Venise : le bois des carènes & la colline de Montello, par Gianluca Asmundo
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Nous empruntons un sentier qui revient du Claps de la Drôme, là où la rivière plonge dans le chaos rocheux. Nous traversons des bois profonds. Yves Bergeret me dit qu’il existe plusieurs mots français, là où la langue italienne synthétise avec le seul mot albero : aussi bien pour l’essence arboricole que pour le mât d’un navire. Dans notre conversation, fluide comme la rivière, me revient une histoire. Elle nous ramène dans un autre temps et un autre lieu : elle est liée à l’ambivalence de l’arbre en forêt et de l’ “arbre” sur le pont d’un navire. Cette histoire réelle, tout simplement, les lie l’un à l’autre.
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L’espace réel et métaphysique de Venise ne peut être conçu en séparant sa lagune et sa “terre ferme” ; tout au long de sa vie historique, Venise a construit des équilibres entre artificiel et naturel, dans le modelage de l’espace, comme presque aucune autre civilisation : il suffit de penser à la gestion de l’eau douce et de l’eau salée. A cet égard, Venise a toujours été extraordinaire, mais en même temps terrible.
Venise a été incroyablement capable d’équilibrer la protection de l’environnement, pour ses propres besoins, et l’exploitation des ressources naturelles : elle l’a fait dans un équilibre basé sur une vision à grande échelle, avec une capacité de gestion précise et une conception presque utopique. Je vais raconter ce qui s’est fait en un lieu fascinant et peu connu encore aujourd’hui, mais qui illustre fort bien la trajectoire de l’ingéniosité vénitienne.
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Venise a un immense besoin de bois pour se construire, sous sa double forme : celle flottante et navale de la flotte et celle enracinant ses propres îles et bâtiments. Ces derniers reposent sur des pilotis en bois très denses et enchâssés dans la couche géologique du caranto du fond de la lagune. Pour obtenir le bois nécessaire, Venise exploite la vallée du Pô, abattant progressivement les forêts de plaine. Venise tire peut-être le meilleur bois des sommets du Cadore, qui au XVIe siècle sont devenus sa frontière naturelle, et qui délimitent l’espace conceptuel de la dimension territoriale de Venise.
Le déboisement de la plaine, à partir de la seconde moitié du XVe siècle, s’est déroulé parallèlement à l’expansion de Venise vers le continent, créant le « Stato da terra » parallèlement au « Stato da Mar ». Une véritable colonisation agricole et aristocratique s’opère. Elle prend forme dans la « Civilisation des Villas Vénitiennes ». Celles-ci recréent l’espace et en élaborent un récit à travers des images et même des constructions de paysages dans une continuité visuelle entre fresques et paysages réels, mais c’est déjà une autre histoire. Tout cela a des conséquences sur l’érosion des sols de la plaine et sur le danger d’envasement de la lagune et du port, ce qui conduit, au fil des siècles, à l’extraordinaire épopée du déplacement des cours d’eau ; mais ceci est encore une autre histoire, faisant partie à jamais de l’utopie vénitienne du contrôle des ressources et des forces dynamiques de la nature. Et d’ailleurs, en raison de son extrême besoin de bois, Venise n’hésite pas à défricher les îles et les étendues de la côte du Kvarner et de la Dalmatie.
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Mais il y a un endroit, un endroit apparemment petit, isolé et secondaire, où les arbres ne sont pas abattus et où l’environnement est entièrement préservé : le bois de Montello. C’est une colline située entre la ville de Trévise et les Alpes, baignée, caressée et façonnée par la rivière Piave, une colline allongée et émoussée, de formation karstique avec de nombreux gouffres. Elle est isolée dans la plaine presque comme le dos d’une baleine ; à l’époque dont je parle, elle est couverte d’une forêt de chênes.
C’est un bois crucial pour l’histoire de Venise, même si aujourd’hui c’en est un élément un peu oublié. De là, le bois peut descendre au long de la rivière Piave à travers la plaine. Puis il va au fil des canaux les plus anciens de la lagune, jusqu’à la fondamenta di Barbaria delle tole (qui en vénitien signifie “quai des planches de bois”) à côté de l’Arsenal.
Intouchables, cet espace et ce bois sont très jalousement gardés. Tout l’espace est clôturé. Il est interdit d’y couper des arbres, car ces chênes (en particulier les espèces quercus ilex et quercus ilea) sont très précieux pour Venise : ce sont les bois les plus adaptés – et d’ailleurs entièrement dédiés – à la construction de la flotte militaire de Venise et de ses galères.
Au début du XVIe siècle, Montello devient ainsi une réserve presque sacrée, dans laquelle les arbres ne peuvent être coupés et replantés que pour la construction navale, grâce à une sylviculture attentive aux aspects écologiques pour maintenir un équilibre parfait dans la continuité de la nature. L’espace de Montello est placé sous le contrôle direct du Sénat de la République Sérénissime et des Patrons de l’Arsenal, puis du Conseil des Dix, puis d’une magistrature spéciale appelée” Provveditorato sur le Bois de Montello”. Des décrets sont pris pour le protéger. La peine de mort est même instaurée pour les contrevenants.
