LA MER PARLE, poème sur 60 pièces de céramique, avec Andrea Branciforti, 2006
C’est, onze ans avant Carène, mon premier hommage aux migrants arrivant dramatiquement en Sicile. J’avais été invité à Caltagirone, au centre de cette île, par un collectif de 4 céramistes en avril 2006, une belle exposition, assez significative, avec des aphorismes de moi, éparpillés sur des pièces qu’ils créaient.
Avec l’un d’entre eux, Andrea Branciforti, en octobre de la même l’année j’ai créé une grande installation ; elle a ensuite été exposée à Caltagirone, à Catane, à Palerme, à Venise et ailleurs.
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[Ensuite et jusqu’à 2013, j’ai créé cinq autres installations poétiques de grandes dimensions en Sicile, avec le sculpteur Carlo Sapuppo : on lit les poèmes de ces six installations en français et, grâce au poète Francesco Marotta, en italien dans cet ensemble : yves-bergeret-la-parola-che-guarda-2006-2013.pdf (wordpress.com)
Dans les années qui ont suivi et jusqu’en 2019 mon travail de poète en Sicile s’est développé, bilingue, sur le plan théâtral et musical en musique contemporaine, outre l’édition de livres bilingues eux aussi.]
Yves Bergeret
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Poèmes écrits ou incisés à la main
sur les pièces de l’ “ installation ” LA MER PARLE
avec Andrea Branciforti, céramiste
à Caltagirone, en Sicile
les 26, 27 et 28 octobre 2006

Tous les poèmes inscrits sur les pièces de céramique sont les paroles de la mer
L’installation est constituée par la double pièce centrale (les “ vagues ” et le “ sable ” ; et les 15 pièces complémentaires) dont voici la version italienne, due au poète Francesco Marotta : Il mare parla | La dimora del tempo sospeso (wordpress.com)
LA MER PARLE
A gauche cinq “ vagues ” constituées par des bandes de céramique droites, parallèles, ondoyantes (en hauteur) et fragmentées ; chaque bande mesure vingt centimètres de large sur un mètre de long. Les cinq vagues portent, en lettres profondément incisées par le poète dans l’argile fraîche, avant cuisson, cinq questions.
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A droite le “ sable ” du rivage, constitué également par cinq bandes de même dimension que celles des vagues, mais beaucoup moins ondoyantes en hauteur. Les cinq bandes de sable portent, en lettres calligraphiées à l’encre de Chine sur papier et reportées par un procédé spécial d’Andrea Branciforti, les cinq réponses aux cinq questions apportées par les vagues déferlantes.
Qui danse sur ma langue ?/ la nuit tombée du ciel
Qui arrive par mon sang ?/ générations et jeux, légendes et enfances
Qui abreuve et ravive ? / l’étranger, l’étranger
Qui va et vient dans ma vie ? / le sel et l’amour
Qui roule par mon flux ? / la parole et le rire du lointain
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15 pièces complémentaires
Sur 4 formes de barques carrées, ou berceaux (en italien “ culla ”) :
J’épouse les rives
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Je baigne le soleil
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Les ancêtres parlent dans l’abîme
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J’aime et détruis
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Sur 1 forme de barque carrée mais sans bord relevé sur son côté droit [par rapport au sens de lecture du texte] – ( en italien “ culla ”) :
Je tends l’oreille aux migrants
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Sur trois plaques rectangulaires :
J’écoute les sillages
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J’ouvre l’horizon
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Ton ombre est mon sel
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Sur trois plaques faisant une suite spécifique
Sur mon épaule se repose l’oiseau inconnu
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L’enfant sur mes épaules voit ses enfants
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J’ouvre l’horizon
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Sur deux pièces en formes de coquillage en train de se dérouler ou de s’enrouler :
J’apprends et j’érode
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J’enivre et délivre
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Sur deux pièces en forme de poisson :
Au voyageur j’offre une ombre en retour
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A l’orphelin j’offre une âme en retour
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Poème :
Grand remplacement des haines délétères
Par l’artéfact d’un haut estran
D’écoute, de regard, de parole.
La parole fragilisée… et d’autant plus puissante.
La parole poétique se mêle à la matière, mais c’est bien elle qui en reste le centre. Elle qui fait ondoyer la céramique, déferler les vagues, elle qui ouvre la mer et la rend féconde, elle qui s’inscrit en nous et nous enfante – car elle nous met, littéralement, au monde, à chaque lecture.
Quelle magnifique idée, donner la parole à la mer et à ses vagues, donner la parole à la céramique, parler à l’enfant, parler au voyageur, parler à notre cœur ! Art éphémère, art éternel qui s’inscrit dans le dur et qui vogue sur nos âmes. Merci cher Yves