La Maquette (10 Le visage)

Ce dixième épisode de La Maquette se lit en italien dans une traduction claire et dynamique du poète Francesco Marotta, à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2020/05/29/il-plastico-10/

YB

Ne voyez-vous pas les couches de l’air
qui à vitesses disparates glissent
en déchirant leurs nuages ;
et que tout ce laborieux glissement des choses
est aussi celui des courants dans l’estuaire ?
Ne le voyez-vous pas ?
 
Ne sentez-vous pas que les strates de carton
tirent à hue et à dia ?
Qu’elles s’efforcent à quelque chose ?
 
Ne voyez-vous pas les couches de l’air
les unes sur les autres glissant
parce qu’elles ont la volonté de composer
(et d’ailleurs les eaux sableuses aussi)
quelque chose dont la notion ou même la réalité
semble s’atteindre avec difficulté
ou peut-être même se perdre ?
 
De leur très longue migration qui en tue tant en vol
les martinets sont arrivés hier depuis l’Afrique.
Aussitôt sans répit ils s’affairent
à ajuster les couches de l’air,
à réconcilier ce qui s’est déchiré
et s’aigrit, perclus de solitude amère.
Il n’est même le petit hoche-queue qui
ne s’affaire sur un toit à mi-pente de la maquette
à recoudre une cicatrice, une entaille
biffée dans le carton de la maquette.
 
Est-ce un sacrifice mortifère et frelaté,
est-ce un théâtre vénéneux ?
Mais voilà, le mal a été fait : notre lien,
l’argile de notre chair, le souffle de notre chœur
ont été dilacérés, et hérissés partie contre partie,
petit trône contre petit trône, voyou contre voyou
au nom de l’objet-foudre marchandise.
Les couches de l’air ont beau vouloir
se réconcilier, se retrouver, elles ont beau vouloir
aller avec nous du même pas de paix ensemble,
la violence dilacère effroyable, répugnante.
 
Mais la source rouge de la parole ne peut
jamais être colmatée.
Tirant à hue et à dia, des bribes
de la maquette pourraient tomber et pourrir,
comme à un malade très âgé la mémoire
se fendille puis par lambeaux disparaît.
Mais pourtant même la mémoire en désastre
reconnaît toujours la voix,
le son de la source rouge
et les mots du dialogue qu’inlassables
nous ajustons, recousons,
lumière de la parole.
 
Ne voyez-vous pas les glissements
et les rapprochements ?
Ne voyez-vous pas le labeur épique des martinets
affairés nuit et jour à refaire le profil
et le contour et les traits du grand visage
de celle qui parle et chante,
de celle qui aime la maquette pour retrouver
le point rouge de sa source ?

Essayer de tracer et relever au calque
les voltes des martinets est impossible.
Et peut-être mieux vaut-il laisser libre
la chevelure de l’immense chanteuse
qu’ils ébouriffent.
S’ils l’ébouriffent, c’est de joie
et ils connaissent parfaitement les raisons de leur joie.
S’ils l’ébouriffent, c’est peut-être de rite aussi.
 
Essayer d’entretisser les quelques poèmes
des tissus verticaux naissant au ciel, ondoyants
au martèlement des pas, des frappes de taille
et des coups de sabot est utopique.
Et peut-être mieux vaut-il reprendre plus lentement
la diction, phrase claire à phrase sombre,
à claire à sombre, alternant
ainsi que les tâches claires et les tâches sombres
de la peau des marcheurs et des marcheuses.
Le chemin de l’utopie au corps infini
n’est-il réel que dans le corps banal de chacun ?

*

*

***

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Rètroliens / Pings

  1. Il plastico (10) | La dimora del tempo sospeso - 29/05/2020

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