Il y a aussi une forêt jumelle avec le même but et les mêmes caractéristiques, mais encore plus oubliée aujourd’hui, qui est située au-delà de la mer et dans les montagnes, à Montona, actuellement appelée Motovun, cachée dans le cœur vert de l’Istrie.
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Les secrets militaires de Venise et de sa flotte n’étaient donc pas seulement cachés à l’intérieur de l’Arsenal, protégé par de hautes murailles infranchissables. Par mesure de précaution envers d’éventuels espions ottomans, même les fenêtres du clocher de S. Pietro di Castello sont murées, de sorte que rien ne puisse être vu de ce qui se passait à l’intérieur de l’Arsenal. L’espace de Montello est lui aussi théoriquement clôturé, quoique de manière modeste. La colline et sa chênaie sont considérées comme un véritable secret militaire délocalisé, loin des regards indiscrets.
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À un moment donné, quelque chose d’ingénieux est également inventé. Les Vénitiens comprennent qu’en suspendant des poids aux branches des chênes dans un système d’équilibrage alterné, ils peuvent modéliser à l’avance les arbres un à un afin qu’ils prennent la forme exacte et presque définitive d’éléments précis de la construction navale, par exemple le bordé : en somme, c’est presque une préfabrication effectuée par extraction à partir du corps même de l’arbre. Un système extraordinaire qui mêle technologie à nature, artifice et domination à sauvegarde et écologie. J’ai trouvé dans des archives un traité dont une page présente des dessins rehaussés à l’aquarelle qui montrent cette pratique fort inventive, cette faculté de prévoir.
Sur Montello, les arbres parlent le langage d’un espace à la fois humain et naturel. Ce langage façonne plastiquement le bois. Une utopie fascinante et peut-être dérangeante, mais aussi un équilibre durable basé sur le respect.

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Cette continuité de l’espace et du bois de Montello a duré jusqu’à la chute de la République de Venise. Puis Montello est exploité et divisé en lotissements privés. Des traces de quelques routes survivent encore, comme des sillons dans l’espace : on les appelle « strade di presa » (elles servaient à l’entretien et à l’acheminement du bois). Elles courent perpendiculairement vers le haut de la colline. Aujourd’hui, il reste peu de la forêt de chênes et, à part quelques reliques de végétation, elle a été en grande partie annulée par d’autres utilisations anthropiques aveugles. Ce qui restait de la chênaie a été en grande partie remplacé par d’autres espèces comme le criquet noir, les allochtones et les adventices.
Une exception : un endroit carré presque vierge, parfait et abstrait dans son plan, découpé du côté orographique de la pente, près de Volpago. Ce carré de forêt est occupé par une poudrière stratégiquement située ; elle date de la guerre froide, est aujourd’hui désaffectée mais reste propriété de l’Armée et est inaccessible.
Au-dessus du paysage, la colline, bien que transformée, continue de s’élever et de raconter un espace utopique, celui d’un bois des carènes, un bois-carène.
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Gianluca Asmundo
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( P.S.: Gianluca Asmundo, chercheur,
a obtenu un doctorat en architecture,
à l’Université d’Architecture de Venise)
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Traduction : YB
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Miklos Bokor, « la fresque de Maraden » (livre de Saralev H. Hollander)
Editions Méridianes, collection Textes, 184 pages, mai 2022.
Cet article se lit en italien grâce à la traduction précise et dynamique du poète et philosophe Francesco Marotta. La voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/08/14/laffresco-di-maraden/
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Le peintre Miklos Bokor (1927-2019) est, de ses proches déportés à Auschwitz puis dans d’autres camps, le seul rescapé. Très intègre tout du long de son œuvre il acquiert près de chez lui dans le Lot en 1997 une petite église romane quasi abandonnée, du douzième siècle. Elle mesure 15 m de long, 5 de large, 12,5 de haut. Il la restaure. On l’appelle « église de Maraden ». Ayant un projet précis pour elle il apprend la technique de peinture a fresco. Il y réalise de mai à octobre de 1998 à 2002 sur la quasi-totalité de ses murs intérieurs une seule et même grande fresque. On l’appelle « fresque de Maraden ». L’ensemble est classé « monument historique » depuis 2021. Pour le moment elle se visite lors des Journées du Patrimoine, à la mi-septembre.
Sur ce puissant et très original chef-d’œuvre, les éditions Méridianes viennent de publier un livre admirable de Saralev H. Hollander, illustré de 115 photos, principalement de Jean-François Peiré.
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La pensée, la mémoire, la vie, le talent et le savoir-faire de peintre de Bokor sont marqués à jamais par la tragédie de la Shoah et par la dignité de la résistance de la personne humaine à toute violence si intense soit-elle. Toute son œuvre plastique sur papier ou toile explore le chemin de souffrance et d’anéantissement de la personne, mais en montre l’irréductible permanence, avec d’insistants brun, ocre, gris, beige, comme serait une pénombre tactile, où s’esquisse, se défait, réémerge encore et encore silhouette humaine, marcheur courbé, que rien n’arrête ni ne fige.
