La Maquette (9 Les calques)

Ce neuvième épisode de La Maquette se lit en italien dans une version particulièrement sensible, vivante, subtile et mobile, due au poète Francesco Marotta. On la trouve à cette adressehttps://rebstein.wordpress.com/2020/05/25/il-plastico-9/

YB

Ce matin l’architecte m’envoie par mail

une tout autre photo : non pas de la maquette

mais de croquis au crayon sur papier calque

de ce qui sera bâti autour de la source.

Il m’écrit dans sa langue : « ces calques

rendent visible le palimpseste des mots

de tes poèmes. Tes mots se sédimentent

dans l’intuition créatrice de cette maquette ».

Les feuilles de calque se soulèvent légèrement.

Transparence fait se mouvoir l’air. Les unes

sur les autres glissent les feuilles

translucides. C’est traînées de brume qui tournent

lentement, effleurant les pentes de la maquette.

C’est simple rosée des femmes et des hommes

se déposant chaque aube sur le réel en furie.

Forêt éphémère aux branches brillantes d’humidité,

lourdes d’humanité, remuées par la pensée,

par la peur ou la fuite, par la pensée.

Ni beige brut du carton ondulé de la colline

ni gris très clair du carton des bâtiments de soin

autour de la source rouge ; et dans le gris clair

bourdonne encore le labyrinthe diffus des discours

et des récits oubliés engloutis de leur vivant

par l’encre qui les a pressurés

et imprimés sur le papier ;

et le papier imprimé, vite périmé, tôt broyé,

a fait la pâte du carton gris très clair.

Voici le calque, le troisième état de la pensée écrite

qui va et passe et ici ne s’incruste pas

mais cherche où poser les lignes des dessins

et les jambages des mots pour que les butinent,

pour que s’apaisent, pour que guérissent

l’âme inquiète, le corps meurtri

de ceux qui marchent dans les tempêtes.

Voici le calque, ivoire ou blanc, translucide.

*

dans le ciel de la maquette,

Les cinq feuilles de calque sont arrivées

chacune allongée sur le dos d’un vent puissant.

Les vents les ont laissé descendre

de leur échine tannée, poussiéreuse.

Les calques ne se posent pas, ni sur le sol

ni sur les reflets de l’estuaire

ni sur la rade en carton tristement ondulé

ni sur les étages osseux de la colline de carton.

Ils flottent comme des odeurs vierges.

Ils flottent dans l’air, branches aux bourgeons

à peine ouverts de la forêt, canopée infime

mais aussi tenace que le fil de l’araignée

veillant tuant protégeant à mi-hauteur

de l’accueil et du meurtre.

Voici les calques ivoire ou blancs, translucides

cassant crissant portant les hachures

crayonnées de la main intrépide de l’architecte.

Par en dessous de lui-même chaque calque

étend la canopée de la forêt douloureuse,

sauvage et entêtée, la translucide canopée

où la pierre-ciel abreuve sa soif d’infini

et le cheval blanc à queue de Voie lactée

abreuve sa soif insatiable de liberté.

Par en dessous d’eux-mêmes, par chaque face

d’en dessous les calques étendent en grinçant

les grains du sable des dunes de l’engendrement,

de la parturition et de la mort.

Par les courants turbides les marcheuses

et les marcheurs toujours avancent

sous le couvert des calques qui redessinent

à perpétuité leurs chants allant.

Sur l’autre face des calques, au-dessus,

traits et hachures, colorés ou noirs

sont les empreintes inlassables des chants

des femmes à grave voix

et de la pensée de l’architecte

et des mots du poème qu’ici j’écris.

*

*

***

*

Rètroliens / Pings

  1. Il plastico (9) | La dimora del tempo sospeso - 25/05/2020

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