L’Homme-trame, L’Uomo-trama, avec Alguima Guindo, à Koyo
Version italienne du poète Francesco Marotta
[ On peut lire en italien un ensemble de ces poèmes avec des dessins des peintres-paysans de Koyo & Nissanata, traduit par le même poète, à cette adresse: https://rebstein.wordpress.com/2016/08/30/quatre-poseurs-de-signes/ ]
Cycle de onze poèmes écrits et peints par Yves Bergeret du 19 au 26 août 2016 à Die sur un petit livret de 20 cm de haut sur 16 cm de large, avec encres, acrylique et collages ( dont un cahier de comptes de 1879) et dix dessins d’Alguima Guindo.
Ciclo di undici poemi scritti e dipinti da Yves Bergeret dal 19 al 26 agosto 2016 a Die su un piccolo quaderno di 20 cm di altezza per 16 cm di larghezza, con inchiostri, acrilico e collage (tra cui un registro della contabilità del 1879) e dieci disegni di Alguima Guindo.
Du 26 au 28 juillet 2005 Alguima Guindo quitte Koyo et accompagne le poète à Mopti et finalement Bamako, à 1000 km. Il dessine ces petits dessins et les donne au poète à l’arrivée, sans les lui « lire ». Il est l’aîné du groupe des peintres-paysans de Koyo qui a créé en dialogue avec le poète pendant dix ans. Grand féticheur redouté et respecté dans toute l’ethnie Toro Nomu dogon et bien au-delà, il en impose par ses pouvoirs animistes et ses immenses connaissances taxinomistes des ancêtres, des rites, des fonctions du moindre lieu, du moindre objet, du moindre rocher, de la moindre plante dans son monde. Il est né un peu avant 1960. Comme Dembo, Belco et Hamidou, il est de la lignée la plus ancienne des Toro Nomu, les Nassi, qui ont pouvoir de faire tomber la pluie, vitale dans le désert. Le poète a été initié et intégré dans cette lignée, d’abord à son insu à partir de 2003 ; puis les peintres et le Ogo, chef des rites du village de Koyo, le lui ont révélé dans une grotte spécifique près de Koyo en 2007. Alguima, homme strict et sourcilleux, a constamment surveillé et validé les actes, paroles et gestes du poète sans le lui dire jamais directement. Les peintures murales de sa petite maison de briques de terre sont une splendeur.
Dal 26 al 28 luglio 2005 Alguima Guindo lascia Koyo e accompagna il poeta a Mopti e infine a Bamako, a 1000 km dal villaggio. Egli crea questi piccoli disegni e all’arrivo li regala al poeta, senza «leggerglieli». Egli è l’anziano del gruppo di pittori-contadini di Koyo che sono stati in dialogo col poeta per dieci anni. Grande sciamano temuto e rispettato presso tutta l’etnia dogon dei Toro Nomu e anche molto oltre, si distingue per i suoi poteri animisti e le sue immense conoscenze tassonomiche degli antenati, dei riti, delle funzioni di ogni minimo luogo, oggetto, pietra, pianta del suo mondo. E’ nato un po’ prima del 1960. Come Dembo, Belco e Hamidou, egli appartiene al ceppo più antico dei Toro Nomu, i Nassi, che hanno il potere di chiamare la pioggia, di importanza vitale nel deserto. Il poeta è stato iniziato e integrato in questa famiglia, al principio a sua insaputa, a partire dal 2003; poi i pittori e lo Ogo, la guida dei riti del villaggio di Koyo, glielo hanno rivelato in una specifica grotta nei pressi di Koyo nel 2007. Alguima, uomo severo e scrupoloso, ha costantemente sorvegliato e convalidato atti, parole e gesti del poeta senza mai dirglielo direttamente. Le pitture murali della sua piccola casa di mattoni di argilla sono uno splendore.
1
Au pays rivière n’existe pas.
N’existent que marigot dans les sables
et, deux mois l’an, cascade à la falaise.
Or l’homme-trame
est un lit de galets blancs.
Nella regione non esistono fiumi.
Non ci sono che pozze tra le sabbie
e, due mesi l’anno, una cascata dalla falesia.
Perciò l’uomo-trama
è un letto di pietre bianche.
2
Tous les galets de l’homme-trame
sont par bulles ses récits,
bulles de la respiration du grand récit
sous eau noire non visible.