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Dans cette petite église, mur à mur, Bokor réalise à présent la marche tenace de la personne humaine sur les trois dimensions du vaste volume intérieur, tambourinement sourd d’une foule de personnages inindividués. Tous en marche. Pas une seule figuration de végétation, d’accessoires, de quelque horizon. Une foule en marche. Marche ocre sombre et striée de modulations claires voire blanches, centaines si ce n’est milliers de gens en marche. Marche lustrale, procession touffue dans l’enceinte même du temple, ou lever des morts au jour de la Résurrection, dirait un sculpteur de tympan roman. Mais aucun Souverain divin de Colère ou de Justice ne régente ici, ni n’apparaît : ce qui se manifeste, c’est la foule, la foule qui va. C’est la pensée de la foule qui se lève, qui perdure, qui va, foule pensante ; ou nous, tout aussi bien, pensant la marche de la foule, le destin de la personne humaine.
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Voyant ce très puissant mouvement d’humanité en anéantissement et/ou en lever, on se rappelle immédiatement certains autres édifices couverts de fresques intérieures affirmant ce qu’est une humanité en acte, en ébranlement et en recherche de son mouvement d’être : la chapelle des Scrovegni à Padoue où Giotto répète à satiété son bleu si étrange pour pérenniser de profus élans rituels vers une spiritualité. Le Jugement de Caïphe, anonyme, de Piazza Armerina, où, le dieu unique étant suspendu, la parole des êtres humains prolifère, libre, puis s’organise en débat. La chapelle Brancacci à Florence où Masaccio, Masolino et Lippi déploient les leurres moirés de la couleur pour donner envie du dieu. Tant d’autres encore. Et bien sûr je pense à la Maison des Peintres de Koyo, dont les vigoureuses scènes hiératiques des cinq poseurs de signes du village font émerger, à l’intérieur du lieu, le travail de gestation incessante de la parole, le « tégu bira ».
Exactement comme les chapelles orthodoxes médiévales du Troodhos à Chypre brassent, dans un mouvement fait pour étourdir, la personne qui se laisse enchâsser là, dans le tourbillon visuel de l’alphabet grec éclaté, au milieu des scènes ressassées de la Passion.
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Or le grand travail de Bokor déploie sur les murs de son église non pas quelque divinité surplombante, quelque Pantocrator à la voûte, mais la sacralisation du mouvement de l’humanité en foule, en marche, en marche quoi qu’il en soit des horreurs qu’elle puisse subir.
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Voici justement que vient d’être publié l’admirable livre sur cette « fresque de Maraden ». Oui, ce livre lui-même est admirable. Car il n’est pas un minutieux compte-rendu des images qu’on voit dans ce lieu. Combien de fois l’histoire académique de l’art s’engonce dans le plat, le superficiel, le taxonomique, l’ennuyeux en ne sachant qu’identifier des scènes ou des figurations de gestes affiliés à telle ou telle « école stylistique », etc… mais ignorant l’analyse, refusant l’anthropologie de ce que fait l’œuvre, de cette action qu’elle engage, qu’elle propulse comme une agonistique lustrale et initiante.
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Car, si l’église de Maraden est admirable, ce livre est lui-même admirable. Pas du tout une jolie iconographie avec commentaires béats et paraphrastiques d‘un érudit en nœud papillon, pas du tout !
Ce livre est une puissante polyphonie, si je puis dire, sous la responsabilité de l’autrice et, je pense, de l’éditeur. Les voix s’y croisent, avec autant de clarté que de force : 1 celle de la Shoah, drame d’exode et d’errance absolus, 2 les minutieuses étapes du récit biblique de la sortie d’Egypte, 3 l’abondante dynamique de philosophie et théologie juives que l’autrice insère sans cesse dans le cœur de son analyse, 4 la ténacité sensible et savante de l’autrice elle-même qui n’efface jamais sa passion, son engagement, sa fidélité agissante auprès de Bokor, 5 l’inlassable labourage de Bokor avec ses incisions d’abord sur l’enduit puis avec ses brosses sur toujours l’enduit pour mettre en mouvement la foule.
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Ce qui est particulièrement réussi dans ce livre, remerciement en soit adressé autant à l’autrice qu’au vigilant éditeur, est le changeant rapport entre l’œuvre, la fresque de Maraden, et l’analyse, ce texte aussi vivant que foisonnant d’érudition de Saralev H. Hollander. Deux comètes qui parfois s’approchent parfois s’éloignent pour aussitôt reprendre leur approche. L’analyse inlassable et l’érudition philosophique et théologique brillent dans chaque paragraphe ; mais sans jamais peser ni surtout cloisonner ou, pire, disséquer la fresque de Maraden. De son côté, Bokor, d’abord artiste dont la tragique expérience de vie est portée par l’élan de la puissante intuition créatrice, beaucoup plus que, sans aucun doute, par une élaboration mentale justifiant rationnellement chaque portion de fresque, va son propre chemin de création, irréductible, bousculant les conforts que l’analyse aurait risqué de cimenter, échappant, filant loin dans un ciel sombre ou inconnu, revenant, se rapprochant mais toujours hors contrôle de quelque rationalité réductrice. En somme créateur et analyste pratiquent ici, pour le lecteur, une dialectique ouverte et féconde. Aucune des deux principales voix individuelles de cette polyphonie ne conclut, ne domine l’autre, laissant le livre dans sa modalité d’ouverture, comme le Moïse et Aaron de Schoenberg volontairement n’a pas à clore le débat.
