Archive | mars 2020

Deux pierres carrées

 

On lit ce poème en italien dans une traduction d’une aérienne élégance, due au poète Francesco Marotta, à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2020/03/27/due-pietre-quadrate/

 

 

 

Ayant longuement voyagé

elles se sont arrêtées ici

et dans un mur de ma maison

fait de galets de rivière,

pudiquement séparées par un galet rond,

elles se sont calées haut.

 

Sûr, il y a plus d’un millénaire

quelqu’un les a taillées

pour qu’elles se montrent carrées.

 

Cubiques ? Difficile à croire.

 

Deux étranges paupières abaissées

depuis des siècles sur les yeux

de ma sentinelle dissimulée

tout là-haut dans le pignon.

 

Deux mystères (à mes yeux)

que régulièrement des abeilles

viennent flairer. Peut-être déçues

de trouver toujours porte close

mais inlassables patientes.

 

Deux sortes de cible carrée

que vient cogner le père du vent

et le fils du soleil chacun son tour

et alternativement de leur main gauche

et de leur main droite.

Ou même des deux mains ensemble.

C’est très discret mais merles, pies,

hoche-queues, martinets ont besoin

de ce rythme pour harmoniser leurs

mélodies en contrepoint des siècles humains

et des distiques des jours et des nuits.

 

Ou en contrepoint des songes

et des longs récits des habitants de ma maison

actuels et passés, allez, il leur faut

ce double tympan calcaire

pour que le désert et le fond du monde

viennent poser leur oreille

et entendent la beauté qui toujours

sommeille et veille en nous

et s’appelle la parole.

 

 

 

 

Yves Bergeret

 

*****

***

*

 

 

 

Le Dessin qui dit

 

Poème d’Yves Bergeret, écrit le 17 mars 2020, avec sept dessins à l’encre de Chine et au pinceau, créés dans le déroulement où ils sont ici, au format 22 cm de haut sur 17, par Yacouba Tamboura à Bamako le 22 août 2004.

On lit ce poème en italien dans une limpide traduction du poète Francesco Marotta à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2020/03/20/il-disegno-che-dice/

 

 

Le 5 juin 1913, avec les peintres Malevitch et Rozanova, les poètes Khlebnikov et Kroutchionykh publiaient à Moscou en 800 exemplaires, 40 pages au format 19 cm de haut par 14, l’admirable Igra v Adou (Jeu en enfer). Chef-d’œuvre du futurisme russe. Vigilante et vigoureuse prémonition des guerres et révolutions du siècle passé.

 

Et maintenant Yacouba Tamboura, avec les poseurs de signes de Koyo, est proie de la pire et plus sanglante violence, celle du dogme fanatique et de l’arme blanche. Comme en Europe bêtise et violence rongent profondément les esprits non clairs, maladie étrange ronge les corps.

 

 

 

 

*

 

 

1

 

 

 

Valeureux

jeu de cartes

encage le diable

chante face au vide.

 

Carte du joueur

petit miroir de carton

tire son échafaudage

sur les marées les plus

crasses, les plus acides

de la vie.

 

*

 

2

 

 

 

Sur le sable je crée l’oiseau.

Cou vers la mort.

Enflant son corps.

Dos diamant du chant.

Contre le vide je crée l’oiseau.

 

 

*

 

3

 

 

 

Deux soleils jumeaux m’escortent.

Entre eux je tends ma voile.

 

 

*

 

 

4

 

 

 

Ma voix va

par la ville obscure.

La place centrale

à chaque midi bisse ma naissance.

 

 

*

 

 

5

 

 

 

« Descends, m’a dit Virgile ;

les débris de terre cuite

se réveilleront sous nos talons ».

Les ancêtres redoublent de joie.

 

 

*

 

 

6

 

 

 

Sortilège qui prit froid.

Bourru poignard.

Moignons de doigts.

Je siffle : tout ce bric à brac

fera oiseau

à cœur d’acier.

 

 

*

 

 

7

 

 

 

Illettré suis-je…

Qui me dit illettré ?