Tutte le pietre dell’uomo-trama
sono i suoi racconti in bolle,
bolle del respiro del grande racconto
sotto una non visibile acqua scura.
3
Qui au pays veut savoir le récit du monde
puis bâtir sa demeure
s’adresse à l’homme -trame.
Ses galets sont les traces de pas des ancêtres
qui fondèrent le monde.
Chi nel villaggio vuol conoscere il racconto del mondo
poi costruire la sua casa
si rivolge all’uomo-trama.
Le sue pietre sono le tracce dei passi degli antenati
che fondarono il mondo.
4
Pour l’homme-trame
le récit est une demeure murmurée
dont seul il a vision d’ensemble.
Il vous ouvre une porte, pas l’autre,
vous fait grimper une volée de marches
et vous laisse seul sur une terrasse
sous la nuit étoilée.
Per l’uomo-trama
il racconto è una dimora di cui si vocifera
ma che solo lui conosce interamente.
Vi apre una porta, non l’altra,
vi fa salire una rampa di scale
e vi lascia da soli su una terrazza
sotto la notte stellata.
5
L’homme-trame est un lit de galets aveuglants.
Il s’en fait un miroir éclaté.
Ne jamais s’y mirer !
Qui s’y mire se noie dans le torrent de son délire.
L’uomo-trama è un letto di sassi accecanti.
Ci si costruisce uno specchio in frantumi
dove non è concesso rimirarsi.
Chi lo fa annega nel torrente del suo delirio.
6
L’homme-trame n’a pas d’os.
Il a des bulles de réminiscences.
Chaque articulation est une interjection.
Il est chapelet.
Non pas archipel, car il n’a pas d’eau.
L’uomo trama non ha ossa.
Ha delle bolle di memorie profonde.
Ogni giuntura è un’esclamazione.
E’ simile a una corona.
Non a un arcipelago, perché non ha acqua.
7
L’homme-trame grinche. Il contrôle, vérifie,
arpente, décerne, valide.
Il est austère et de côté.
D’une voix très aiguë il rit
si un gargouillement d’eau
brasse à son oreille l’ombre de ses galets.
Pauvre ami, c’est de l’ombre !
L’uomo-trama è scorbutico. Controlla, verifica,
perlustra, discerne, convalida.
E’ austero e scostante.
Ride con voce stridula
se un gorgoglio d’acqua
agita al suo orecchio l’ombra delle sue pietre.
Povero amico, non è che ombra !
8
La tristesse épouse l’homme-trame.
Son or ternit.
Son grand récit fut somptueux
mais lui reste insomniaque
aux carrefours du récit.
La tristezza è la sposa dell’uomo-trama.
Il suo oro sbiadisce.
Il suo grande racconto fu maestoso
ma lui rimane insonne
nei crocevia del racconto.
9
La nuit aux grenouilles du marigot il demande
la route, la séquence amie,
le nom du prochain héros.
Mais à son pas les grenouilles plongent à l’eau.
Di notte chiede alle rane dello stagno
la strada, la costellazione propizia,
il nome del prossimo eroe.
Ma al suo passo le rane si tuffano in acqua.
10
Les bulles des grenouilles à l’eau
sont les orteils des étoiles qui se lavent.
Lui corrige : « chaque étoile est un ancêtre.
C’est moi qui sais leurs noms ».
Le bolle delle rane sull’acqua
sono gli alluci delle stelle che si lavano.
Lui rettifica: “ogni stella è un antenato.
Sono io che conosco i loro nomi”.
11
Le grand récit parfumé émerge
s’immerge émerge dans le dialogue en archipel
de nous tous, êtres de parole et de parole,
êtres aux os légers et clairs
aux fines attaches.
Il grande racconto emerge profumato
s’immerge emerge nel dialogo in arcipelago
di tutti noi, esseri di parola e di parola,
esseri dalle ossa leggere e chiare
dalle fini giunture.