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La fresque de Maraden , texte et/ou fresque dans l’édifice, n’est jamais lieu de prière individuelle, miroir spiritualiste tendu à une âme esseulée, fenêtre sur l’intime. Ni le texte, d’ailleurs aidé en cela par son effervescence, ni la fresque ne se préoccupent de psychologie individuelle, de celle de Miklos Bokor ou de celle d’un visiteur cherchant confession ou consolation à quelque blessure privée. Les visages peints, si leurs traits sont figurés, sont indifférenciés, juste esquissés.
Ce livre, indissolublement associé à la fresque dans l’église de Maraden, dépasse le livre occidental d’habitude miroir que l’on promène au long d’un chemin en forme du monologue plus ou moins habile d’un auteur dominateur, finalement distant du réel ; ce double, ce livre-fresque, est frère de la Mort de Virgile, d’Hermann Broch, malgré le titre individualisant de ce dernier. Ils atteignent à la fois les mêmes hauteurs et profondeurs de vue que ce roman, échappé de justesse à la Shoah, de Broch. La première partie, magistrale, en est le long défilement d’une humanité grouillante et en destruction voire auto-destruction dans le port antique de Brindisi que Virgile alité et à demi conscient perçoit ; ensuite Broch déploie une vision prospective sur le destin européen de la parole et du pouvoir, tout comme ici le fresque-texte conduit, et encore plus loin que le champ européen, à y réfléchir.
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Tous ces mouvements humains, l’agonistique du mythe biblique, l’arrachement déshumanisant de la Shoah et le rebond de la résistance contre lui, la dynamique passionnante et passionnée de l’analyse de Saralev H. Hollander, et, central sans l’être (c’est la marche de l’humanité qui est centrale), l’inlassable labeur quasi percussif du peintre, sûrement plus créateur intuitif et infiniment conscient du drame en acte que théologien exégète érudit, comme on l’a vu, tous ces mouvements conjoints construisent, en ce livre, une extraordinaire architecture, où les forces puissantes et éventuellement divergentes créent une sorte de bâti gothique, en tension concordante, créent, aux côtés de la fresque de Maraden, un second et jumeau chef-d’oeuvre : ce livre.
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Yves Bergeret
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(photos D.R.)
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REBONDS 1978-2022, œuvre au long cours, en 3 cycles
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On se rappelle comment huit de mes poèmes de montagne de l’été 1978, édités dans mon premier livre, Sous la Lombarde, en 1979, vivent de vastes rebonds ; avec la même vitalité claire et nécessaire que celle libérée par Xenakis dans sa pièce Rebonds B, pour percussions. Ces huit poèmes parlent avec les montagnes de l’Oisans et des Cerces sur lesquelles je grimpais depuis 1962 et n’ai ensuite jamais cessé de grimper. Puis le compositeur Edison Denisov les a mis en musique, sous le titre Légendes des eaux souterraines, pour un choeur a capella, en 1989.
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Pour donner encore plus d’ampleur à ce dialogue de 1978 et 1989 avec l’espace, j’ai calligraphié au cœur de ces mêmes montagnes mes huit poèmes originels en très grand format (215 cm de haut par 60 de large) en mars 2022, en créant toujours ces calligraphies dehors, sur le sol, sous le soleil, sous le vent.
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J’invite à relire la présentation de ce premier ensemble : https://carnetdelalangueespace.wordpress.com/2022/05/14/rebonds-vie-et-metamorphose-de-huit-poemes-de-montagne/
Voici ces huit calligraphies de mars dernier :
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Le poème est un acte, et très peu une contemplation, encore moins un rêve d’évasion. La montagne n’est pas un « paysage » sublimant mais un lent et profond mouvement de vie : je l’écoute, je le perçois, je l’approche. Le poème, en particulier dans son geste graphique et dans son déploiement sonore, rejoint la dramaturgie de ce mouvement, sœur de celle du Prométhée enchaîné d’Eschyle. Le poème déploie, élance la parole, libre, désentravée. Il va, il agit, il construit.
Dès la fonte des neiges je suis retourné, en mai de cette année, vers les plus hauts de ces sommets, créant huit fois un poème de ce temps ; ce poème naît de mon dialogue d’aujourd’hui avec ces sommets, je le calligraphie, en format identique aux premiers, sur la moraine, sur l’alpage, sur une dalle rocheuse. Ainsi rebondit à nouveau la parole née de la montagne, dans le poème lui-même, dans le geste graphique, dans la diction, dans le son imminent de musiciens.
Voici le second cycle de ces rebonds, de mai à juillet 2022, ici photographiés ensemble à Die le 15 juillet 2022, grâce à Anne-Marie Poncet que je remercie :
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GLACIER NOIR
1
Au Glacier Noir
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1a
Il y a des barques dans le ciel.
Les montagnes de quatre mille mètres sont leurs ancres.
