Poèmes de Cabourg, avec Xavier Lemaître, février 2016
Poèmes en quadriptyques verticaux de Xavier Lemaître & Yves Bergeret,
avec encre et peinture acrylique de ce dernier (format 65 cm x 25),
créés à Cabourg, du 21 au 24 février 2016, sur papier Canson 180 g.
Ces poèmes en dialogue se lisent en italien traduits par Francesco Marotta à cette adresse : https://rebstein.files.wordpress.com/2016/03/yves-bergeret-le-fil-du-rc3a9cit-2015-20161.pdf et là, à la page 119
1
Cire mordorée de sable étale ;
pas de terre en mer finissante ;
passes d’eaux marines et fluviales ;
souvenirs d’érosion, voyages à venir ;
traces du passé, promesses de futur ;
nature et culture en communion ;
harmonie des rythmes ;
échange des souffles :
une flèche jaillit d’espérance.
XL
A l’embouchure
sait-on jamais ce qui monte
et ce qui descend,
limon de quelles plaines dans les terres,
sable et sel de quelle marée
à l’embouchure
des enfants aux poches pleines de coquillages
tirent par les mains les lointains aïeux,
tirent les tourbillons dans le sable et le ciel,
les tourbillons des fiertés acquises
en haut en bas des collines dans les terres
YB
*
2
L’aventurier fatigué des marchés pénètre le bistro.
Le voici costumé : lunettes de Groucho sur nez de Cyrano,
Chapeau faux cuir biker des plaines, double veste jaunâtre
à carreaux de bûcheron canadien.
Voûté, chevelure de Custer, il est chaussé de bottes fourrées avachies.
Fourbu, il traîne par la bride une improbable charrette criarde
d’américanismes.
Il s’assied, dos au mur, barricadé derrière deux tonneaux dressés.
La bière, posée sans un mot, sur l’un d’eux, ne le fait pas réagir.
Tête renversée, regard flottant, le corps s’immobilise.
L’œil et la bouche s’arrondissent.
– Que regarde-t-il ? Rien, visiblement !
– Que voit-il ? Ses images !
Il s’égare dans les zébrures d’un papier peint faussement animalier.
– Où est-il ? Loin de France, un peu en Afrique,
sûrement dans cette Amérique de pacotille qu’il rêve d’incarner
et qui le transfigure au point que de lui adresser la parole,
c’est lui faire violence.
– Venez-vous de l’Arizona ? il bredouille,
son regard d’enfant pris en faute
contraste avec sa moustache drue.
– Qui êtes-vous ? Sa réponse fuse
« un cow-boy , enfin, j’aime bien, ça me plaît ! »
La parole brise la prison d’images,
Le buste se redresse, l’œil s’éclaire.
Saloon devient salon.
XL
Longtemps nous dérivâmes
d’îles en archipel. Parfois immobiles :
dans calme plat.
Sur le pont c’est tout simplement
la nuit crue qui nous réapprovisionnait
en légendes secourables
et les vieux espoirs nous recommençaient
leur théâtre loufoque.
YB
*
3
Le trône est vide
les mouettes viennent s’y asseoir par milliers
toutes têtes tournées vers l’origine du vent.
Le trône n’est plus vide
le vent trouve la place vide.
YB
Le repas est servi : nappe d’eau sur sable mouillé.
Nuées ailées se ruent à la curée.
La mer dépose chairs de crabes et coquillages concassés.
Les foules affamées plongent sur ces restes échoués : la laisse de mer.
Elles s’élèvent déçues ou repues dans les nuages bas, gris, solitaires.
Au banquet des hommes des terres
sont conviés leurs frères humains
rescapés des mers.
XL
*
4
Pas mal assuré, oreilles baissées, tête penchée
il scrute les scories du sol.
Chef relevé, il assure l’encolure.
Les promeneurs s’arrêtent, admirent, photographient.
Le pas s’allonge, la course se déroule :
souffle, sabot, canon à l’unisson.
Fier des droits sillons tracés
par les roues du sulky,
délivré de son guide,
libéré de ses peurs :
le cheval dévore la plage.
L’animal est son propre maître.
XL
Les coups humides des sabots,
la grande crinière noire,
le sulky dont le sable avale le sillage,
le jockey emmailloté dans son ciré,
les coups des sabots,
le cheval noir, le ciel bas, le vent.
Qui est le frère assassin ?
Qui est la victime
fuyant à tout allure
au ras de l’eau salée ?
YB
*
5
Comme le cow-boy, il tourne le dos à la mer.
Lui n’a aucun rêve outre atlantique.
Il trépigne, s’impatiente,
casquette vissée sur une trogne
plongée dans une assiette saturée,
se hâte de la vider.
Un paletot à col relevé est une peau qui le mange.
Il ne parle pas, jette des saillies
comme des coups de fourchettes,
pique le monosyllabe,
enfourche l’onomatopée.
Il tranche le temps au hachoir,
ne laisse aucune miette.
Il se dresse, se précipite aux cuisines,
crie « retraité ! », en ressort
avec double portion, l’engloutit.
Il part en coup de vent. Rituel.
Que fuit-il ?
