Archive | juillet 2019

Marées du Marché, Catane, en Sicile (avec Dario Lo Bello)

 

Poème en deux parties, créé par Dario Lo Bello, peintures, et Yves Bergeret, strophes, sur la place du Grand Marché de Catane le matin puis l’après-midi du 30 juillet 2019, en deux exemplaires sur quadriptyques de Fabriano Rosaspina 285 g, en format 35 cm de haut par 100 cm.

 

 

 

 

1

Marée haute

 

 

 

Marée haute refluant,

s’en vont en ruisselant

entre les minuscules crêtes les acheteurs,

les filles aux grands sacs à la main

pleins de fruits tristes et somptueux.

 

Entre les minuscules crêtes remontent et s’en vont

les petits vents taiseux lyriques,

grincent puis crient les voix des sans-voix.

 

Grands sacs barques presque

tandis qu’énormes les parasols

épuisés nerveux

aident les petits vents à officier

dans l’épicentre de Catane assoiffé

et nous à graver parole claire

dans la pierre noire.

 

 

 

 

2

Marée basse

 

 

 

 

Sur la place vide

à grand bruit

balayeuse et benne

tournent à deux,

valse lente.

 

A grand bruit

elles creusent dans le passé

sous le présent désert,

ouvrent le passé

comme fraise de dentiste

le passé cactus sec âcre.

 

Les cris des balayeurs et du souffleur

traversent tout l’estran,

cris frères des sternes des morts

 

qui picorent les miettes infimes de l’Histoire,

 

les miettes sont graines,

la place est port,

les façades sont contrevents,

le vent dans le vide dresse le passé

comme le bateau qui naît dans ta main.

 

 

 

 

 

 

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La Leonardia (en Sicile, à Zafferana 2)

 

Depuis mon arrivée jeudi je vois l’Etna frémir constamment. Forte fumée beige et grise. Divers grondements. Grande chaleur. Passant ce samedi par Zafferana je vois encore mieux les destructions de décembre dernier lorsque le volcan, a été très désagréable et a provoqué un petit séisme dans ce quartier, Fleri. L’installation du Jardin bâti, tout en jaune, qui m’avait tant étonné en mars dernier (voici :  https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2019/03/19/le-jardin-bati-de-giuseppe-leonardo-a-zafferana-en-sicile/), est toujours bien en place. Madame Leonardi me reconnaît avant même que nous descendions de voiture. Son mari, très malade à la fin de l’hiver, est debout, en pleine forme ; il va avoir 90 ans, sa femme à peine moins. Accueil très chaleureux, mes amis sont accueillis aussi et mis à l’aise tout de suite.

 

« Allez, prenez toutes les photos que vous voulez, on va faire un tour de jardin ». Deux gros nains sur une nacelle de ferraille peinte en jaune et ceinte de fleurs fluo en plastique narguent le volcan là-bas qui tousse, éructe, crache, fume.

 

 

 

La grosse végétation née des mains de Giuseppe Leonardi depuis tant d’années, alors qu’en même temps il pansait les opérés dans les blocs opératoires ou pilotait des voitures de course, jette en l’air ses volutes puissantes, légères et balourdes, de briques, de parpaings et de ciment, tout ça couvert de jaune, jaune, jaune vif. C’est le plein été. Le volcan grogne : il a trop chaud. La végétation naturelle est exubérante, partout les pots et plates-bandes de plantes aromatiques, médicinales et magiques regorgent de tiges exaltées, de feuilles amples : c’est le savoir-faire plus que millénaire de Madame Léonardi : elle construit un langage conquérant féminin sur le jardin, syntaxe de savoirs multiples pour gérer la vie humaine et ses accidents et ses voluptés, dans le voisinage constant du stupide volcan qui ébranle l’île, les maisons, les certitudes.