Qui a dormi dans les barques ?
Qui a traversé la mer ?
Qui a survécu ?
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1b
Verticale au dessus de toi
tonne la cascade
mêlée aux cris du vent.
Arrachant à la paroi mots et verbes.
Te les tendant.
Avec les plus sacrifiés d’entre nous
tu construis neuve légende.
Alors saura encore parler le monde.
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2
Parle le martinet
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D’une cime encore vierge
je jaillis avant l’ordre des choses.
Plus vite que rotation de planète
vers toi je vole.
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Par l’ombre de mes ailes tu naquis.
De la faulx de mon vol
dans le chaos je te taille,
homme farouche
à l’oreille infinie.
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Toi, homme, et moi, martinet noir,
nous excavons le minerai de la pensée,
partons accueillir
là où point de toit ne brûle.
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3
Grimper
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3a
Entre mains calleuses
au bout d’avant-bras noueux
et les très hautes roches raides
une fumerolle :
toi.
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Tu as deux âges à la fois : la lave et l’érosion,
en somme deux limes radicales
comme deux fils noirs, félins.
Souples tels félins.
Ne se croisant que sur la paroi,
tels vols et cris de martinets.
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Cris fusant du haut
traversant l’espace,
le bel espace rêche,
ivoire doré,
et tu le traverses.
L’espace pour toi
hoche sa tête.
La sueur qui tombe de son front
forme les montagnes,
gouttes de l’espace
toutes nées de ton cri double sur la paroi.
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3b
A grandes enjambées va la montagne
sur la mer et la douleur secrète des hommes pauvres,
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brassées d’humanité dans ton geste quand tu grimpes,
la mer porte la montagne et ton geste et le long
labeur des bâtisseurs,
la mer s’appelle montagne.
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4
Parle qui grimpe
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Je tends le bras gauche
jusqu’à la grotte où naît le vent,
Je tends le bras droit jusqu’au lit
où accoucha de moi ma mère.
Je serre mes dix doigts
Je me hisse, c’est la paroi.
J’en fais tomber la nuit.
J’en fais fondre les clous de souffrance.
Je grimpe.
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Autour les autres montagnes s’abaissent
et je grimpe.
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Mes doigts cherchent les marches inversées,
je m’agrippe et grimpe.
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La peur tombe.
Sur la Terre aux longues jambes écartées
je serre mes doigts.
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J’ouvre la masse.
J’allège. Je trouve le rire dans la pierre.
Dans son rire je me dissous.
Ma paroi est la porte du monde,
je l’ouvre.
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Maternelle immense montagne
résonante et souple,
belle telle cloche d’airain
baisant l’océan en toute pierre,
grimpeur je suis son battant
cognant léger au concave
ventre de la montagne,
Je grimpe,
j’ouvre la montagne qui me hisse.
Elle et moi sommes le bourdon
du chœur de toutes et tous
qui souffrent et luttent et cherchent
sommeil si ce n’est paix,
qui cherchent à la belle étoile répit,
la nuque juste posée sur la pierre
sur la prise que je prends
pour ancre dans le haut vide,
pour ancre de ma barque sans nom,
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qu’au bout de mon bras
je prends pour élan de ma vie
effilée dans les fumerolles.
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5
Parle la montagne
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5a
Ta vie : sédiments, bris, sables.
Je suis la barque que tu peux tirer sur la grève.
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Tourne.
Je suis carène infinie.
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Je suis ton rebond de mille
fossiles et utopies mâchonnées.
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En ta bouche mets-moi.
Je te hameçonne.
Je te cisèle ancre.
Houle et brume s’anéantissent.
Granit seras.
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Qui veut gravir écoute.
Entends le bourdon de mille ans.
D’encore mille ans avance-le.
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5b
Dans la grande traversée
avec mes soeurs les montagnes,
avec mes gouttes infimes les vingt chamois,
je recueille à mon tour la sueur de l’espace.
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Féconde
allant
je moule
le minerai de la pensée.
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Qui veut me gravir
l’entende.
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Voici enfin le troisième cycle de ces rebonds, que j’ai créés et calligraphiés à la mi-août 2022 dans un village du Tarn :
GENESE
1
Tu nais,
en trois bonds lumineux
la montagne vient habiter sous ton front.
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Tu nais,
le torrent t’offre ses cordes vocales.
Vous vous parlerez avant la neige.
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A peine ouvres-tu les yeux
certains nuages déjà t’emportent sur leur dos.
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Dans tes yeux sombres veillent plusieurs montagnes,
celle aux sources rouges,
celle au lait profond,
ou celle à profil de vent du large, du grand large.
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2
Disponible aux serres de l’aigle, voici le granit.
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Libre fissure dans la paroi verticale.
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Béante, la brèche, béante à la ruée du vent.
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Voici bouche future,
déjà un murmure, un prologue.
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A toi de mettre en récit
mont et piémont
et combe et moraine,
sombres et clairs
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épaules fines ou larges,
marines ou réelles,
solaires ou d’apnée…
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3
Les torrents grondent,
l’avalanche à rebours cherche le vent, l’aube.
Les sabots du ciel
cognent contre le granit.
