La Maquette (4 La dune)

De ce quatrième épisode le poète Francesco Marotta crée une version italienne, ample et musicale, que l’on peut lire à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2020/05/07/il-plastico-4/

YB

 

 

 

Une dune jaillit

au large de la colline et de la rade.

La houle du creux noir en feu

s’écarte et, comme un buffle, butte

sur elle-même, sur son vacarme et sa haine.

 

La dune est claire et blanche.

Dans sa pente des buissons épars

vert pâle épars bruissent

au vent de la dune, oyats épars, ajoncs.

Longues les heures du rêve et les heures

du jour passent dans le sillage du vent

sur la dune dont le ventre est lourd.

 

A midi les ajoncs se courbent

et s’écartent sous le poids de leurs propres

fruits serrés, grains durs comme de genièvre.

Du sable sortent hommes et femmes.

Sont-ils nus ? sont-ils vêtus ?

Ils s’ébrouent du sable et des grains.

 

Hommes et femmes ont étrange peau.

Y alternent tâches sombres de la souffrance,

fortes cicatrices de plaies mal recousues

et taches claires du soleil, écailles vivantes

du grand soleil de vie. Hommes et femmes

descendent la longue pente de la dune,

s’apprêtent pour en rythme traverser à pas lents

et sûrs l’intervalle vers la ville, ils le

sentent, le pressentent.

Ils ne s’effraient pas, ils ne s’enfoncent pas

dans les eaux étranges. Sur elles ils vont marcher

en rythme, dans le chant de grave gorge

des femmes, ils vont marcher dans le vide.

 

 

*

 

 

Le lendemain une aube rouge

soulève les nuages.

 

La dune claire s’engloutit.

Mais ne meurt pas, se dépose

en long banc de sable dans les flots sombres,

s’étire en long banc de sable

sur les flots sombres.

 

Entre le ciel rouge et les hauts-fonds clairs

souffle le vent multiple et rythmé.

Le scande la voix grave du chant des femmes.

 

Souffle le chant qui dit,

qui nomme la paix retrouvable,

nomme l’enfant à naître,

nomme la course de l’eau douce

naissant à la source rouge,

nomme la commune demeure à bâtir.

 

Il passe, le chant, entre le ciel de l’aube rouge

et les hauts-fonds certains incertains.

Il va, le chant des femmes

et rien ne se délaisse,

même les oyats, les ajoncs vont et viennent,

les oyats aux souples têtes sur les hauts-fonds

que les courants raclent moins crûment.

 

Ainsi écoutant la haute diction

rythmée dans le vent,

ainsi tournant dans les courants

ci et là leurs fines têtes les oyats, les ajoncs

ont confiance, distribuent la confiance.

 

Ont confiance aussi les grains du sable clair

de la dune endormie dans les eaux,

endormie sur les flots.

 

Les grains se rappellent sans cesse

les collines, les vallées et les monts

dont ils sont de profus sédiments,

la prolixe mémoire au fil des siècles,

au fil des millénaires.

 

Grains du sédiment ils ont toujours

été les gardiens râpeux et tendres

des femmes et des hommes de jadis

qui n’ont jamais cessé de vivre

et dont les plus jeunes des enfants

nus ou vêtus sont sortis de la dune

et sont descendus pour marcher sur les eaux.

 

 

*

 

 

 

 

Vers la colline de carton ondulé

vers la source rouge ils marchent,

les hommes et les femmes revenus

à la vie, revenus d’entre les

immenses bras de la dune claire.

 

Vers la source ils marchent

et toucheront enfin la maquette

qui, respirant lentement

comme barque sur l’eau, veille.

Veille et saura accueillir.

 

Ils marchent,

le haut du corps sec,

les tâches de leur peau couvertes de sel.

Seules leurs chevilles sont brassées

par le courant qui va.

 

Toujours dans le même sens va le courant.

Ont-ils à lutter contre le courant ?

Non, le chant grave des femmes les aide,

est le vent, la scansion du vent

qui sèche leur peau aux tâches étranges,

aux tâches claires et sombres.

 

Non, le chant grave des femmes

commence déjà le soin

et les porte vers là-bas, vers la colline

de carton, vers la ville de carton

et le point rouge de la source.

 

Certains sentent, certains pensent

aller à pas fermes brassant l’eau,

aller depuis la dune effacée

jusqu’à la ville future ; ceux-là pressentent

que l’eau salée et sombre, opaque et douce,

est une embouchure.

 

Estuaire qui dépose son sédiment,

le relève ou l’enfonce,

le durcit ou le disperse,

sédiment dont la vie des femmes

et des hommes du passé et de maintenant

est le plus beau grain,

est le plus nombreux grain.

 

Car à l’estuaire se déverse

l’eau d’abord douce et lente qui afflue

des très anciennes terres, épaisses

et montueuses, que travaillent en galeries

de mines, en sillons de labours, en

piétinements de villes, tant et tant

de générations de femmes et d’hommes

dont rien n’arrête le tenace

labeur ni la souffrance des articulations

ni l’espoir autour du repas à la table du soir.

 

Ils marchent, ceux et celles une seconde fois

nés d’entre les grains de la dune, ils marchent

dans l’eau de l’estuaire.

Ils marchent et avec eux marchent

les femmes à grave voix qui chantent.

 

Ils voient la maquette se dresser dans l’estuaire,

maquette de fiction. S’élève le récit

de quelque fiction vive,

de quelque vivante utopie.

 

 

 

 

*

 

 

 

*

***

*

 

 

 

Rètroliens / Pings

  1. Il plastico (4) | La dimora del tempo sospeso - 07/05/2020

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :