Archive | janvier 2023

Poèmes du Sud de Madagascar, par Catherine Reeb, fin 2022

Lors d’une mission scientifique botaniste et entomologiste, la mission DyticoBryo, Catherine Reeb a créé ces poèmes calligraphiés dans le sud de Nosy Mena, « L’île rouge » en malgache, ainsi que disent les habitants de Madagascar ; Catherine Reeb travaille dans cette île-continent depuis une vingtaine d’années avec ses collègues malgaches et leurs étudiants.

Cette mission de fin 2022 s’est effectuée dans le Sud de Madagascar.

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Catherine Reeb a créé ces poèmes calligraphiés sur triptyques verticaux de 59,5 cm de haut par 21, à l’acrylique et à l’encre de Chine, toujours en extérieur et dans le paysage naturel.

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1

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Isalo – Satrana Lodge

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Les montagnes se parlent par dessus les mers

Celles d’ici ancrées dans la terre rouge

Disent leurs craintes de prendre la route

On a confié à leurs ventres de pierre

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Âmes et corps en partance

Mais elles ne savent où les conduire

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2

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Isalo – Sous l’orage

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Est-ce un jardin ?

Jardin de pierre

Arrachant au ciel

Les mains pour le pétrir

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Est-ce un oiseau ?

Corbeau de feu, sans promesses

Perçant le roc

Et des gerbes de cailloutis

S’égayent jusqu’aux rizières

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3

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Isalo – Terres brûlées

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Feu du ciel, feu des hommes

Où emportez-vous ces terres ?

Vous en pillez les secrets

Dont le futur s’abreuve

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Oh ! Les vagues rouges

Balayent passé et présent

Et ne laissent ni semences

Ni rêves à chérir.

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4

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Ifaty– Pirogues

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Aux confins de la Grande Île

Nosy Mena [L’île rouge]

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Le jour tourne en boucle

La pirogue du matin

Quête son infini au portant

Celle du soir rentre bredouille

Et se fond au couchant.

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Là-haut, se façonnent les récits

Qui vibrent dans le chant des pêcheurs

Ny hira ny mpanjano ny lakana

[Le chant des pêcheurs de pirogue]

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Recousue jusqu’au fil

Gonflée de sueur et de sel

La voile porte le riz

Aux petits ventres ronds

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Nos tintamarres sont muets, ici

Aucun obus, aucune mine n’arrachent

                                   les jambes

De ceux qui n’ont rien

Sauf ce sourire … là est l’infini

Offrant toute la vie, immense.

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5

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Isalo – Orana [la pluie]

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Rares

            Timides

                        Gouttes suspendues

                                   Frôlant les cimes

Sec au sol

            Qui se replie

                        Ho avy orana

                        [Nous aurons de la pluie]

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Tendu au ciel

            Le cou des zébus

Cornes perçant les nuages

Rondes

            Lourdes

                        Gavent les rizières

                        Où pépie le grain nouveau

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                        Ho avy vary rahampitso

                        [Nous aurons du riz demain]

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Catherine Reeb

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Regard / espace, de Simone Di Franco, avec 6 photos (et textes) de 2022

En écho à l’essai Qui regarde ? paru sur ce blog le 30 décembre 2022 : Qui regarde ? | Carnet de la langue-espace (wordpress.com)

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Maria

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Je ne sais pourquoi, mais il m’arrive constamment d’attirer l’intérêt et la sympathie des marginaux. Voici Maria, une petite dame brûlée par le soleil, connue à Caltagirone, en Sicile. Elle épluchait une énorme orange qui embaumait l’air alentour ; deux petits chiens lui faisaient escorte, prêts à mordre les passants à peine se seraient-il approchés de leur protégée. Mais moi, après une brève inspection et un grognement, ils m’ont tourné le dos : je ne leur paraissais pas dangereux, c’était évident. J’ai demandé à Maria si je pouvais lui offrir un café. D’une voix toute frêle qui semblait vibrer d’un étonnement perpétuel elle m’a répondu qu’elle buvait seulement de l’eau. Un visage aride comme d’argile desséchée au soleil, un visage qui semblait se dissoudre en poussière. Maria ne boit que de l’eau.

