La lettre de Stuttgart & Corps

Ce double poème se lit en italien dans une traduction sensible et puissante du poète Francesco Marotta ; la voici donc : https://rebstein.wordpress.com/2021/08/15/la-lettera-da-stoccarda/

*

La lettre de Stuttgart

Hommage à lui qui de très loin outre fleuve

m’envoie une lettre

qu’il met quinze jours à m’écrire

où il dépose le sable cristallin de sa jeune vie

et les cristaux de silice et de sang des questions

qu’en murmurant lui posent

ceux qui meurent malgré ses soins à l’hôpital.

Les phrases de sa lettre tournent douces

et fermes comme tournent les petites tables des bars

où il s’est assis au fur et à mesure des quinze jours

pour écrire cette lettre.

Ses phrases ont de légères rides,

rides qu’à force de regarder dans les yeux

aussi bien ici la mort que là-bas

la frénésie vénielle des danseurs du vide

il a laissé se creuser, rides sillons infimes,

sillons fertiles que sa pudeur ensemence au soir

de graines craquelantes, les unes, graines de la beauté,

les autres de la parole, d’autres de l’humanité.

Il aura sûrement à Stuttgart marché à l’infini

sous le soleil et certains jours sous la pluie.

Aux grumeaux de désespoir des malades

ou aux oyats du plein vent salé

ils s’étaient d’abord accrochés, les cristaux de sa lettre,

d’une beauté étincelante,

cristaux qui se sont formés,

dans la pente intransigeante de la vie

où aucune pression, aucune pesanteur

n’arrive à broyer la liberté,

à briser l’humanité.

*

Le corps

Dans la steppe il y a le corps humain

debout comme l’arbre qui n’existe pas

auquel le vent confie son besoin d’une mère.

Dans la steppe il y a le corps humain

qui est le chant de mille personnes : enfants, femmes

et certains pères dépourvus d’amertume.

Dans le corps humain il y a,

creuse comme le tronc du peuplier foudroyé,

une galerie où court le rat intelligent.

Il est déjà arrivé que l’intelligence du rat

entende la cascade au bout du monde

puis l’eau revient sous la steppe

et à chaque racine affleure, c’est une source.

Les sources sont les larmes des mères.

Les larmes boivent le vent.

*

Trois strophes sont calligraphiées ici à l’acrylique et encre de Chine sur Clairefontaine 224 g au format déplié 21 cm de haut par 29,7.

*

Yves Bergeret

*****

***

*

3 réponses à “La lettre de Stuttgart & Corps”

  1. Colette KLEIN dit :

    Recevoir une vraie lettre se compare à la réception de ce poème : chose rare et précieuse à lire comme s’il en allait de sa propre survie. A lire et à relire.

  2. Jean-François Mathé dit :

    Une lettre venue de loin, du plus profond d’un esprit et d’un coeur humains parvient toujours à son destinataire. Lui qui dans un poème en fait, pour d’autres, palpiter l’essentielle humanité.

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