Au revoir ami, poème d’Ali Traoré
Poème écrit le 22 août 2016 à Aidone, cœur de la Sicile, pour le départ de Séni Diallo
Ali Traoré et Séni Diallo sont arrivés en Sicile par une embarcation de passeurs libyens il y a deux ans. Une association d’accueil les héberge à Aidone, comme plus d’une centaine d’autres, dans le centre de l’île, et a préparé avec eux leurs dossiers de demande d’asile. Elle les emploie finalement tous les deux comme médiateurs, ils parlent chacun sept à huit langues. L’association laisse des « familles » locales particulièrement ambiguës profiter de tous ces migrants, jeunes et volontaires. Ali et Séni sont très clairs et fermes dans leurs analyses. L’association qui est loin d’empêcher une surexploitation des migrants vient de séparer Ali et Séni devenus quasiment frères depuis leur traversée héroïque du Sahara et de la mer. A Aidone ils dormaient, et à six, dans la même chambre. Séni est « muté » à une centaine de kilomètres. Ali perd son soutien et son complice de chaque instant. A son départ, Ali le salue et pleure. Voici son poème de séparation, écrit directement dans un italien intrépide, traduit par Yves Bergeret. Ce poème, simple, franc et intègre, est un poème de preux. Il fait penser à l’adieu de Gilgamesh à Enkidu, son ami tué.
[Ali & Séni ont inspiré deux des cinq personnages principaux de Carène, poème inédit en cinq actes ; une partie notable se lit sur ce blog ; également sur le blog italien La Dimora del tempo sospeso, dans une traduction lumineuse de Francesco Marotta ; l’édition « papier » bilingue de Carène est prévue. ]
A te che ti ho conosciuto con tuo bel sorriso e stiamo separando con emozioni.
A te che sei stato mio compagno di notte e giorno.
A te che l’avventura ci ha fatto diventare fratelli.
A te che il cuore batte per tua separazione, e gli occhi lacrimano.
Sei stato un amico di ogni attimo dall’inizio fino ad oggi.
A te che mi hai supportato nel questo grande viaggio e mi hai sempre consigliato.
A te che sei stato un amico e sarai un amico per sempre.
A te che sei stato sempre grande e sarai sempre più grande.
Finiamo questa parte del viaggio con felicità.
Caro amico ti voglio bene.
*
A toi car je t’ai connu avec ton beau sourire et on est en train de se séparer, très émus.
A toi car tu as été mon compagnon nuit et jour.
A toi car l’aventure nous a faits devenir frères.
A toi car le cœur me bat pour ta séparation, et les yeux pleurent.
Tu as été un ami du moindre instant, du début à aujourd’hui.
A toi car tu m’as soutenu dans ce grand voyage et m’as toujours donné conseil.
A toi car tu as été un ami et tu seras un ami pour toujours.
A toi car tu as toujours été grand et tu seras toujours plus grand.
Finissons cette partie du voyage avec du bonheur !
Cher ami je t’aime beaucoup.
*
Bac à sable, poème de Manuella, à Gentilly
Manuella travaille dans une brasserie à Gentilly, dans la proche banlieue sud de Paris. Ses poèmes en distiques rimés, elle les calligraphie dans de grands cahiers aux couvertures somptueusement ouvragées, qu’elle appelle ses « bouquins ». On peut lire d’autres poèmes d’elle sur ce blog en allant à :
https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2016/06/17/trois-poemes-de-manuella-a-gentilly/
*
Petit bonhomme
Haut comme trois pommes
Sapé comme un milord
Dès que tu sors.
Au bac à sable tu es le « Tombeur »
Et les mauviettes, elles sont en pleurs.
Les meufs qui s’la racontent,
Tu leur dis « T’es pas une fée de conte ! »
Les p’tits cons qui prennent ton ballon
Ont pas fini de s’faire du mouron !
Ceux qui empruntent ta bagnole
Tu leur mets une torgnole.
Tu connais pas la queue au toboggan
Tu passes pénard au premier rang.
Empoigner ton vélo
C’est direct un poing dans l’dos.
Politesse oblige
Même si t’es pas chiche !
Ecraser ton château de sable
C’est un coup de pompe pas agréable.
« Alexia, prête-moi ta pelle
Ou j’te roule une pelle ! »
Les racailles
Tu les mets sur la paille.
Tes potes tu les choisis
Car, comme toi, ils font les mêmes conneries.