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Non lo so perché, ma mi capita sempre di attirare l’interesse e la simpatia degli emarginati. Questa è Maria, una donnina bruciata dal sole, conosciuta a Caltagirone. Sbucciava un’enorme arancia che profumava l’aria intorno; due cagnetti le facevano da scorta, pronti a mordere i passanti non appena si fossero avvicinati alla loro protetta. A me, però, dopo una breve ispezione e una ringhiatina, hanno dato le spalle: non gli apparivo pericoloso evidentemente. Ho chiesto a Maria se potessi offrirle un caffè. Lei mi ha risposto con una vocina sottile sottile, che sembrava vibrare di uno stupore perpetuo, mi ha risposto che lei beve solo acqua. Un volto arido come di argilla asciugata al sole, un volto che sembrava sciogliersi in polvere. Maria beve solo acqua.

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Gaetano

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Voici Gaetano. Je l’ai connu à Vizzini, le village de Giovanni Verga, en Sicile. Il m’a accueilli au siège de la Société Ouvrière de Secours Mutuel du village. Toutes les fois qu’il m’est arrivé de passer à Vizzini, je me suis promené dans le centre et, curieux, me suis arrêté devant la porte de cette Association. Cette fois-là à l’entrée est apparu Gaetano. C’était le jour de ses soixante ans. Avec fierté il m’a parlé de son état parfait de santé, de sa grande énergie. Puis il m’a fait asseoir à une table – j’étais devenu l’attraction des hommes présents, peut-être parce que je portais au cou un appareil-photo – et m’a offert trois figues de Barbarie toute fraîches et des amuse-gueules salés. Pour consolider mes rudiments de l’initiation qu’il m’avait donnée, il m’a offert un livre sur Vizzini et sur sa SOSM. La lumière était très faible, juste une vague lampe sur un mur avec le cœur immaculé de Jésus. Et Gaetano devant, au comptoir, corps desséché d’un vieux paysan.

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Questo è Gaetano. L’ho conosciuto a Vizzini, il paese di Giovanni Verga. Mi ha accolto nella sede della Società Operaia di Mutuo Soccorso del paese. Tutte le volte che mi sono trovato a passare per Vizzini, ho fatto una passeggiata per il centro e mi sono fermato curioso davanti alla porta di questa associazione. Questa volta all’ingresso è apparso Gaetano. Era il giorno del suo settantesimo compleanno. Mi ha parlato con fierezza del suo perfetto stato di salute, di quanto fosse energico. Poi mi ha fatto sedere a un tavolino – ero diventato l’attrazione dei presenti, forse perché portavo una fotocamera al collo – è mi ha offerto tre fichi d’india freschissimi e salatini.  Per consolidare i miei apprendimenti su quanto mi aveva riferito, mi ha regalato un libro su Vizzini e sulla sua SOMS. C’era pochissima luce, solo qualche lampada a una parete con il cuore immacolato di Gesù. E Gaetano davanti, al bancone, corpo asciutto di un vecchio contadino.

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Un prêtre

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La plupart du temps je n’attends rien et il n’arrive rien. Je m’installe dans un coin et j’espère une épiphanie, un petit miracle qui puisse rester saisi dans mon objectif. J’aperçois des géométries idéales, des positions de personnages que j’invente pour compléter mon cadrage : ça serait beau si…, là il faudrait un gamin, un chien, un prêtre, quelque chose qui donne sens à l’espace que j’ai sous les yeux. Parfois les ingrédients de mon imagination se matérialisent, mais se disposent de manière confuse, malicieuse : le chaos me tire la langue non sans dédain, et même en faisant apparaître de guingois un figurant qui brise en miettes toute symétrie. Probablement il n’arrive rien parce que trop souvent je ne m’attends à rien. Je ne peux créer le monde, ni ne réussis-je à le recevoir. Et voilà pourquoi en général je décide d’être content comme cela.

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Il più delle volte non mi aspetto niente e non succede niente. Mi apposto in un angolo e spero in una epifania, un piccolo miracolo che possa rimanere impigliato al mio obiettivo. Scorgo geometrie ideali, posiziono personaggi d’invenzione per completare il mio quadro: sarebbe bello se…, qui ci vorrebbe un bambino, un cane, un prete, qualcosa che dia senso allo spazio che ho davanti agli occhi. Talvolta gli ingredienti della mia fantasia si materializzano, ma si dispongono in modo confuso, dispettoso: il caos mi mostra la lingua con dispetto, magari facendo apparire a sproposito un figurante che manda in frantumi ogni simmetria. Probabilmente non succede niente, perché troppo spesso non mi attendo niente. Non posso creare il mondo, né riesco a riceverlo. Per cui ogni tanto decido di accontentarmi.