C’est moi qui ramifie

la pensée

par les branches de plein vent.

 

 

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Arbre

 

Poème écrit par Yves Bergeret le 8 mars 2020, avec neuf dessins à l’encre de Chine et au piquant de porc-épic, créés dans le déroulement où ils sont ici, au format 22 cm de haut sur 17, par Belco Guindo à Bonko, sur le haut plateau de la montagne de Koyo, le 22 juillet 2005.

On lit en italien ce poème dans une traduction d’une beauté dense et radicale, grâce au poète Francesco Marotta, à cette adresse :  https://rebstein.wordpress.com/2020/03/10/arbre-lalbero/

 

 

1

 

 

 

Il y a des étoiles dans le ciel

et des montagnes sur le sol.

 

Il y a des arbres, très peu,

dans les étoiles et les montagnes.

Entre montagnes et étoiles vont les racines.

Elles peuvent servir d’échelles.

Leurs barreaux percutent en rythme le vide.

Cette percussion est le récit du monde.

 

 

2

 

 

 

Des personnages faibles,

aux épaules inarticulées.

Certainement ils attendent.

Ils montent les bras et baissent les bras.

Tout à fait immobiles par ailleurs.

Ils n’ont jamais appris à voler.

Ils ne sont pas sur le sol.

Ils sont sur le miroir,

le miroir lisse de leur gesticulation.

Ils croient qu’ils voient dans le miroir.

Par le miroir ils croient qu’ils voient

les étoiles et les montagnes.

 

 

3

 

 

 

Poussé par sa propre sève

le récit est une main

très grand ouverte ;

ses multiples doigts étirés dans la nuit

touchent les tréfonds du courage,

remuent les graines de la vie

qui sont les perles noires de diamants-mots.

 

Le centre de la paume est un carrefour.

Pas une clairière. Un carrefour.

 

 

4

 

 

 

Jamais miroir ne saurait être carrefour.

 

Les graines sèchent à plat,

c’est le savoir-faire que l’on reconnaît aux miroirs :

séchoirs.

 

 

5

 

 

 

 

Les gens aux épaules tristes cherchent.

Ils veulent trouver les barreaux de l’échelle.

Ils veulent monter et aller ;

sous la plante de leurs pieds

qui n’ont rien où marcher

ils sentent bien l’air battre en rythme.

Ils clament « poignard »

puis « couteau » puis « harpon »

mais rien ne se rejoint, tout cela glisse

sur le miroir, rien ne va se lier

et le vide entre eux tous n’a pas d’oxygène.

 

 

6

 

 

 

 

Le sixième jour l’un dit (car il avait vu) :

« il existe l’arc-en-ciel.

Il est doué d’existence.

Il pénètre le ventre languide du temps.

Au dessus du ventre, cela je l’ai bien vu,

l’un de nous est déjà arrivé tout en haut.

S’est retourné, là-haut le vent souffle.

Il tient de ses mains neutres

un grand voile qu’il peut laisser retomber

sur le ventre ».

 

 

7

 

 

 

Vers l’arc-en-ciel

et la bouche du ventre

se forme le nuage.

 

Le dessus du nuage est un pré.

L’arc-en-ciel s’y resserre

et s’y tend comme un ressort.

 

Le rythme des barreaux d’échelle

ne faiblit pas. Il y a de l’harmonie en lui.

L’un d’entre nous tend entre ses doigts

une herbe noire et souffle sur elle.

L’herbe vibre.

L’herbe parle en avalant les couleurs.

Seule.

 

 

8

 

 

 

C’est l’herbe qui nomme les arbres, un à un.

C’est l’herbe qui distribue la lumière

et la paix. C’est l’herbe et le rythme

qui reprennent la chair du nuage

et l’étendent sous les pieds des êtres pâles.

L’herbe n’est jamais suffisamment toxique

pour dissoudre les mots « poignard », « couteau »…

mais elle tourne autour des racines

qui vaquent des étoiles aux montagnes,

mais elle accomplit que la personne humaine

est toujours un nouvel arbre, parmi les vents stellaires.

 

 

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