 

 

 

 

A la croisée de branches jaunes de ciment peint, Giuseppe Leonardi a posé un vase mystérieux, en terre cuite, sobre, bien sûr peint en jaune plus un peu de vert et de rouge. C’est quoi, ce pichet qui semble vide ? Qui de nous va prendre son anse, ses anses ? C’est un rappel têtu d’amphore ? C’est une urne funéraire ? Cela tremble et jette une ombre sourde sur le jardin craquant et grondant à son tour, jeune volcan moins sot, sous le soleil en extravagance.

 

 

 

 

Allez, la végétation de Madame se déchaîne, grimpe en tous sens, toise le ciel et les vents. Mais Monsieur jette les arcs et les courbes de ses lourdes et folles plantes de parpaings jaunes, forte musique de cirque, grosse symphonie en cuivres et percussions, et, allez, un peu de contrebasse aussi.

 

 

 

 

Giuseppe Leonardi nous dit de passer par là derrière, un petit escalier que je n’avais pas vu en mars. Nous voilà sur une sorte de toit terrasse. Le Jardin bâti de Madame et de Monsieur campe, très fier, très ironique, très courageux, dans l’été puissant que rythment là-bas les poussées de fièvre du volcan.

 

Retour au rez-de-chaussée. Sous le couvert d’un grand auvent nos hôtes nous offrent une boisson fraîche. Les petits séismes ont fragilisé la maison, d’évidentes contraintes de sécurité empêchent d’en utiliser les chambres, on voit quelques fissures aux murs. On vit donc sous un grand auvent à l’avant de la maison, donnant directement sur le Jardin bâti et, de côté, sur la cage du paon et la cage des perroquets.

 

Giuseppe Leonardi montre à mes amis dans ce qui sert, dans un lieu annexe à l’auvent et sécurisé, de cuisine et de chambre à coucher, ses diplômes, coupures de presse et souvenirs de pilote de voitures de course et de rallye. « Prenez ici ma femme et moi en photo ! »

 

 

 

 

Sous l’auvent, qui sert de très grande salle de séjour, une ancienne machine à coudre à pédale Singer et un puits pour accéder cinq mètres plus bas à la citerne d’eau de pluie ; le dernier séisme a fissuré et, en somme, détruit la citerne. Un maçon est descendu par le trou rectangulaire du puits pour boucher les fissures : l’eau est de nouveau là, pour la vie de la maison, des oiseaux et du jardin. Madame Leonardi est une ancienne couturière, virtuose. Elle coupe, assemble, coud, habille ses enfants et petits-enfants. La machine Singer n’a pas une journée de repos

 

 

 

 

Une grille juste posée sur le puits empêche les plus jeunes petits-enfants d’y tomber. Le seau pour puiser est le gardien fier de l’eau, posé tout droit sur la grille.

 

 

 

 

Sur le mur au dessus de la Singer et du puits, une œuvre composite : une grosse écorce ornée de fleurs en tissu, un éventail ouvert, une parodie de chapelet en petits piments rouges en plastique, deux petits fanions en soie brillante, une photo, deux apparents petits crucifix en bois laqué, un gros bouquet de fleurs épanouies en papier et plastique : en somme l’immortalité, bien peu religieuse, par l’ironie et la sobriété drue et franche.

 

 

 

 