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Voici, par exemple, cette image : j’ai suivi cette soutane avec insistance, je dois dire principalement parce qu’intrigué par les discussions -je suis un espion- que le prêtre tenait au téléphone, histoire de donations d’argent pour l’église et appels hors toute pudeur pour parler de choses vénielles du moment que déclinées à bonne fin ; comme un météore il sillonnait en diagonale le parvis, interceptait quelque fidèle, reprenait la conversation au téléphone. Je l’ai observé de dos, depuis l’intérieur de son église, de côté, de face. Rien. Finalement je me suis assis sur un banc avec Barbara, laissant comprendre que j’étais un type un peu dévot, pas un voyeur indiscret. J’ai attendu en vain. Le jour tombait. Alors j’ai décidé de faire click et de conserver la trace d’une attente imparfaite, avec une image imparfaite.

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Ecco, ad esempio, questa immagine: ho inseguito quest’abito talare in modo insistente, devo dire più perché incuriosito dalle discussioni – sono uno spione – che il prete teneva al cellulare, storie di soldi, donazioni per la chiesa e appelli a non provar pudore a parlare di cose veniali se declinate a buon fine; come una meteora viaggiava in senso diagonale per il sagrato, intercettava qualche fedele, riprendeva la conversazione al telefono. L’ho osservato di spalle, dall’interno della sua chiesa, di fianco e di fronte. Niente. Alla fine mi sono seduto a una panchina con Barbara, lasciando intendere che fossi un tizio un po’ devoto, non un impiccione voyeur. Ho aspettato inutilmente. La luce calava. Ho deciso allora di far click e di conservare il ricordo di un’attesa imperfetta, con un’immagine imperfetta

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Au lac Arvo

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A Lorica, au bord du lac Arvo, en Calabre. C’est un lieu de souvenirs heureux de mon enfance. Je remarque seulement à présent que dans toutes les images du lac qu’au fil du temps j’ai réunies ou observées, souvenirs, photos prises par mon père ou moi, le lac apparaît calme, sous une lumière douce, comme de miel. Cette image-ci d’août dernier, par contre, fait partie d’une série de visions subjectives liées à cette clôture et à ce fil de fer barbelé, repris ci et là jusqu’à l’endroit où il s’immerge dans l’eau. Le ciel est chargé de nuages lourds, la pluie menace – et en fait j’ai dû tout démonter en toute hâte, même furie, pour éviter de tremper mon matériel. Rien qu’un trou de lumière à mi-ciel sans contrejour.

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Lorica, sul lago Arvo, in Calabria. È un luogo della mia felice memoria infantile. Noto solo adesso che in tutte le immagini che nel tempo ho raccolto o osservato del lago, memorie, foto di mio padre o mie, il lago appare in quiete, sotto una luce dolce, melata. Quest’immagine d’agosto, invece, è parte di una schiera di fantasie legate a questo steccato e a questo filo spinato, a volte ripreso sin dove s’immerge nell’acqua. Il cielo è carico di nubi che minacciano pioggia – e infatti ho dovuto smontare tutto in fretta e furia per evitare di bagnare la mia attrezzatura. Solo un buco di luce a mezz’aria senza controluce.

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Simone Di Franco

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(traduction d’Yves Bergeret)

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Le Réfugié, avec Nicolas Hilfiger (2)

Du 16 août au 20 octobre 2022, sur une toile carrée de 50 centimètres de côté, à l’huile, aux encres et aux aérosols, Nicolas Hilfiger a créé ce tableau qu’il a intitulé Le Réfugié ; voici le poème qui fait route avec lui.

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Qui es-tu, Réfugié ?

Es-tu ?

Tu as franchi tant de frontières,

traversé tant de déserts, de terres, de mers, de montagnes

en laissant dépouilles et lambeaux

de ton corps et de ta personne

que tu te sens n’être plus que la carte géologique

de tout ce que tu foulas pieds nus.

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Rouge bleu vert jaune

la grande bagarre des sédiments et des roches

des côtes et des crêtes,

tu es juste un relevé cartographique.

Mais ton socle ?

Enfoui si profond que presque personne ici

n’en a conscience.

