Poèmes du Diois, de Pierre-Alain Tâche

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La route vers Grimone 

 

S’émanciper des toits romains, c’est donner du champ à l’errance en mimant le vol de l’effraie !

Nul savoir ne prépare à la traversée des monts, pourtant inéluctable ! En des lieux où le rocher se rira du moindre hululement de l’inquiétude. Alors, s’en aller dans le bleu, qui se resserre, vers un rouge coquelicot parent du sang neuf et léger, qui embellit les blés !

Une eau, déjà, se terre ; et cependant nul ne pressent que de pierreuses paumes vont bientôt la débusquer et se crisper sur elle.

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C’est là qu’une dérive a commencé. Là où l’ordre taillé des buis a surpris tout de même un peu, qui tranche avec la démesure et murmure à l’oreille des surplombs ; là où la roche est sûre d’elle et jette une ombre d’avant tombe, intime et froide, sur les corps.

Œdipe aveugle est entré dans la faille en ignorant le doigt de l’interdit. Il est désormais sur la route. Il n’a pas jouissance des lieux et boit à la fontaine, où croupit le cresson du malheur. Mais il n’oublie pas pour autant que son origine est ailleurs.

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Le nœud coulant de la D 539 étrangle la rivière. Et la gorge aussi serre à remonter ainsi vers la source inconnue, où stagne une naissance irrésolue.

Se redresser alors comme un plongeur près de reprendre souffle ! Et la tête tourne, tourne et dévisse aux flancs de la vague calcaire – énigme qui se farde d’ocre et déferle en strates de mer figée.

« Il faut travailler la falaise, dit Œdipe, pour entendre ce qu’elle veut nous dire ». Sa rumeur est puissante ; elle nous secoue. Parce qu’avec elle, c’est encore affaire de parole.

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L’imprudent, qui fait face, grave en hâte une barque. Des rameurs la feront jaillir, par d’étroits tunnels, sur une houle verte où le bétail, dans son sillage, hésite à pâturer.

Alors, c’est un hameau semblable au malingre troupeau, et cette école, où s’ouvre le chemin vers l’écriture qui part dans la pente – et le verbe alors prend le relais du ciseau.

Grimone est soudain dans le creux où retombe l’écume. Un ciel ouvert s’épate en grands alpages de lumière. La griserie de l’air aiguise le regard. La rive semble proche, où un peu de sens apparaît.    

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Valcroissant

 

La cluse est le portail offert d’un jardin qu’envahit un silence d’une verdeur inouïe, qui monte, ce matin, par de multiples fûts herculéens, jusqu’au fronton que forme le brouillard.

Où sommes-nous ? Il y a des outils en sommeil dans le dortoir de l’abbaye. Une ornière trahit un tracteur qui profana la paix du cloître. Et tout, à l’avenant, nourrit la parabole où la charrue fait alliance avec la croix pour produire le grain de la métaphore.

Un coq d’un rouge hardi proclame qu’un logis de France est à l’étage d’une salle où siégeait le chapitre. Un homme seul, assis sur le seuil, y lit un verbe d’aujourd’hui.

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Auguste au bar

 

Ses souliers sont de taille ordinaire. Il ne porte pas de perruque et le nez rouge manque au sourire édenté. Et c’est pourtant l’Auguste d’autrefois qui tire les cafés serrés !

Un poète aura bien tenté de lui faire évoquer une cage aux lions, où il s’est marié. Avec la trapéziste. Or il se tait. Sans doute par pudeur, mais aussi parce l’étranger peinerait à croire que l’épouse est tombée un soir des étoiles sous ses yeux agrandis par le fard et l’effroi.

Pas étonnant qu’il ait quitté la piste, depuis lors. Pour un pays perdu d’où gérer le cirque d’autrui.

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La Dame de Châtillon

L’utile aussi vieillit ou tombe dans l’oubli. La corde fait ainsi défaut à la poulie, qui pendait sur le viol. Elle procurait pourtant l’abondance aux greniers et le repos du soir, au-dessus des bêtes rentrées.

Or, ce matin, à Châtillon, dans l’étroitesse des venelles, des mots sont engrangés, échangés, au droit de fleurs à dépoter. De sa chaise roulante, une femme hâlée d’âge mûr, et de noble maintien, règle la mise en terre des plantons. Le ton gai de sa voix sonne chaud comme une pluie d’été.

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