Un peu plus loin à gauche, en direction des cages du paon et des perroquets, un très large écran plat noir pour télévision. Et juste à gauche de l’écran, en concurrence abrupte et ironique, un autel composite où dominent le blanc et, tout en haut de son petit monde syncrétique, le jaune. Jaune couleur dominante du Jardin bâti. Dans l’accolement hétérogène, un petit buste-reliquaire de la Sainte-Agathe, sainte extrêmement populaire de Catane dont le culte exubérant chaque début février conserve toutes les dimensions, y compris violentes, de l’animisme : une copie réduite d’un petit Christ baroque contorsionné, un tout petit archange Saint Michel battant ses larges ailes, diverses petites porcelaines et, dominant le tout, un très gros bouquet mêlant fleurs plastiques et naturelles. Le syncrétisme antillais ? Surtout les petits autels dits « Saint Expédit » qui pullulent à l’ile de La Réunion : son gros volcan a poussé tout seul en plein Océan Indien, au bout du monde. Sa population récente, d’au plus trois siècles, venant d’Afrique, d’Inde, de Sri-lanka, d’Europe, balise tous ses chemins et carrefours, dans les pentes basses du volcan où l’on puisse vivre, de ces petits autels syncrétiques et évidemment animistes. Du pied du Piton de la Fournaise au pied de l’Etna, on se salue les uns les autres. L’Etna, est le cœur même de la Méditerranée, l’île est le carrefour des dignités et des métissages, quand bien même des obscurantismes brutaux voudraient l’étouffer. Ici, au quartier Fleri de Zafferana, le geste de la créativité populaire crée et bâtit le Jardin de fortes sculptures jaunes. Le geste qui nomme. Œuvre exubérante et vivace. En mars lorsque j’en demandais le titre on me répondait que sans titre les sculptures jaunes étaient là, bien vivantes. Aujourd’hui posé droit devant l’écran noir qui diffuse sans doute les stéréotypes d’une haïssable globalisation, Giuseppe Leonardi et son épouse me montrent le nom dont ils ont décidé il y a trois mois d’intituler leur jardin, vrai trait qui nomme, signature dans l’espace et au cœur de l’afflux des images cruelles ou heureuses. Voici la plaque gravée : l’œuvre s’appelle Leonardia.

 

 

 

 

Yves Bergeret

 

 

 

 

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Vassili, imprimeur parmi les traces et les signes des montagnes

 

En une prose et un poème

Cette prose et ce poème se lisent en italien, dans une très belle traduction du poète Francesco Marotta. On lit cette traduction à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2019/08/04/la-pelle-del-leopardo/

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Arrivé à Die une dizaine d’années avant, Vassili Gogatishvili a fondé sa propre imprimerie en 2009. Il l’a nommée Héraldie. Depuis deux ans il s’est installé dans un atelier vaste et lumineux qu’il a fait construire.

 

 

 

 

Vingt minutes de marche à pied depuis le vieux centre romain et médiéval de Die. Voilà, on sort presque du bourg, les prés, les champs respirent sous le vent de la vallée. Les hautes crêtes boisées de Justin ondulent au sud-ouest. Les falaises calcaires du Vercors, au nord-est, aux immenses plis verticaux et aux piliers héroïques, sont les grands veilleurs qui protègent Die en son destin ; et Vassili et sa famille en leur destin ; et nous autres qui venons le voir et lui demander quelque travail imprimé et graphique. Les Résistants du tragique maquis du Vercors veillent là-haut ; et Pierre Seghers, et Pierre Emmanuel, résistants aussi, à Dieulefit, au-delà de quelques montagnes au sud-ouest ; et René Char, encore quelques montagnes plus loin au sud.

 

 

 

 

L’atelier de Vassili touche la nature ; un très grand pré le borde au sud. C’est l’été, des alouettes jettent leurs trilles frêles et stridents en plein ciel puis se laissent tomber jusqu’à leurs nids entre les herbes, trilles de vie, trilles d’espoir, trilles d’entêtement à vivre. Oui, c’est là que travaille Vassili.

 

Je n’ai, je crois, jamais vu dans l’atelier de Vassili de ces infâmes paperasses bigarrées pour la publicité du grand commerce. Le travail de Vassili est délibérément un travail d’excellence, sobre, efficace, à l’esthétique cohérente et maîtrisée ; que cette esthétique soit la sienne propre, car Vassili a reçu une formation de haut niveau en arts graphiques, ou que cette esthétique soit celle des très bons graphistes qui lui apportent du travail, comme Véronique Pitte. Il n’y a pas de compromission ici, Vassili est cet artisan à l’excellence éthique et acharné au travail.

 

 

 

 

Arrivant à son atelier, je n’entends pas les motos de la grand-route au loin, je n’entends pas les voitures. J’entends les alouettes et le ressac inlassable du vent. Je me rappelle alors la beauté droite, meurtrie et épique de la Géorgie où Vassili a ses origines et que j’avais connue et adorée en 1973 et 1974. Des alpinistes et des architectes géorgiens, que j’avais connus par des dissidents de Moscou, m’avaient parlé à Tbilissi des sommets de cinq mille mètres du Caucase. Ils m’avaient donné de superbes photos noir et blanc de villages à hautes tours crénelées, dans la haute vallée de la Svanétie.