Te voici le relevé, l’empreinte des terres

qui t’ont mangé, d’où l’on t’a chassé

à coups de ceinture cloutée, à coups de fouet.

Les deux tiers de toi ont été fondus

dans les odeurs âcres

de ce que tu traversas.

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Ta peau est de la poussière et de la couleur, du papier,

ton corps est couleurs, poussière, papier,

tu es sec crispé étroit

dans le relevé cartographique de ta voie

et rien d’autre.

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Mais le peintre tend devant toi sa toile carrée vierge,

voile de Véronique qui prend empreinte

de ton visage qui est palimpseste

de mille empreintes raclées des espaces

où tu as perdu tout contour toute ancre toute chair.

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Quand le peintre a fini de relever par frottements sur sa toile

le relief bigarré décharné de ta face,

quand le peintre vers nous tourne sa toile

où tu t’es imprimé

il se produit un vent puissant qui va t’aspirer.

Quoi bascule ?

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Caché par la toile tendue sur son châssis,

dissimulé derrière la toile,

peut-être abrité de ce vent,

tu respires longuement.

C’est la première fois depuis très longtemps.

Tu oses demander aux terres traversées

qui t’ont tant éraflé

ce qu’il y avait avant elles, au-delà d’elles.

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Elles ne savent pas te répondre.

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Il y avait une lumière courbe et blanche.

C’est cette lumière résistante

qui engendre ta mâchoire et ton sternum.

C’est cette lumière qui attend les signes

que tu arriveras dans quelques mois à poser

puis à écrire.

Que tu arriveras à poser quand tu seras toi

qui ne sera plus toi.

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Devant la toile le peintre plonge dans ton regard.

Devant la toile tous nous plongeons dans ton regard.

La toile racle. La toile brille en miroir.

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Carrefour croisement regards nets et impitoyables

et voici que sur la grande lagune de ta vie

réduite en boue bigarrée, des lignes fermes naissent

vertes rouges noires, le tracé de ta mâchoire,

le tracé de ton nez, la fente de ta bouche, tes orbites.

Voici les lignes tracées devant la boue.

Elles vont se réinstaller dans un récit,

dans une apparence nommable.

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Naissent alors tes yeux, deux gros iris rouges,

six énormes cils rouges,

yeux écarquillés fixes, regardant hors temps,

yeux larges vraies épatées empreintes naissantes des pieds

du félin sans croc ni griffe, marcheur sans fin

que les terreurs et les guerres t’ont appris à être.

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Tes yeux : les empreintes puissantes de tes deux

pattes souples profondes graves qui disent

que ta marche sera perpétuelle

car tu as la force de l’espoir de tous les espaces

et la rage de vivre même au bord

de l’océan en feu.

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Yves Bergeret

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La guerre et la paix, avec Nicolas Hilfiger (1)

Sur un dessin que Nicolas Hilfiger a créé et intitulé ainsi, à Montrouge le 7 janvier 2023 sur papier 140 g au format vertical A4, en techniques variées.

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Des décennies et des siècles

t’ont élevé chapitre à chapitre

et ont fait que tu sois ce grand récit

étiré en trame verticale,

comme une maison céleste d’échafaudages et de filins

avec des salles, des galeries ouvertes, des terrasses

où passent à pas feutrés tes oncles

et courent tes nièces en riant avec des enfants

diaphanes qui ne sont pas de ton sang

mais sûrement d’un village de l’autre côté du réel

où personne, semble-t-il, ne sait haïr.

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Il est sûr que la lumière toute à son aise

peut aller, monter et descendre

en acrobate si légère

par les chambres et les places et les alcôves :

n’est-ce pas ici

tout ce monde

qui se nomme paix ?

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Il est sûr que le vent sait,

comme une parole mythique,

traverser à l’horizontale ton tressage vertical,

qui est de porches, d’huisseries, de lucarnes,

et d’une immense fenêtre

où passe certaine foule.

Il est sûr que le vent pourrait décrire

les silhouettes des nièces ivoirines

et des oncles hardis comme condottieri.

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S’écartent de la foule trois personnes

qui s’accoudent à la plus petite fenêtre

modeste comme la prochaine courte phrase

encore sans ponctuation.

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S’écartent trois personnes, yeux clairs

qui voient s’ouvrir de l’autre côté

encore d’autres chambres et là à gauche

deux vallons aux vignobles dorés.

