Discrétion de la montagne, ou pas
Poème écrit et calligraphié à Briançon les 20 & 21 avril 2022 à l’encre de Chine et gouache sur quatre diptyques 224 g de Clairefontaine, au format déplié de 24 cm de haut par 32 de large.
Le poète Francesco Marotta en propose une version italienne, aussi sensible que ferme ; la voici : https://rebstein.wordpress.com/2022/04/22/discrezione-della-montagna-forse-no/
.
1
Elle est venue s’asseoir sur tes genoux,
la montagne presque muette.
Agée ? non. Juste un peu ridée.
Long a été son chemin.
Elle apprend l’humilité en te parlant bas.
Elle t’écrase un peu.
Hanches et genoux te font mal
mais les guerres effroyables à l’est et au sud
ont appris à elle et à toi qu’il existe des souffrances
beaucoup plus lourdes que les siennes.
*
2
Qui s’assied sur l’autre ?
Elle ou toi ?
Tu ne peux t’asseoir au sommet,
à peine le visites-tu au vol ;
tu t’assieds sur le rocher du torrent
si bien que le rocher c’est toi
et que tu es la rotule de la montagne.
Ou bien son crâne vague.
*
3
La montagne et toi ne savez pas bien
qui vous êtes.
Echo l’un de l’autre.
L’un, nid de l’autre
avant les envols somptueux dans
la famine ou la gloire.
*
4
Elle est venue s’asseoir sur tes genoux.
Elle finit par t’irriter. Tu te lèves,
une partie d’elle dégringole
jusqu’à l’estuaire ;
mais l’autre gratte dans ta gorge,
t’acère cordes vocales et verbes,
vous voici volcan et le ciel est rouge.
*
Yves Bergeret
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6 réponses à “Discrétion de la montagne, ou pas”
Rètroliens / Pings
- 22/04/2022 -
J’adore la capacité d’Yves de faire « bouger », agir, se déplacer ce que le sens commun juge immobile.
Crissement, détonations. Vrombissements…Yves Bergeret contraint le son de la guerre, des guerres, en ce qu’elles sont faces béantes comme le Chronos cannibale qui, dans le silence fusionnel de la peinture ré-cupère le fragment hostile.
Le Poète jette à bas cette terrible présence de réalité: Le corps devient ascenseur d’ossature(s), « Tu ne peux t’asseoir au sommet, à peine le visites-tu au vol ; ( … ) « .
YB s’engage à remettre en la présence ou pas du tout, cette montagne sans destination autre que dans le terrain, terminus de la Loi des Paix humaines.
La parole de la montagne coule de source : vocable, encre ou peinture. Sur la page de gauche, les couleurs deviennent mots, puis d’autres mots d’autres couleurs, et enfin, redeviennent gestes et mouvements. D’accueil et d’écoute, toujours.
Clair et somptueux.
Même humble et assise sur nos genoux, la montagne pèse du poids du monde qu’elle porte en elle. Même en dégringolant, elle laisse en nous des pierres à lancer, à crier contre le poids des souffrances du monde.
Rotule roule et porte loin,
Crâne couvre et pense bien;
L’un porte sans trop peiner,
L’autre pense sans trop peser.
Ce sont os légers comme
Montagnes plissées, ventées,
Ce sont os poreux comme
oreilles ouvertes, tendues.
Par monts et par vaux,
Rotule arpente la roche,
Crâne atteint la crête.
Bras et seins de la montagne
Cueillent le pas,
Nourrissent le poème
Avec lucidité.