 

 

 

 

Et justement, en 1931 Boris Pasternak, malgré son grand succès de jeune poète, est oppressé par le stalinisme qui se met en place ; les difficultés familiales s’accumulent aussi. Il part quelques semaines en Géorgie. Il y est ébloui. Il se lie d’amitié pour toujours avec les poètes Tabidzé et Iachvili. Il écrit alors de superbes strophes sur les tours haut dressées de Svanétie, cris de pierres résistantes jetant leurs trilles noirs jusqu’aux nuages éraflant les glaciers.

 

Dans le bas des vallées du Caucase, dans les collines de piémont se dressent de magnifiques églises orthodoxes très anciennes en pierre ocre, beige, orange. Plan simple quasiment de croix latine. Programme iconographique usuel en dedans, iconostase ; mais sur les hauts murs extérieurs une syntaxe décorative en saillie, motifs floraux stylisés, croix, cercles, simples tours de fenêtres ou de portes, ce sont autant de « hauts reliefs » qui donnent parole à la pierre. Les signes vont de l’avant, sobres et puissants, devançant la fatigue du pèlerin ou la peur de mourir du fidèle.

 

 

 

 

De manière moins fréquente mais tout aussi éloquente, du texte est écrit sur la pierre. Sur des pierres. Mais il est là en creux, en incision. Stabilisant telle maxime, telle injonction pieuse ou profane. Telle dédicace du lieu ou de l’édifice à tel prince ou à tel saint. Attirant immédiatement le regard, invitant immédiatement le regard à une épigraphie naïve ou érudite. Le texte est noble et grave.

 

 

 

 

Vassili a vu tout cela dans son enfance, l’a vécu. En particulier auprès de son oncle, éminent historien, bibliophile averti. Vassili me dit avoir été toujours fasciné dans le jardin de son oncle par une large pierre écrite ; les lettres incisées fixaient le réel. Vassili me montre un livre de 1990, dont la photo se voit ci-dessous, que son oncle lisait et relisait sans fin, l’annotant, y glissant ses notes manuscrites ; Vassili conserve ce livre comme une relique. Ce livre parle de l’histoire de l’écriture et de l’imprimerie en Géorgie.

 

 

 

 

Or l’alphabet géorgien est réalisé dans une plasticité tout à fait particulière. Vassili et moi en avions déjà parlé il y a vingt ans : la beauté rythmique, souple et musicale du tracé des lettres, pratiquement sans angles aigus ni orthogonalité nous fascinait. Le tracé de l’écriture géorgienne est la marche souple et puissante du félin, élégante et décidée. La beauté graphique de la lettre est un mouvement incessant. Vassili me confirme être tout à fait sensible à ce rebond continu de la beauté du signe, allant et volant, tel le rythme du souffle, le rythme de la marche en paix, le rythme du cœur. Même si, tout jeune, il était d’abord presque stupéfait par l’incision à géométrie heurtée et orthogonale des premières lettres en style « Assomtavrouli », la plus ancienne écriture géorgienne sur pierre, me dit-il, et sans notion de sacré. Il précise que l’alphabet géorgien s’est fixé en – 412 avant J.-C. Mais maintenant c’est la souplesse en gestes courbes et puissants de l’alphabet qui, en fait, guide la main de Vassili, guide ses yeux. Tout comme est souple et puissant le vol du pivert qui plonge doucement puis d’un battement d’ailes remonte en longue courbe avant de plonger encore puis de remonter.

