucun débat, il y a un moment de suspension du monologue mythique. C’est, dans la Passion du Christ, un épisode bref qui s’appelle le Jugement de Caïphe ou le procès du Sanhédrin : là le héros-dieu est muet et ce sont les juges humains du tribunal juif qui débattent contradictoirement sur ce qu’il faut faire de ce personnage, le Christ. J’ai écrit là-dessus plusieurs articles sur mon blog, à partir d’une fresque de la Renaissance en Sicile à Piazza Armerina ( Le Jugement de Caïphe, à Piazza Armerina, en Sicile | Carnet de la langue-espace (wordpress.com)) et à partir d’une grande tapisserie dans la cathédrale de Romans, non loin de Die (Le Jugement de Caïphe, à Romans sur Isère | Carnet de la langue-espace (wordpress.com)) : ces deux oeuvres plastiques sont exceptionnellement rares dans l’iconographie occidentale car la pensée chrétienne favorise fort peu ce principe du débat des êtres humains face à un dieu solitaire qui « sait tout » et affirme être la Vérité.
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Mais si on transforme la notion de « dialogue d’idées » en celle de « dialogue amoureux », c’est tout à fait autre chose et, je crois, ne concerne pas la question que tu m’as posée : alors la culture européenne a des mythes populaires puissants à ce sujet ; et tout le monde les connaît plus ou moins. Il s’agit de Roméo et Juliette, de Tristan et Isolde, de Manon Lescaut et du chevalier Des Grieux, etc… Il s’agit vraiment d’autre chose, car leurs échanges de parole sont très souvent en rupture avec la société et l’ordre du monde ; ils sont du domaine de l’affectivité ou même de l’érotisme et le plus souvent ne posent pas directement de question philosophique et sociale pour la communauté ou la société ; leurs échanges de paroles peuvent parfois poser des questions sur la liberté individuelle (pré-romantique) de l’affectivité individuelle. Leurs échanges de paroles sont plutôt des fuites acharnées voire suicidaires qui ne fondent rien mais affirment seulement l’énergie violente voire illimitée du désir et du lyrisme. C’est, tu le vois, une question tout à fait différente.
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2 mars 2021
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Pour continuer à te répondre, cher Zhang Bo, j’ajoute au sujet du « dialogue d’idées » ces éléments. Ils n’ont quasiment rien à voir avec le dialogue amoureux. Ce que je vais te dire ici n’est hélas pas diffusé dans le grand public ; mais les lecteurs très cultivés, fort peu nombreux, connaissent trois grands dialogues d’idées récents.
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Bien sûr ces lecteurs-là sont très intéressés par les grands dialogues (assez faussés d’ailleurs car les dialoguants ne sont pas à égalité) qui se développent largement dans les romans de Dostoïevski, en tout premier lieu dans les Frères Karamazov ; tu le sais, ils opposent fortement et longuement d’une part une pensée « slavophile » ancrée dans la religion orthodoxe, pensée « slavophile » qui serait le propre de l' »âme » russe ou même, dit-on parfois, de la civilisation russe, et d’autre part une pensée « occidentaliste », rationaliste, tournée vers l’Europe des Lumières et vers la notion de progrès.
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Le splendide mais difficile roman de Hermann Broch La mort de Virgile déploie un très grand dialogue entre Auguste et Virgile, entre le pouvoir de l’empereur au faîte de son puissance et le poète certes un peu son dévoué artiste mais avant tout homme et penseur libre. Ce roman est fondamental pour la conscience européenne, mais a hélas peu de lecteurs.
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Enfin il y a le dialogue entre Agathe et Ulrich, dans L’Homme sans qualité de Musil. Ils sont frère et soeur. La vieille société austro-hongroise, puissante et riche mais ayant perdu tout idéal, s’épuise et s’étouffe sur elle-même ; Musil l’appelle la « Cacanie ». Les deux personnages s’en retirent et vivent hors société en cherchant à atteindre et peut-être construire ce qu’ils appellent « l’autre état », mais c’est un échec. Cependant ce roman est lui aussi un roman difficile et loin d’être répandu dans le grand public.
