Guépard interstices

Ce nouvel ensemble fait suite au premier cycle de très grandes calligraphies créées à la fin du printemps 2023 : 6 très grandes calligraphies de Guépard | Carnet de la langue-espace (wordpress.com)

Cette publication ici, introduction et poème, se lit en italien dans la limpide et vigoureuse traduction du poète Francesco Marotta : https://rebstein.wordpress.com/2023/07/07/interstizi/

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L’ensemble de ces six nouvelles très grandes calligraphies, 4 de 215 cm de haut par 60, 2 de 150 cm de haut par 50, à l’encre de Chine et à l’acrylique, a été créé le mercredi 28 juin 2023 au Plan du Carrelet, à 2 100 mètres d’altitude, non loin de La Bérarde, au cœur même du massif de l’Oisans (où jadis je grimpais tant et tant de voies d’alpinisme non simples) ; c’est un confluent de virulents torrents.  Au dessus de lui, la mythique face nord-ouest d’Ailefroide occidentale, culminant quasiment à 4 000 mètres d’altitude, s’érige en gigantesque mur de théâtre antique.

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Cette immense face, sans cime aiguë dominante, rectangle abstrait dans sa perfection de roche et de glace, parle, écoute, réplique à qui sait écouter et voir. Paul Cézanne dialoguait sans fin avec le triangle incliné de la Montagne Sainte-Victoire. Ici le dialogue est avec ce mur qui est tout sauf plat et monotone. Piliers, gorges verticales, glaciers suspendus, arêtes droites, en font une gigantesque construction de mythes, d’enluminures, de taxinomies farouches, d’éléments multiples d’un damier hors temps sans origine ni fin où tout est à dire et à bâtir.

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Le geste épique du grimpeur-guépard s’y élance, y trace sillage de destin et de rire et de pensée et de mystère clair-opaque et de question rebondissante sans fin.

Or dans cette énorme masse minérale et glaciaire, de pensée, d’ombre et de lumière, ce qui articule avant tout l’espace, la vue et la pensée c’est le réseau géologique des fissures verticales, horizontales, obliques, c’est-à-dire les interstices de l’intuition, de la parole, de la pensée, les perpétuels reprises de souffle et rebonds de l’intuition, de la parole et de la pensée, qui sont les étapes et répliques de la création.

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L’équipe : ce mercredi 28 juin sont montés à ce Plan du Carrelet avec moi Catherine Reeb, chercheuse botaniste à l’Université Sorbonne nouvelle, pour une création personnelle de calligraphies, et Attila et Candice Gaigher avec Yohan et Géraldine Gaigher, pour un travail d’anthotype photographique (on connaît bien l’admirable travail de restauration des frères Gaigher dans une maison très ancienne de Crest : Bouquets au mur de la Maison Bru-Gaigher, à Crest | Carnet de la langue-espace (wordpress.com) ). Chacun soutenait chacune et chacun dans l’équipe, dans une toute originale polyphonie de créations croisées et partagées devant le mur titanesque d’Ailefroide occidentale. Mur titanesque, polyphonie des actes humains de création. En somme nous développions ensemble, nous six, le chœur contemporain qui rebondit sur les fulgurantes transmissions du Titan Prométhée.

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Prochainement sera publié le compte-rendu de notre polyphonie à six voix.

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Les unes sur les épaules des autres

les parois savent s’élever

surlignant les cicatrices

qui sont rotations de vie

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toujours respectant entre elles les interstices

de parturition, de pardon, de réplique sidérante

et de fraternel abri.

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C’est l’interstice de l’amitié sans question que je préfère,

celui où les guépards s’accouplent.

Ils feulent : c’est mon poème.

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A l’interstice de la fraternité

se suspend un petit glacier rebelle

qui refuse soleil et fonte :

c’est le meilleur bivouac en pleine face.

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Guépard discret

assis sur le vide, son corps noueux

juste accroché en paroi par les doigts

à deux toutes petites prises,

certains soirs parle.

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Dans l’interstice du reflet profond

deux grimpeurs encordés s’allongent

pour laisser filer l’avalanche ;

après quoi l’ivresse du grand large vertical

les projette en miettes mythiques.

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Par l’interstice du tacite amour

guépard échange vigoureuse poignée

avec la personne qui jamais n’acceptera.

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Mille mètres au dessus du glacier de départ

sur miroir noir vertical

guépard touche à vingt doigts le mythe dans la roche,

décloue à chaque souffle les esclaves aux paumes trouées.

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Interstices en tous lieux de la paroi,

en tous sens, ce sont rides et éclats de la pensée,

arcades en creux du grand visage.

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Photographies : Catherine Reeb, Attila & Candice et Yohan & Géraldine Gaigher, Anne-Marie Poncet, YB.

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Yves Bergeret

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8 réponses à “Guépard interstices”

  1. Lemaître Xavier dit :

    Guépard bondit sur paroi
    Couleur jaillit sur papier
    Trait trace poème
    Hauteur de pierre
    Paume d’altitude

    Grand merci aux artistes pour ce bel orchestre de l’esprit
    pour cette splendide danse des sens

  2. Colette Klein dit :

    Il appartient aussi au lecteur de reprendre souffle !

  3. Lemaître Xavier dit :

    Sans faille, l’interstice, planche de salut et tremplin, offre élan et prise au guépard grimpeur.

    Rais de lucidité, l’interstice intrigue, irrigue et dessille l’œil blasé.

    Passage de voix, l’interstice aux commissures des lèvres, ouvre la parole.

    Discret marqueur de sens, l’interstice entrouvre un soupirail vers l’autre.

    Entreligne dans le carnet, l’interstice amorce les premiers mots du poème.

    Sillon, sillage, l’interstice prometteur, jamais menteur, toujours curieux et surprenant; invite l’œil, le doigt, l’énigme.

    Au rebours de la faille, l’interstice de vitalité, de plénitude et d’altérité annonce l’aurore verticale.

    Xavier Lemaître.

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