La montagne, est-ce qu’elle s’écarte ou se réunit ?
« Mes bras, dis-tu, sont courts
mais savent.
Ma salive lie les pierres.
Je n’ai pas le temps pour le doute.
C’est moi qui ouvre le socle de la montagne.
Mes bras lui ouvrent une baie
où l’océan accourt,
voici un port, des quais,
c’est ma fable claire. »
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4
« Je marche sur l’eau.
Mes pieds, dis-tu, sont des barques.
J’éclabousse, j’asperge, j’abreuve la montagne,
elle grandit, arbre exubérant
vacillant vers… »
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5
« Dans les feuilles de l’arbre, dis-tu, je souffle.
Quel alphabet palpite dans mon souffle !
Elle grandit, la montagne, arbre gris et or.
A mon souffle son tronc s’apprivoise
et jusqu’à mes genoux s’incline ».
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6
« L’ancre, dis-tu, je l’aime, l’embrasse, je la laisse
et le souple tronc se relève,
bondit à ses quatre mille mètres.
Qui est l’ancre, elle ou moi ?
La mince espèce humaine,
juste graines minérales et minotières,
un peu de bris, de grincements de dents
entre les lèvres du monde assoiffé de sens…
mais torrent, neige et glace
se précipitent, ah l’avalanche
qui frissonne
par mes bras grand ouverts,
qui maçonne. »
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Yves Bergeret
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REBONDS 6, Parle la montagne
En réponse à REBONDS 5, Parle qui grimpe, voici cette réplique en deux temps. D’abord ce poème-ci, le quinzième de l’ensemble global REBONDS ; il a été calligraphié en plein vent entre Veynes et Glaise le 12 juillet 2022 sur papier renforcé de format 215 cm de haut par 60, à l’acrylique et à l’encre de Chine.
Grâce au poète Francesco Marotta, on lit ce quinzième poème dans une splendide traduction italienne que voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/08/10/una-carena-infinita/
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Ta vie : sédiments, bris, sables.
Je suis la barque que tu peux tirer sur la grève.
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Tourne.
Je suis carène infinie.
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Je suis ton rebond de mille
fossiles et utopies mâchonnées.
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En ta bouche mets-moi.
Je te hameçonne.
Je te cisèle ancre.
Houle et brume s’anéantissent.
Granit seras.
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Qui veut gravir écoute.
Entends le bourdon de mille ans.
D’encore mille ans avance-le.
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Et ce poème, où la montagne parle encore, seizième et ultime de l’ensemble du cycle REBONDS ; il a été créé et calligraphié le 13 juillet 2022, en même lieu, mêmes techniques, même support.
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Dans la grande traversée
avec mes soeurs les montagnes,
avec mes gouttes infimes les vingt chamois,
je recueille à mon tour la sueur de l’espace.
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Féconde
allant
je moule
le minerai de la pensée.
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Qui veut me gravir
l’entende.
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Yves Bergeret
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A la Casse des Oules, par Catherine Reeb & Yves Bergeret
A la Casse des Oules, large vallon sauvage montant jusqu’au pied de la face nord du Grand Pic de Rochebrune, près de Cervières, non loin de Briançon, le samedi 21 mai 2022, acrylique sur triptyque vertical 220 g au format déplié de 59,7 cm de haut par 21.
Grâce à une traduction musicale et rythmée du poète Francesco Marotta, ces poèmes-ci d’Yves Bergeret se lisent en italien, via ce lien : https://rebstein.wordpress.com/2022/08/18/alla-luce-della-roccia/
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Coeur et Ventre (CR)
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On cherche Coeur, mais c’est Ventre
Qui tient l’à-pic
Offrant l’air tout autour
Sait-on à qui ?
L’air qui ondule
Sait-on pourquoi ?
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Ventre sent les chants buttant contre paroi,
Les claques des oiseaux
Montés au-delà – trop haut.
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Passée la nostalgie des foules bâtisseuses
Ventre cogne dans le grand intérieur
Se précipite à l’onde
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Promesses oubliées dans l’eau vive
D’un coup, Ventre lâche pères et mères
A tue-tête Ventre enfante
Et disperse l’à pic.
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Crocher le ciel (CR)
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Crocher le ciel,
C’est l’ambition des jeunes mélèzes
Qui se poussent l’un l’autre
Vers le sommet de l’éboulis.
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Ils tanguent de fierté
Lorsque mon œil pose leur cime
Au-delà des pentes de Montagne
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Alors un grand bruit dévale le névé
Et submerge les vaniteux
Des brisures du pic détrôné.
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A la nuit à la fête (CR)
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A la nuit ! A la fête !
Quand valsent les crêtes, se renversent les cascades
Aspergeant les étoiles, que les chamois visitent
En farandole
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A la nuit ! A la fête !
En une irrespectueuse révérence
Le névé se courbe vers le mélezin
Buvez ! Buvez donc cet élixir exquis !
Qu’il engraisse vos souliers
Les arrache à l’éboulis
Buvez !
Et venez danser sous nos balcons
La ronde des Hautes Pentes.