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Voici maintenant autre chose. Dans l’histoire littéraire française (et je ne suis pas sûr que les autres cultures européennes aient connu un phénomène aussi net) certaines époques ont connu de très importants débats d’idées dans les milieux littéraires, avec des réunions où on discutait beaucoup et à égalité sans au départ aucune personnalité dominante.
C’est le mouvement de la Préciosité, surtout féminin, vers le milieu du 17ème siècle où, par opposition à la quasi rusticité à prétention épique des hommes se disant cultivés, s’est développée dans des salons uniquement aristocratiques une réflexion riche et abondante sur les questions littéraires et culturelles ; avec même quelques créations d’oeuvres collectives, dont la plus connue est La Guirlande de Julie. Je te signale aussi cette autre création collective de la Préciosité, la Carte du Tendre, qui dépasse complètement les formes littéraires et élabore une anthropologie en espace de la personne humaine dans tous ses états psychiques, une sorte de vaste diagramme sur papier empruntant à la cartographie ses modes de figuration : œuvre d’une très étonnante modernité. Hélas seuls les gens bien informés en histoire littéraire connaissent encore cela.
C’est également le mouvement actif de débats d’idées en dialogue très vivants, de 1715 à 1789, dans les salons et plus encore dans quelques cafés littéraires, surtout à Paris ; il ne reste à Paris plus qu’un café de cette époque, c’est le Procope, au Quartier Latin. Le Neveu de Rameau, de Diderot, témoigne parfaitement de ce débat d’idées dans l’espace public d’un café parisien.
Très peu de temps après, et bien sûr avec un contenu différent, tu as structurellement le même phénomène du « salon » : ce sont les « cénacles » du romantisme français.
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Tu vois que ces lieux de dialogue étaient plutôt dans l’oralité, mais historiquement ils ont été très importants. Le dialogue et le débat contradictoire d’idées s’y sont remarquablement développés. Beaucoup d’oeuvres majeures du Siècle des Lumières français sont issues de ces « Salons » et cafés, certes avec finalement un auteur unique
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Et on retrouve ici cet art très français de la « conversation », où une grande partie des milieux littéraires français excellent, de manière brillante ou de manière superficielle. C’est un fait culturel et littéraire.
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8 mars 2021
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Cher Yves,
Merci pour ta réponse très précise ! oui, c’est bien Socrate et la notion de l’agora que je recherche ici. J’ai lu soigneusement tes deux mails, le roman de Broch et celui de Musil existent également en Chine, mais comme tu dis, loin d’être répandus dans le grand public, et loin d’être compris.
Bien à toi,
Zhang Bo
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Yves Bergeret, en réponse à Zhang Bo
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Voix de la femme qui chante
Ce poème d’Yves Bergeret fait partie du cycle de 18 poèmes intitulé L’île parle, écrit en Sicile en 2009 et 2010 et créé au Théâtre Zo à Catane, en Sicile, en mars 2010 par Marina Borgo et Enrico Ciullo, percussionnistes à l’Opéra de Catane, et le poète qui disait le cycle de poèmes.
L’île parle est édité dans le livre L’Homme inadéquat, éditions Forme libere, Trento, 2010, bilingue franco-italien, la traduction étant l’œuvre du poète Francesco Marotta.
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Je suis la voix de la femme qui chante.
Ceux qui trouvent que je voyage d’une tendre gorge
à leur oreille mâle se trompent. Naïvement.
Car je voyage de la racine du volcan de l’île
aux torses de tous ceux qui bégaient dans l’approximation.
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De l’île je moule la forme.
A la montagne je rends sa mesure
qui offre l’eau qui irrigue les vallées.
Je relève l’étranger désespéré
que son ombre refusait de suivre
et la lui rends.
Je suis la voix de la femme qui chante.
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Je me penche au balcon d’où j’embrasse l’autre rive.
J’accueille et formule. Je n’appelle pas. Je salue.
Je mets les étoiles dans les mains des hommes.
Je vais chercher l’homme démembré et le réunis.
Je pars trouver l’origine et la lumière.