XL
Au petit estuaire
trois poissonnières sous l’auvent
coupent les têtes et les queues.
Les maris repartent en mer
sur le canot bleu
tuer dans l’eau ce qui frétille.
Tout ira en four puis en bouche,
crépitant avec embruns, ressacs
plus neuf et vingt sept arêtes.
Les os des enfants croissent
aussi vite et fort que les rouleaux
déferlant sur le sable couvert de déchets.
YB
*
6
Au large, à l’horizon,
cargos attendent sur mer agitée,
qui sera le transporteur ?
XL
… le mouillage très au large
dont le ressac des vagues sur sable et galets
tonitrue le tiraillement
entre appétit de voluptueuse solitude
et délices de la foule petite dans les bars du port.
YB
*
7
Le cormoran,
vole, plonge, nage,
se fixe,
ailes en croix
au sommet du voilier.
XL
Avec vivacité elle ouvre la porte.
Tout l’air froid s’engouffre avec elle
et aussi la mort qui lui grignote les talons
et aussi l’odeur ancienne de ses deux enfants partis au Canada
dont le cormoran épuisé lui rapporte
un très lointain vagissement.
YB
*
8
Quatre roues titanesques,
mâchoires ogresses,
peignent la plage,
dégagent la digue.
Inexorablement,
le grain de sable se replace.
Son déplacement,
est la part de l’homme.
XL
On aime racler le fond du plat de gratin.
On aime fouiller jusqu’au fond l’archéologie du sanctuaire.
On jauge le grain de sable à sa résonance féminine.
On hume le vent à sa fougue de reproduction.
Puis la marée détruit tout
et le lendemain on recommence.
YB
*
Liste des principales installations d’Yves Bergeret
(le plus souvent avec interventions d’instrumentistes en musique contemporaine : Pierre-Yves Artaud, Marina Borgo, Enrico Ciullo, Clément Caratini, Francesca Gugliota, Savi Mana, Jean-Luc Menet, Olivier Journaud, Enrico Sorbello, Jean-François Vrod, Sergio Castroreale… ; et avec des dictions en italien, espagnol, chinois, tchèque, grec…)
1999 avril Fer, feu parole, ensemble de onze installations du pied au sommet de la Montagne Pelée, volcan actif de la Martinique (avec le plasticien martiniquais Christian Bertin)
2000 Signes et levées de pierres, Musée du Peuple Galicien, Saint Jacques de Compostelle, puis à Lugo, Espagne (avec le professeur Anxo Fernandez Ocampo)
2001 La Langue de Barbarie, Musée du Centre de Recherche et de documentation (ex IFAN), Saint-Louis du Sénégal (avec les peintres de pirogue pour la pêche océanique Iba Ndiaye et Vieux Ada Diagne) ; puis à Paris et Rennes
2000 à 2009 vingt installations de poèmes-peintures sur pierres dressées sur les montagnes entre Hombori et Boni, nord du Mali (avec principalement six « poseurs de signes » et peintres muralistes dans leurs maisons de terre, de l’ethnie dogon Toro Nomu [ plus très nombreuses œuvres sur tissu et sur papier avec les mêmes, ensuite exposées en Europe ])
2005 Parole et Montagne, Museo nazionale etnografico e preistorico Pigorini, Rome, Italie : sur le sujet précédent et avec ses très grands formats sur tissu (jusqu’à 7 mètres de large sur 3 de haut)
2006 La Mer parle, installation de poèmes sur soixante pièces de céramiques, Caltagirone, Catane, Venise, etc. (avec le céramiste Andrea Branciforti )
2007 Verba et imagines, dans la double grotte Eroa sicule puis hellénistique, dans le parc archéologique de Noto Antica, Sicile (avec le sculpteur Carlo Sapuppo)
2010 Alimentum, à la vasque d’eau au débouché du ravin des tanneries antiques, Noto Antica, Sicile (avec le sculpteur Carlo Sapuppo)
2012 L’Ombre loquace, Palais Nicolaci di Villadorata, Noto, Sicile (avec le sculpteur Carlo Sapuppo)
2013 L’Os léger, sur la façade de l’ermitage de la Providence, Noto Antica, Sicile (avec le sculpteur Carlo Sapuppo) ; puis à Paris et à la Biennale du Trièves (près de Grenoble)
2013 Les Voix du sol, dans les ruines de l’église Del Carmine, Noto Antica, Sicile (avec le sculpteur Carlo Sapuppo),
2014 La Soif, grande salle de la MdA du 15ème, Paris
2014 Dans cette bouche autour de laquelle nous tournons, Musée Ermitage San Marco, Aidone, Sicile (avec le poète Giampaolo De Pietro et le sculpteur Carlo Sapuppo )
2014 Archipel Vigie, temples de Poyols et de Ponet (entre Valence et Gap), dans la Drôme ; puis à Monaco
2015 Cinq inadéquats, salla Prisma, Aci Bonaccorsi, Sicile (avec le sculpteur Carlo Sapuppo)
2015 Le Cercle de Pierres, temple de Poyols, puis à Paris, puis à Noto (Sicile)
2016 Cheval Proue, Baptistère saint Jean de Poitiers
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