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Casse des Oules (YB)
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1
A la lumière du rocher
grandit l’arbre clair,
le grand-mât de ta vie
qui va sur l’océan furieux.
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2
A la Casse des Oules
le vent vient déverser
puis repart léger
chercher dans le passé
d’autres graines.
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3
A la Casse des Oules
les arbres poussent dru,
leurs racines se hissent au ciel
chercher dans la silhouette maigre des vents
les raisons de la paix
que devraient se promettre les hommes.
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Face nord du Grand Pic de Rochebrune (YB)
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1
Rochebrune naît d’une plume
de l’aile gauche
de l’aigle créateur du monde.
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L’aigle qui crée le monde
n’est qu’un accoutrement,
friable et auguste,
de notre parole
de salive et d’or.
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2
Au fond de la Casse des Oules
Rochebrune ignore le sommeil,
passe ses nuits
à tirer dans ses filets de schiste et de brume
les odieuses lubies des Puissants
et les pulvérise avant l’aube.
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3
Rochebrune est l’humain visage
à la peau tannée, à la peau tavelée
porte-voix de la parole qui porte l’aigle,
de la parole qui filtre
dans le creux de la penne,
intraitable ; contre toute tombe
parole libre à jamais.
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REBONDS 5, Parle qui grimpe
En suite immédiate à REBONDS 1, 2, 3 & 4, poème créé et calligraphié (encre de Chine et lavis de cette encre) à Die, sur un papier renforcé en format 215 cm de haut par 60 de large le 6 juillet 2022.
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On lit Parle qui grimpe en italien dans une version libre et très inspirée du poète Francesco Marotta ; la voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/08/06/immensa-materna-montagna/
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REBONDS 1 existe déjà, soutenu par un chœur a capella en musique contemporaine (une partition remarquable d’Edison Denisov) ; REBONDS, de 2 à 5, sera créé en musique contemporaine de manière imminente avec violoncelle, voire chœur a capella, ou encore autre formation sonore ; viendra très prochainement REBONDS 6, de même. Ces sept éléments, sous l’unique titre REBONDS constitueront une œuvre vaste, au moins poétique, plastique, musicale, scénique ; voire dans d’autres dimensions encore.
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Je tends le bras gauche
jusqu’à la grotte où naît le vent,
Je tends le bras droit jusqu’au lit
où accoucha de moi ma mère.
Je serre mes dix doigts
Je me hisse, c’est la paroi.
J’en fais tomber la nuit.
J’en fais fondre les clous de souffrance.
Je grimpe.
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Autour les autres montagnes s’abaissent
et je grimpe.
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Mes doigts cherchent les marches inversées,
je m’agrippe et grimpe.
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La peur tombe.
Sur la Terre aux longues jambes écartées
je serre mes doigts.
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J’ouvre la masse.
J’allège. Je trouve le rire dans la pierre.
Dans son rire je me dissous.
Ma paroi est la porte du monde,
je l’ouvre.
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Maternelle immense montagne
résonante et souple,
belle telle cloche d’airain
baisant l’océan en toute pierre,
grimpeur je suis son battant
cognant léger au concave
ventre de la montagne,
Je grimpe,
j’ouvre la montagne qui me hisse.
Elle et moi sommes le bourdon
du chœur de toutes et tous
qui souffrent et luttent et cherchent
sommeil si ce n’est paix,
qui cherchent à la belle étoile répit,
la nuque juste posée sur la pierre
sur la prise que je prends
pour ancre dans le haut vide,
pour ancre de ma barque sans nom,
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qu’au bout de mon bras
je prends pour élan de ma vie
effilée dans les fumerolles.
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Yves Bergeret
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L’aval & l’amont, l’espoir & le bois, de Gianluca Asmundo & Yves Bergeret
Œuvre créée « à quatre mains » par Gianluca Asmundo et Yves Bergeret sur le lit de galets du Bez, torrent de Châtillon-en-Diois, près de Die, le jeudi 30 juin 2022, en deux exemplaires, chacun sur deux quadriptyques de Fabriano Rosaspina 220 g au format déplié de 35 cm de haut par 100 de large ; Gianluca Asmundo, venant de chez lui à Venise, remontant toute la plaine alluviale du Pô, franchissant les Alpes, a écrit ses phrases au crayon noir, a sur le papier appliqué à la main un peu de limon du torrent, enfin a posé de l’acrylique brun en roulant sur le papier un bois flotté de ce torrent enduit de ce brun ; et, sur ce même papier, Yves Bergeret a écrit ses vers au stylo d’encre de Chine par-dessus ses gestes d’acrylique bleu intense, bleu léger et violet.
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Le troisième élément de ce premier quadriptyque existe dans une splendide version italienne du poète Francesco Marotta. La voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/08/10/dimore/
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I
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1
Legni e acque naufragate, condotte dallo scirocco fino alle lagune dove le forze dei fiumi e del mare hanno consolidato dialogo ed equilibrio sedimentato nel lungo tempo.
Morceaux de bois et eaux naufragés, conduits par le sirocco jusqu’aux lagunes où les forces des fleuves et de la mer ont consolidé dialogue et équilibre sédimenté dans le temps long.
(G.A.)