C’est pour ça qu’on te kiffe,
Car Papa, Maman ont un vrai fils
Qui fait sa loi
Sans être une « hors la loi »
Dur au cœur tendre
vous pouvez le comprendre
*
10 février 2008
La Rencontre
Deux diptyques horizontaux de 30 cm x 40 sur Canson 300g
créés, poèmes, lavis, collages et acrylique, par Yves Bergeret
à Luc en Diois, le 24 juillet 2016, après qu’il a présenté l’un à l’autre la veille
Marc M. et Yves. G., hommes d’esprit et de paix.
1
J’écoute le torrent, mon double loyal,
qui maugrée joyeusement, petite ombre véloce
dans la main de la montagne.
*
2
Plusieurs fois au Sahara
je vis se rencontrer deux nomades
non pas nus mais d’immenses tissus sur leurs épaules.
S’approchaient en se toisant. S’arrêtèrent.
A la hanche des armes blanches. Courbes.
Se parlaient à dix mètres de distance. Debout.
L’eau n’habitait pas le monde.
Le ciel était une épine.
*
3
Dans mon village
on s’assied pour parler.
*
4
Les mains loyales pullulent. On les ouvre.
On les serre. On les ouvre.
L’eau sans remord
coule.
*
5
J’écoute les rebonds du torrent
sur les galets crus. J’ai des oreilles de cheval
et admire l’effrayant torrent.
Et voilà, sur l’autre rive
surgit l’homme âgé.
Ou étranger. Comment l’entendre ?
*
Votre voyage / Il vostro viaggio
Poème pour le mariage de Clémence et François, créé par Yves Bergeret, en quatre exemplaires sur diptyques horizontaux de Fabriano Designo 220 g de 24 x 33 cm, du 5 au 7 août 2016 à Cinq Mars la Pile, au bord de la Loire, avec des collages, en particulier d’une carte de 1818 et d’un cahier de comptes de 1906 d’un charbonnier de Crest, et avec encre de Chine, acrylique et lavis.
Traduction en italien par le poète Giampaolo De Pietro
Ciclo di poesie per il matrimonio di Clémence et François, creato da Yves Bergeret, in quattro esemplari su dittici orizzontali di Fabriano Disegno 220 g di 24 x 33 cm, dal 5 al 7 agosto 2016 a Cinq Mars la Pile, al bordo della Loira, con dei collages, in particolare da una carta del 1818 e di un quaderno contabile del 1906 di un carbonaio di Crest, e con inchiostro di China, acrilico e acquerello.
1
Les pas jeunes crissent sur le gravier blanc.
Le sable chuinte dans les remous de la Loire.
Porto entend s’étirer le cercle polaire.
Trondheim veut partir à Angkor.
C’est tout un monde
que la parole claire et fraîche laboure, ensemence.
I giovani passi frusciano sulla ghiaia.
La sabbia sibila nei turbini della Loira.
Porto sente estendersi il cerchio polare.
Trondheim si reca a Angkor.
E’ tutto un mondo
che la parola chiara e fresca ara, semina.
*
2
Lionne et lion à la grotte
saluent leur fleuve et les mers.
Leonessa e leone dalla grotta
salutano il loro fiume e i mari.
*
3
Bois sec résonne,
flûte d’os léger chante dans la source.
Rome et Tolède
répondent à ce que récite le gravier blanc
sous les sabots de la jument.
C’est tout un seul monde
ouvert, à l’encolure fauve.
Bosco secco risuona,
flauto d’osso leggero canta nella sorgente.
Roma e Toledo
rispondono a quel che narra la ghiaia
sotto gli zoccoli della cavalla.
È un intero mondo
aperto, dal collo selvatico.
*
4
Luleå et Phnom Penh tiennent la même longe,
souple longe par-dessus une falaise de mille grottes,
souple longe sur la rive où l’on se lave
dans une longue parole aimante et claire.
Luleå e Phnom Penh hanno la stessa cavezza,
flessuosa cavezza sopra una falesia di mille grotte,
flessuosa cavezza sulla riva dove lavarsi
in una lunga parola affettuosa e chiara.
*
5
Prague et Madrid,
deux besaces, deux ailes
d’un patient voyage dans un destin
qui ne se conte que par parole claire.
Praga e Madrid,
due bisacce, due ali
di un paziente viaggio in un destino
che si narra a chiara parola.
***
Le soir du 7 août Solène Sirvente a chanté le poème en improvisation de musique contemporaine.
La sera del 7 agosto Solène Sirvente ha cantato il poema in improvvisazione di musica contemporanea
Commentaires récents