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Se lèvent les trois personnes,

s’écartent les trois personnes,

vont les trois personnes

par la pente pierreuse d’un vignoble rouge.

La terre gronde.

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De par-dessus

tombe une bombe.

Eclate la bombe.

La maison s’effondre.

La trame chancelle.

Des visages perdent peau par moitié, perdent nom,

douceur, nom.

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Quel monstre tue ?

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Yves Bergeret

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« Filtrer l’eau avant l’aube », dessin d’Antonio Devicienti

« FILTRER L’EAU AVANT L’AUBE »

encres de différentes couleurs et crayon sur papier,

14 cm de haut par 21

à Orino, Italie, le 6 janvier 2023

en écho à la dernière publication, ce matin même, de ce blog :

Calcaire et marne

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Calcaire et marne

Poème écrit et calligraphié en observant la vaste Montagne de l’Oule à Veynes et la Montagne de Fontarache à Serres le jour du 5 janvier 2023, sur quatre triptyques de Papier U 180g de format déplié 21 cm de haut par 29,7.

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1

Qui vit clair et probe avec soi

et probe et clair avec tous

sait que sa vie est une montagne

où chaque jour évolue entre calcaire et marne

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2

Qui rogne ses griffes et crocs

et vit avec tous écoutant transmettant

sait que sa vie coule limpide torrent

entre marnes tendres et dures strates.

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3

Qui a tant émoussé fendu durci

ses talons à force d’aller de boue à roche

et de drame à joie

sait que sa vie sans ronce ni fard est heureuse.

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4

Qui vit sans cadenas ni brandon

se préoccupe non pas tant de posséder des choses

que de précéder l’aube près de la fontaine

pour filtrer l’eau que tous viendront boire.

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Yves Bergeret

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Demandes de la montagne

Poème écrit et calligraphié en observant l’énigmatique Montagne de l’Oule à Veynes le jour du 4 janvier 2023, sur quatre triptyques de Papier U 180g de format déplié 21 cm de haut par 29,7.

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1

Donne-moi une main agile

pour écrire pour tailler pour assembler

pour écarter pour pivoter,

dit la montagne.

Je suis le dos de vous tous,

portant collé au mien le dos de Prométhée,

portant rocher de Sisyphe.

Classer est inutile.

Toucher et nommer, nous le devons tous.

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2

Donne-moi les cordes vocales de l’aube

pour libérer l’esclave

pour apaiser pour apprendre à répondre,

dit la montagne.

Je suis le grenier de tous vos mythes. L’aube m’ouvre

et je porte l’insecte qui joue sur l’épi dans la main de l’enfant.

Je porte l’oiseau qui saura aussi verser graines

à la maison bombardée.

Cacher est mortel.

Dire et saluer, nous le devons tous.

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3

Donne-moi un visage et ses muscles

pour diluer la peur, pour sourire et non haïr,

dit la montagne.

Je suis l’affection patiente de toutes vos générations

qui se sont dilapidées à s’entrégorger.

Je suis la très tendre roche très dure

portant à la portée de vos cordes vocales

le poème choral.

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4

Donne-moi une bouche qui ne craint de s’ouvrir

pour dire le mot qui pulvérise la violence,

pour respirer avec le vent fécond,

dit la montagne,

ma langue le granit

mon palais le ciel

ma langue hommes et femmes

mon palais ancêtres et enfants.

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Yves Bergeret

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La montagne d’hiver

Poème écrit et calligraphié en observant la sombre Montagne de l’Oule à Veynes le soir du 3 janvier 2023, sur quatre triptyques de Papier U 180g de format déplié 21 cm de haut par 29,7.

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1

C’est à l’arrière des maisons et des rues,

c’est juste le souffle ligneux de la nuit,

de ce qui est beaucoup plus sombre que le sang.

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2

Dans la tragédie

c’est avant la colère du second acte

quand les héros se regardent en riant

avant de s’entretuer.

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3

C’est ce qu’entend la coque de la carène

quand elle racle un haut fond

et alors jaillit en pleine nuit

le cri blanc de la fraternité.

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4

C’est le triple meurtre

de la mère, du père et du tout premier aïeul,

l’inatteignable androgyne,

mais la mémoire en sa touffeur

n’est jamais meurtre,

elle est juste sacrifice

et la montagne au soir enfle encore.

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Yves Bergeret

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