Dure paroi
Ces photos ont été prises par Harold Bruce le samedi 15 octobre 2022 par grand froid lors de son ascension (avec deux compagnons de cordée) de la face sud-ouest du Pic Sans Nom (3913 mètres), sommet qui domine le Glacier Noir, près de Briançon.
Dans une talentueuse mise en page, le poète Francesco Marotta donne sa version italienne de ces quatre poèmes, ici : https://rebstein.wordpress.com/2022/10/27/dure-paroi-ardua-parete/
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1
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Le gel.
Le centre de la nuit.
Le fracas des étoiles
qui m’écrasent les doigts.
Roche paroi montagne,
tout s’étreint
plus étroit plus dur.
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Puis époustouflante
l’aube qui jette
en travers du ciel
le chaud drapeau de la vie.
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2
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Les mélèzes qu’enflamme l’automne
sur sept vires en pleine paroi
poussent mes cris de joie.
Même au centre de la nuit
même dans la masse minérale
la cascade est la flamme
de la bougie renversée tête en bas
que je serre dans ma paume,
que dans ma pensée je serre.
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3
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Je suis en trois.
L’un grimpe tout contre moi
et m’instille la ténèbre.
Un autre sue toutes les larmes de son corps
à ôter du mien les clous.
Impossible de savoir où entre eux je suis.
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La montagne est mon bâti,
mon miroir, ma compréhension
à géantes marches
sans qu’elle me dise pour aller où.
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4
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Le vallon glaciaire
courbé plié rond
entre les deux parois
entre mes deux temps
entre mes deux tempes
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c’est l’empreinte de la nuque et du crâne
qui se sont appuyés ici à toute force
à tout espoir
pour jeter dans l’espace encore aphone
le sens et le chant de la parole que je cherche.
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Yves Bergeret
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8 réponses à “Dure paroi”
Rètroliens / Pings
- 27/10/2022 -
L’ascension des corps le long de la montagne est aussi ascension de la pensée.
La photo avec les mélèzes roux est superbe… J’ai cru un instant qu’il s’agissait de glaçons éméchés qui auraient attrapé du sable du Sahara… Mais non, ce sont bien des mélèzes d’automne ! Et les chaussures à angle droit…parlantes également.
Eschyle souffle dans quelque masque cette humble et dure parole du grand lointain.
YB
Dure paroi, mais quête de joie, quête de soi. Du soi qu’on devient dans l’épreuve et que l’on offre, à son terme, à l’espace de la lumière.
Enchaîné au mont aquilin, Prométhée se libère des pesanteurs du trivial.
Vous prenez de sacrés risques, mais quand on vous lit, on sait que le poème n’aurait pas pu être écrit sans la démesure de l’ascension, que la joie ne peut surgir que de l’affrontement, que la dure paroi est la seule voie / voix de la verticalité. Merci pour ce cadeau.
On reste sans voix devant ces abîmes, et les mots du poète virevoltent d’une crête à l’autre, d’un vallon à l’autre, d’une paroi à l’autre. Ils nous entrainent dans leur danse joyeuse !