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2
Dalla porta di legno aperta sul mare, la sabbia e la siccità scalano la pianura, sotto la vela del plenilunio in perigeo; l’aridità del deserto e il sale del mare non devono risalire fino alla montagna, dove il solco delle mille impronte umane apre i confini, seguendo il canto e il viaggio doloroso della geografia che migra.
Depuis la porte en bois ouverte sur la mer, le sable et la sécheresse gravissent la plaine, sous la voile de la pleine lune à son périgée ; l’aridité du désert et le sel de la mer ne doivent remonter jusqu’à la montagne où le sillon de mille empreintes humaines ouvre les frontières, en suivant le chant et le douloureux voyage de la géographie qui migre.
(G.A.)
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3
Le torrent met l’espace dans son lit.
L’espace met l’homme dans le lit du torent.
Le torrent porte à l’océan l’homme allongé.
Debout voyage l’étranger
qui met l’espace dans sa gorge et le chante.
(Y.B.)
*
II
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1
Portando l’acqua dolce-salata dai delta sul mare liquido fino alle sorgenti sgorgate o disciolte dal mare minerale, gli alberi traducono la lingua dei diversi flussi e sono un’acqua di legno.
En portant l’eau douce-salée depuis les deltas sur la mer liquide jusqu’aux sources jaillissantes ou asséchées de la mer minérale, les arbres traduisent la langue de mille flux et sont une eau de bois.
(G.A.)
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2
Personne ne sait déplacer les marches de la montagne.
Son escalier n’a pas de tête.
Tu descends à l’infini les marches
qui se soulèvent toujours plus étrangères.
(Y.B.)
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3
Dove si innalzano le falesie regali e il caos della montagna frattura la frontiera, i pezzi di barca tornano alberi, al garrire di rondini e frinire di cicale. Il gorgoglio del torrente che scrive la sabbia di calcare e canta il limo di conchiglie future sostiene il racconto senza fine dello spazio in cammino.
Là où s’élèvent les falaises royales et où le chaos de la montagne fracture la frontière, les morceaux de barque redeviennent arbres, sous le cri des martinets et le crépitement des cigales. Le grondement du torrent qui écrit le sable calcaire et chante le limon des futurs coquillages porte le récit infini de l’espace en chemin.
(G.A.)
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REBONDS 4, Grimper
Deux poèmes créés et calligraphiés (acrylique et encre de Chine) le 26 juin 2022 vers 2600 mètres, au dessus de la Balme de François Blanc, au bout de la moraine latérale vertigineuse du Glacier Noir, non loin de Briançon, sur deux papiers renforcés en format 215 cm de haut par 60 de large, directement sous les immenses face sud de la Barre des Ecrins, face nord du Pelvoux avec son arête nord de la Pointe Puiseux, face nord du Pic sans Nom, face nord des Ailefroides, face est du Pic Coolidge, culminant tous entre 4100 et 3700 mètres ; sur eux j’allais en tous sens dans ma jeunesse, peut-être ancêtre des martinets alpins géants à ventre blanc qui strient le ciel de cette moraine.
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De ce poème, le poète Francesco Marotta crée la très ferme version italienne que voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/07/03/scalare/
Entre mains calleuses
au bout d’avant-bras noueux
et les très hautes roches raides
une fumerolle :
toi.
.
Tu as deux âges à la fois : la lave et l’érosion,
en somme deux limes radicales
comme deux fils noirs, félins.
Souples tels félins.
Ne se croisant que sur la paroi,
tels vols et cris de martinets.
.
Cris fusant du haut
traversant l’espace,
le bel espace rêche,
ivoire doré,
et tu le traverses.
L’espace pour toi
hoche sa tête.
La sueur qui tombe de son front
forme les montagnes,
gouttes de l’espace
toutes nées de ton cri double sur la paroi.
*****
Version complète non calligraphiée :
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Corps naissant de la paroi
fumerolle
.
entre mains calleuses
au bout d’avant-bras noueux
et les très hautes roches raides
une fumerolle en lutte,
mobile :
c’est toi.
.
Tu as deux âges à la fois : la lave et l’érosion,
en somme deux limes radicales.
Oui, telles deux fils noirs.
Souples tels félins.
Ne se croisant que sur la paroi verticale,
deux fils, vols et cris doubles de martinets
sans jamais collision ni heurt.
.
Cris, sons fusant du haut
puis traversant l’espace de la droite à la gauche,
traversant, le portant, le bel espace rêche,
ivoire et gris et doré,
tu le traverses.
D’une oreille à l’autre de l’espace
qui hoche pour toi sa tête.
La sueur qui tombe de son front
forme les montagnes,
gouttes de l’espace
toutes nées de ton cri double sur la paroi.
.
Ta gorge grimpe lente
par devant la lumière,
ta gorge va l’amble
dansant
valsant
avec qui sait entendre.
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*****

A grandes enjambées va la montagne
sur la mer et la douleur secrète des hommes pauvres,
.
brassées d’humanité dans ton geste quand tu grimpes,
la mer porte la montagne et ton geste et le long
labeur des bâtisseurs,
la mer s’appelle montagne.
*
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Yves Bergeret
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