Mers, Morsures, Caresses    par Xavier Lemaître

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I

Une littorine fossile

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Lettrines de la grande saga des mondes marin et terrestre, les littorines fossiles se dessinent aux flancs des falaises, se lisent sur les plages parcheminées, se trouvent aux sommets des montagnes.

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On les disait antédiluviennes, elles sont aujourd’hui classées et datées. D’origine marine, les littorines se sont caparaçonnées : ABRI DÉFENSE MONTURE. Après le retrait des eaux, par milliards, ces mollusques gastéropodes se sont échoués, agrégés, pétrifiés : fragiles témoins de l’outrage aveugle du temps et du génie chimique de la fossilisation par carbonisation.

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Désormais la montée des eaux affaisse la falaise. Le fossile s’égare, s’immerge, disparaît dans l’étroit goulot du sablier cyclopéen de l’oubli.

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Parfois l’érudit attentif l’aperçoit, le recueille, le nomme, le latinise.

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Alors le savant déchiffre son héraldique.

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Le plasticien admire ses arabesques.

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La littorine enrichit le grimoire d’un conservateur.

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Son étude alimentera le grand récit.

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II

Deux crinières en morsures et caresses

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Crinières en bataille

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« J’aimai les fiers coursiers, aux crinières flottantes »

Victor Hugo

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Une jolie mèche rebelle s’est dévoilée 

Sous l’œil pudibond du parangon de vertu.

Un léger poil discret a défrisé

Les nerfs sourcilleux du furibond poilu.

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– Jeune femme, ta chevelure très peu visible 

T’a valu bien des tourments !

– Jeune homme, ta barbe trop peu ostensible

T’a valu bien des tourments !

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La mèche insurgée et le poil rétif

Conversent, devisent, se hérissent

En fauve crinière rugissante

De vie et de paix, d’amour et de liberté.

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Alors toutes les follettes foultitudes fabuleuses

De fouets pileux couronnés de crin et de cran, 

Fustigent les obscurs parasites fils du néant,

Enflamment les fort grands cœurs pleins d’allant.

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Crinières dévoilées

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« Si je confie au vent

            ma chevelure ambrée 

j’attraperai toutes les gazelles des champs »

Tâhereh, poétesse iranienne, 1817-1852

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Peine capitale pour écart de voile : elle périt en silence.

Dévoilement fleurit la capitale : elles en parlent vivement.

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Bruits bestiaux et brutalités barbares s’abattent sur

Cris d’alarme et crinières créditées de courage.

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Les averses de coups peinent à tarir l’écume des

Paroles émergentes et le flot des cortèges solidaires.

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Sans voile, ni tresse, les chevelures déliées flottent

et volent sur les avenues où elles tissent leur bannière 

de révolte.

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Voix et corps affranchis portent haut cet étendard

qui dessille le regard, éclaire l’entendement, exhorte

à la conscience.

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L’oriflamme clame une devise universelle :

VIE FEMME LIBERTÉ

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III

Trois écumes des mers

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Grandes marées océaniques

– Des cohortes de vagues déferlent et dévorent les frêles troupeaux des rochers-plantons. Leurs caresses perfides anéantissent les derniers glacis de sable sec. Leurs lèvres écumeuses se mordent et s’embrassent fougueusement. Des légions de lames salées lèchent l’étale placide des coquillages puis hachent et tranchent la plage désarçonnée.

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Naufrages Méditerranée 

– La mer caresse avec adresse ou mord rageusement. Elle porte majestueusement ou engloutit impitoyablement ses cavaliers de fortune… ou d’infortune. Tel, vainqueur d’un désert de sable, sera vaincu par cette mer aveugle et ses complices naufrageurs.

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Mer Noire violentée

– Voici face à la mer sombre, très sombre : Odessa, port nourricier universel que le canon cherche à réduire en famélique souricière. En mer, des pêcheurs sont coulés, en plaine, des semeurs sont fauchés. Ils n’iront plus au bois.

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Chaos cadavérique

Ailée, embarquée, chenillée ;

la mort rôde, grogne, mord :

Qui la musellera ?

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Mots désœuvrés

Maçon, où est ta dernière maison ?

– Seules mes mains s’en souviennent.

Qu’est-elle devenue ?

– On dit qu’elle est pillée, incendiée.

Sa cave voûtée ?

– Disparue, toute honte bue !

Sa porte en bois ?

– Des voleurs l’ont emportée.

Ses fenêtres aussi ?

– Non ! L’explosif les a volées.

Son mobilier?

– Exilé !

Sa cheminée ?

– Brûlée, elle veille le retour du foyer.

Sa chambre ?

– Les amants y ont perdu le sommeil.

Et son grenier ?

– Rien ! Si le grain n’y meurt !

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Calcul mental

Guerre sans nom ni visage :

« OPÉRATION SPÉCIALE »

= sordide soustraction.

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Les évasions se multiplient chez l’envahisseur. Ses annexions divisent.

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Choses vues

Peintre, explique-moi les couleurs !

– J’ignore ce dont tu parles.

Les jonquilles ?

– Le soufre les a fanées.

La mer ?

– Noircie !

Les champs de blé ?

– Fauchés par la mitraille.

Le ciel ?

– Couvert !

La blondeur de la jeunesse ?

– Elle blanchit sous la poudre.

Les yeux bleus des femmes ?

– Noyés de larmes.

Les couleurs de ton drapeau ?

– Deuil

Et ?

– Sang !

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« La couleur est un corps de chair où un cœur bat »

Malcolm de Chazal, poète, écrivain et peintre mauricien

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Résistance galvanisée

Petit, sourd et aveugle,

Le Sans-Parole décrète « anéantissement ».

Face à lui, tout un peuple vif se rebiffe.

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Xavier Lemaître

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3 réponses à “Mers, Morsures, Caresses    par Xavier Lemaître”

  1. Michel: dit :

    Que de folie ! Pourtant la littorine devait ramener chacun à sa vérité !
    Merci beaucoup Poète pour cette sélection de choix !
    Bonnes vibrations solsticiales !

  2. Ancre Nomade dit :

    Enfin quelque chose de fort sur l’Iran. Merci.

  3. Geneviève Gohin-Chignac dit :

    Quand les mots, la poésie, arrivent à parler de l’actualité furieuse, sombre et cruelle. Bravo et merci Xavier Lemaitre !

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