Horticulture tubulures

Ce double poème se lit dans une traduction italienne, parfaitement rythmique et dynamique, du poète Francesco Marotta. La voici : https://rebstein.wordpress.com/2021/11/09/orticoltura-ponteggi/

*

Horticulture

Toute la matinée par touffes

elle plante l’herbe nouvelle

dans la pelouse piétinée pour les photos de mariage

entre la mairie béate et le glissement des bus fuyards.

A genoux, elle plante, elle parle au sol.

Par âcres bouffées d’humus le sol répond.

Les relents naviguent à lourds coups de rame

jusqu’à la table du bar où j’écoute

la musicologue jeune et brillante me montrer

le rond refrain de la douleur de ceux-là

qui refusent de mourir et dans un chœur invisible clair

nous livrent l’espoir acéré

qui entrecroise et tresse lumière et beauté.

.

Bras entièrement nus…la planteuse d’herbe…

C’est l’humus solitaire qu’elle regarde,

les galeries des lombrics dans la terre meuble,

l’entraille du chant.

.

Les gens vont au bus, descendent au métro,

les écoliers glissent derrière le ballon noir,

les murs s’enfoncent plus profond dans la patience,

les lampadaires crient pour la jetée

en pleine mer, la mer qui n’existe pas.

.

La planteuse d’herbe regarde dans l’humus

le dur miroir où rien ne se reflète

si ce n’est le choc, le choc, le choc coriace

des talons du chant humain, géant tendre

qui à très grandes enjambées va par la ville

et par la jungle impitoyable des gens

qui se condamnent incompréhensiblement

à la violence et à la dérive.

*

*

*

Tubulures

Ils doivent faire très attention

les neuf échafaudagistes casqués

qui assemblent les tubulures métalliques

pour gagner la voûte de pierre

qui porte le ciel.

Ils assemblent les tubulures en grimpant sur elles.

Ils grimpent sur le vide vertical, la tubulure

trace le trait d’insolence et de salut

en creux dans la nuit de la pensée.

.

Eux ils grimpent et grimpent

juste assurés par la longe brève et le mousqueton

qu’ils passent à la plus haute tubulure.

Ils montent de plus en plus obscurs et noirs

dans l’obscurité sous la voûte,

ils lancent en l’air leurs corps aux membres longs

vers la nuit de la voûte,

parfois mimes de tragédie,

légères scènes de tragédie antique

à peine esquissées en contrejour

devant la rosace ou le haut vitrail.

Les voici achromes, les grenus véloces

sans presque aucun mot

mais ils grimpent et tirent par poulies silencieuses

d’autres tubulures qu’ils assemblent

plus haut encore et sur lesquelles ils grimpent.

.

À celles déjà installées, chaque nouvelle tubulure

s’assemble par un grand bruit métallique.

Se répètent, se répercutent sans fin, se répètent.

Neuf éclats bruyants, neuf

chocs claquant vers la voûte, tirant percussion

à percussion les pierres, les piliers

vers le haut, toute la cathédrale marche

par le vide de son haut volume sous les voûtes

en claquant choc à choc métallique sur elle-même.

Les neuf échafaudagistes, les voici vertèbres

articulées espacées solidaires solitaires

dansant dans le vide sombre sous la voûte.

.

Les voici engrenages, désassemblés

assemblés s’assemblant, de la salle des machines

tout là-haut qui entraînent la coque vide

de l’univers minéral et de vapeur

vers le dieu qu’il se désire,

qu’il se fabrique à coups de percussion

et de percussion métallique.

.

Cognant les tubulures enchâssant les tubulures

ils dispersent la cathédrale dans le rythme.

Ils disparaissent dans la percussion de l’air et de la pierre,

ils se réduisent à l’entrechoc des vertèbres du monde,

ils n’existent plus, les voilà doigts seuls

qui sur les tubulures frappent les syllabes du monde,

qui sur les résonnantes splendides creuses tubulures

creusent la suffisante ébauche du monde,

qui lancent et soufflent les initiales

où la parole chantée du monde va déployer sa vêture

et la forme variante nocturne et diurne

où le chant et quelque chose de noir

dans le chant organisent le désordre

inorganisable de la liberté absolue de la parole.

.

Statique est la tubulure proliférante sonore

qui grimpe et grimpe, la tubulure jubilante

qui porte les pierres et les voûtes et les ombres sombres

et les vitraux débridés vers toujours

plus qu’eux-mêmes.

.

Statique est l’harmonique de la percussion

qui court dans l’espace et le temps

car la voûte que cherche l’échafaudage de métal

engendre le fond de l’océan

que tu n’avais jamais réussi à voir ni toucher

mais neuf coups répétés mille fois,

neuf mains neuf corps haut dans le vide,

neufs doigts déploient le clavier qui jubile

et le dixième doigt silencieux

désigne au fond de la lumière noire

l’oreille du monde, plage concave.

.

*

Yves Bergeret, à Chartres

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