Mes joues, mon palais, ma gorge
sont le ventre où le monde se conçoit ;
je mets le monde au monde.
–
Je remets la montagne sur sa base
et l’étranger au sec après les courants aigres.
Le temps de mon chant
je rends raison à la vie qui hésite.
Voix du chant de la femme,
je suis la seule voix qui oriente l’île et l’étranger
sur le cinquième point cardinal,
celui où très clairement se voit
que la montagne est accueil et l’eau parole.
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Voce della donna che canta
Traduction de Francesco Marotta
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Io sono la voce della donna che canta.
Quelli che credono che io viaggi da una tenera gola
al loro orecchio maschile, si sbagliano. Ingenuamente.
Perché io mi muovo dalla radice del vulcano dell’isola
al petto di tutti coloro che balbettano nell’approssimazione.
–
Dell’isola modello la forma.
Alla montagna rendo la sua misura
che offre l’acqua per irrigare le valli.
Risollevo lo straniero disperato
e gli riconsegno la sua ombra
che si rifiutava di seguirlo.
Io sono la voce della donna che canta.
–
Mi affaccio dal balcone da cui abbraccio l’altra riva.
Accolgo ed esprimo. Non chiamo. Saluto.
Depongo le stelle nelle mani degli uomini.
Vado a cercare l’uomo smembrato e lo ricostruisco.
Parto per ritrovare l’origine e la luce.
Le mie guance, il mio palato, la mia gola
sono il ventre dove il mondo è concepito;
io metto al mondo il mondo.
–
Sistemo la montagna sulla sua base
e lo straniero all’asciutto dopo le aspre correnti.
Per tutta la durata del mio canto
restituisco un motivo alla vita che esita.
Voce del canto della donna,
sono la sola voce che orienta l’isola e lo straniero
sul quinto punto cardinale,
quello dove con estrema chiarezza si vede
che la montagna è accoglienza e l’acqua parola.
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Les Oiseaux silencieux 安静的鸟
Poème créé le 25 février 2021 à Châtillon en Diois avec collages et lavis d’acrylique et encre de Chine sur un diptyque de Fabriano Liscio 200 g, au format déplié de 29 cm de haut par 42.
Le poète Francesco Marotta propose sa très belle version italienne de ce poème, à cette adresse : Gli uccelli silenziosi | La dimora del tempo sospeso (wordpress.com)
C’est Zhang Bo, de Nankin, qui propose ici-même, sa traduction de ce poème en chinois.
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Cent oiseaux noirs
sont venus tourner en silence
au dessus de la berge du torrent
où je m’asseyais.
En voyant les oiseaux le torrent,
même gonflé par la neige d’altitude qui fondait,
s’est enfoncé dans son lit.
Ecrasés les galets gémissaient.
一百只黑色的鸟
飞来激流的峭岸上方
安静地盘旋
我在此安坐
眼望群鸟与激流
流水因高山融雪而上涨
冲入河床
碾压发出呻吟的卵石。
–
Soudain sans un cri sans un chant
les oiseaux sont partis en un seul tourbillon
derrière la pente des sapins
et le torrent a rejailli.
没有一声尖叫或鸣唱
鸟群突然在一旋之间飞离一空
飞向长满冷杉的山坡背后
激流四溅。
–
Il rejaillit à grand tumulte,
propulse le grand souci
它喧嚣纷乱地四溅
驱使着巨大的思虑
–
pousse le lourd souci
comme vache que
les taons harcèlent,
les eaux jubilent et crient
推动着深重的思虑
仿佛被蝇虻烦扰的母牛
水流欢欣并呼叫
–
crient à leurs frères les oiseaux
leur besoin de secours
que personne ne saisit n’assèche
呼叫它们的兄弟鸟群
叫出它们的求援之需 但愿无人将其捕获,无人令其干涸
–
crient à leurs frères les oiseaux noirs
l’autre fierté universelle
qui gonfle d’espoir les veines, les vents.
呼叫它们的兄弟黑色鸟群
另一种普世的骄傲
让血管与气流鼓起希望。
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Yves Bergeret
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