 

 

 

 

Toute sa sensibilité d’imprimeur est issue, je crois, de cette stylistique de la beauté, de la résistance, de la permanence d’un signe graphique régulier et parfait dans son propre univers minéral et épique. Vassili n’a jamais oublié non plus Le Chevalier à la peau de tigre, l’épopée écrite par Chota Roustaveli à la fin du douzième siècle. Vassili me dit avoir toujours admiré sa virtuosité d’auteur et, précise-t-il, « la plasticité de sa langue ». Tout écolier en Géorgie l’étudie encore à présent. Vassili me dit aussi qu’il se nourrit de l’œuvre de Vaja Pchavela (1861-1915), poète et paysan né dans les montagnes, allant à cheval dans les hautes vallées, également ethnographe et folkloriste, déployant une conception profondément animiste et panthéiste du monde, styliste remarquable dans ses poèmes courts ou dans ses épopées.

 

Après des études supérieures à Strasbourg et à Nanterre, après avoir été à Paris assistant un an et demi d’un artiste parisien pour la réalisation de deux grands projets de celui-ci, Vassili s’installe à Die et très rapidement reçoit des formations de haut niveau en imprimerie numérique. Cette prose-ci fête les dix ans de son entreprise, Héraldie. Vassili veut que le client soit satisfait, mais que lui-même le soit tout autant. Il est excellent tireur de photographies : sa réputation s’est répandue bien au-delà du Diois. La qualité de son travail attire des artistes de toute la région. J’aime lui rendre visite dans son atelier, lorsque du moins il n’est pas submergé de commandes. Je vois bien que son vaste atelier est devenu aussi une sorte de carrefour et lieu de rencontre d’artistes, comme la haute vallée de la Drôme en a connu. En face de son bureau même, il a mis au mur trois œuvres verticales comme de petites tours de Svanétie, des aphorismes que j’ai calligraphiés sur le plateau sommital de Koyo, au Mali, et qu’ont accompagnés de leurs signes graphiques les six cultivateurs dogons avec lesquels je travaillais il y a quinze ans. Vassili a fait encadrer à la perfection ces œuvres par un artiste de Crest, la ville en aval. Cette photo ci-dessous laisse voir en reflet la tête de Vassili, au travail, parmi les traces et les signes des montagnes.

 

 

 

 

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Trois diptyques, créés à Veynes en cinq exemplaires le 2 juillet 2019, sur Montval 300 g de Canson, au format 29,7 cm de haut par 42 de large, à l’acrylique et à l’encre de Chine.

 

1

En naissant il a jailli tout cicatrisé, tout armé.

Son corps était de cette pierre noire

qui jaillit au fond de la vallée céleste

des très hautes montagnes

au carrefour des deux continents

entre les deux mers.

L’une des deux mers, magicienne,

remodèle en pensée d’ambre les racines

des langues des marins et des poètes.

L’autre, langoureuse, dormante, aspire

engloutit le cœur de plus d’un voyageur.

Il voyagera, mais loin.

Il entre dans sa peau de tigre.

 

 

 

 

2

A l’est la mer est langueur et boue.

Ses bruns roseaux ligneux et durs

lui ont pressuré le cœur.

Tant mieux, son cœur se serait séché

et durci en basalte de la tristesse.

Mais non, le cœur lui poigne.

Etreinte du cœur, c’est première lettre incisée à vif,

puis deuxième, puis bien plus, creusées toutes

dans des socles de grès, taillées dans des frontons,

des lettres comme des entailles de serpe ;

amputés les plus maigres esclaves ne pleurent plus

mais muent en lettres d’un splendide alphabet.

Lettres, rebonds par lettres, c’est dignité humaine.

 

 

 

 

3

Il choisit de vivre parmi nous

à l’autre bout de la grande mer de l’ouest.

Il engendre deux fils entre nos pierres grises,

elles qui pétrissent la vie et la rendent résistante

pour que jamais ne casse la parole.

Elle est un fil, un fil net

et sa femme qui sait tisser et feutrer

s’y entend, croyez-moi.

Il choisit de vivre parmi nous,

expert de l’ombre du fil de vie

dont il orne et saisit pour nous le tracé,

le dépôt, le sang et l’encre,

ah, surtout pas l’incision.

Juste le fil et l’ombre,

les signes légers qui strient

la peau du tigre.

 

 

 

 

 

Yves Bergeret

 

 

 

 

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