Horticulture tubulures
Ce double poème se lit dans une traduction italienne, parfaitement rythmique et dynamique, du poète Francesco Marotta. La voici : https://rebstein.wordpress.com/2021/11/09/orticoltura-ponteggi/
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Horticulture
Toute la matinée par touffes
elle plante l’herbe nouvelle
dans la pelouse piétinée pour les photos de mariage
entre la mairie béate et le glissement des bus fuyards.
A genoux, elle plante, elle parle au sol.
Par âcres bouffées d’humus le sol répond.
Les relents naviguent à lourds coups de rame
jusqu’à la table du bar où j’écoute
la musicologue jeune et brillante me montrer
le rond refrain de la douleur de ceux-là
qui refusent de mourir et dans un chœur invisible clair
nous livrent l’espoir acéré
qui entrecroise et tresse lumière et beauté.
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Bras entièrement nus…la planteuse d’herbe…
C’est l’humus solitaire qu’elle regarde,
les galeries des lombrics dans la terre meuble,
l’entraille du chant.
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Les gens vont au bus, descendent au métro,
les écoliers glissent derrière le ballon noir,
les murs s’enfoncent plus profond dans la patience,
les lampadaires crient pour la jetée
en pleine mer, la mer qui n’existe pas.
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La planteuse d’herbe regarde dans l’humus
le dur miroir où rien ne se reflète
si ce n’est le choc, le choc, le choc coriace
des talons du chant humain, géant tendre
qui à très grandes enjambées va par la ville
et par la jungle impitoyable des gens
qui se condamnent incompréhensiblement
à la violence et à la dérive.
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Tubulures
Ils doivent faire très attention
les neuf échafaudagistes casqués
qui assemblent les tubulures métalliques
pour gagner la voûte de pierre
qui porte le ciel.
Ils assemblent les tubulures en grimpant sur elles.
Ils grimpent sur le vide vertical, la tubulure
trace le trait d’insolence et de salut
en creux dans la nuit de la pensée.
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Eux ils grimpent et grimpent
juste assurés par la longe brève et le mousqueton
qu’ils passent à la plus haute tubulure.
Ils montent de plus en plus obscurs et noirs
dans l’obscurité sous la voûte,
ils lancent en l’air leurs corps aux membres longs
vers la nuit de la voûte,
parfois mimes de tragédie,
légères scènes de tragédie antique
à peine esquissées en contrejour
devant la rosace ou le haut vitrail.
Les voici achromes, les grenus véloces
sans presque aucun mot
mais ils grimpent et tirent par poulies silencieuses
d’autres tubulures qu’ils assemblent
plus haut encore et sur lesquelles ils grimpent.
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À celles déjà installées, chaque nouvelle tubulure
s’assemble par un grand bruit métallique.
Se répètent, se répercutent sans fin, se répètent.
Neuf éclats bruyants, neuf
chocs claquant vers la voûte, tirant percussion
à percussion les pierres, les piliers
vers le haut, toute la cathédrale marche
par le vide de son haut volume sous les voûtes
en claquant choc à choc métallique sur elle-même.
Les neuf échafaudagistes, les voici vertèbres
articulées espacées solidaires solitaires
dansant dans le vide sombre sous la voûte.
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Les voici engrenages, désassemblés
assemblés s’assemblant, de la salle des machines
tout là-haut qui entraînent la coque vide
de l’univers minéral et de vapeur
vers le dieu qu’il se désire,
qu’il se fabrique à coups de percussion
et de percussion métallique.
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Cognant les tubulures enchâssant les tubulures
ils dispersent la cathédrale dans le rythme.
Ils disparaissent dans la percussion de l’air et de la pierre,
ils se réduisent à l’entrechoc des vertèbres du monde,
ils n’existent plus, les voilà doigts seuls
qui sur les tubulures frappent les syllabes du monde,
qui sur les résonnantes splendides creuses tubulures
creusent la suffisante ébauche du monde,
qui lancent et soufflent les initiales
où la parole chantée du monde va déployer sa vêture
et la forme variante nocturne et diurne
où le chant et quelque chose de noir
dans le chant organisent le désordre
inorganisable de la liberté absolue de la parole.
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Statique est la tubulure proliférante sonore
qui grimpe et grimpe, la tubulure jubilante
qui porte les pierres et les voûtes et les ombres sombres
et les vitraux débridés vers toujours
plus qu’eux-mêmes.
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Statique est l’harmonique de la percussion
qui court dans l’espace et le temps
car la voûte que cherche l’échafaudage de métal
engendre le fond de l’océan
que tu n’avais jamais réussi à voir ni toucher
mais neuf coups répétés mille fois,
neuf mains neuf corps haut dans le vide,
neufs doigts déploient le clavier qui jubile
et le dixième doigt silencieux
désigne au fond de la lumière noire
l’oreille du monde, plage concave.
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Yves Bergeret, à Chartres
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Rètroliens / Pings