Prague, Poésie 1988-1990
Cette prose se lit en italien, traduite par le poète Francesco Marotta, à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2018/06/18/memorie-praghesi/
J’arrivai à Prague fin août 1988. Le pays était encore sous obédience soviétique et le Mur de Berlin ne tomberait que seize mois plus tard. Le Ministère français des Affaires étrangères m’avait embauché pour contribuer à réactiver les relations culturelles entre nos deux pays. Je portais une casquette d’attaché culturel. Mais en fait je disposais d’un budget autonome de directeur d’institut et travaillais avec une secrétaire-interprète et avais un bureau inséré dans le service culturel de l’ambassade de France. J’informais directement le ministère à Paris et avais pourtant, pour la galerie, un patron local, le conseiller culturel ; à mon arrivée celui qui occupait le poste était un personnage mesquin et intoxiqué aux teintures du stalinisme ; en somme c’était un « collaborateur » comme on disait du temps de Vichy. Le ministère à Paris a fini par le renvoyer. Son successeur était un homme ouvert, débonnaire.
Poète et diplomate j’avais fait cette analyse : ne disposant ni de personnel d’animation ni de salles j’œuvrerai « en ville » dans trois domaines. La musique contemporaine, très brillante en France mais opprimée voire réprimée par le régime à Prague, alors que la musique classique remplissait les salles de concert. J’invitais donc compositeurs et interprètes français que je mettais en contact avec leurs collègues tchèques pour quelques rencontres officielles mais surtout pour des ateliers non officiels, y compris dans mon appartement ; ainsi vinrent Henri Dutilleux, Pierre-Yves Artaud, Dominique Merlet, Jean-Luc Menet, etc.. Le deuxième domaine était celui des arts plastiques contemporains ; j’exposais « en ville » Bram van Velde, Tal Coat, beaucoup de jeunes créateurs français et avec ou sans eux agissais abondamment dans les ateliers d’artistes tchèques dissidents et même de très actifs lieux clandestins d’exposition à la campagne.
Le troisième domaine était la poésie contemporaine. Si la génération française extraordinaire née au début du siècle, Char, Ponge, Michaux, Frénaud, Tardieu… était en train de s’éteindre, dans celle qui lui succédait de grandes voix étaient nées, Lorand Gaspar, Philippe Jaccottet, Jean-Claude Renard, Jacques Réda, Yves Bonnefoy… comme je connaissais personnellement ces auteurs je les invitais à Prague et les accompagnais un peu partout, des chaires officielles de l’université Charles, des salons des sourcilleuses Unions des Ecrivains aux logements de traducteurs semi-dissidents et de poètes tchèques brimés ; et je recevais beaucoup à la maison. Du côté tchèque l’oppression affaiblissait la création romanesque, Hrabal mis à part, mais faisait prospérer la poésie, dans la lancée peut-être de Seifert mais surtout de Vladimir Holan, sûrement un des plus grands poètes d’Europe centrale du siècle passé ; son intransigeant retrait de toute vie publique pendant la période stalinienne faisait l’admiration de tous. On admirait aussi Jan Skacel, à Brno ; et tant d’autres. Les puissantes maisons d’édition officielle piétinaient sur place dans le réalisme et les rééditions de grandes œuvres du passé ; mais toute la vie de la poésie indépendante se passait dans l’édition clandestine, non sans risques sérieux pour auteurs, éditeurs et même lecteurs ; cette édition non officielle était extrêmement active tant sous le manteau en Tchécoslovaquie qu’ouvertement à Paris, à Vienne et au Canada.
Dès que je commençais à parler aux poètes français de l’invitation que j’allais leur adresser je les informais précisément de cette situation. Nous étions totalement d’accord que le cœur de l’Europe ne pouvait cesser de battre librement, en particulier dans la densité la plus indépendante et la plus profonde de la langue, la poésie. Et quant aux Tchèques, ceux qui sont vite devenus mes amis se rappelaient les contacts de la Première République tchécoslovaque avec Breton, avec le Grand Jeu, avec Karel Teige, avec Devetsil, avec tant d’autres. Je ne me suis jamais adressé aux poètes staliniens français qui frappaient à ma porte ; je me méfiais en particulier de trois d’entre eux que le parti communiste français avait sélectionnés jeunes et envoyés à Prague dans les années soixante pour apprendre la langue et être des passeurs actifs, via la traduction, des écrits de la « fraternité des peuples » ; l’un de ces trois là, fort âgé à présent, a été un tyran sectaire dans le petit monde français de la poésie et de son édition.
Or ces apparatchiks de l’« amitié entre les peuples » et du contrôle strict des esprits, côté tchécoslovaque, ne se cachaient pas et dirigeaient et signaient des traductions voire des anthologies que les éditions du parti communiste en France et du parti frère à Prague publiaient régulièrement. Grand lecteur de poésie et en particulier de poésie étrangère, je connaissais bien leurs noms. Peu de jours après mon arrivée à Prague l’un d’entre eux, Vladimir Brett, est venu me rendre visite à mon bureau avec des phrases pleines de miel. Je savais bien qui c’était. Je l’ai écouté puis l’ai reconduit poliment à ma porte, qu’il n’a jamais refranchie.
René Char mourut le 19 février 1988. Je décidais de lui rendre hommage au cœur de l’Europe à rouvrir, pour le premier anniversaire de sa mort. Je rencontrais ses rares traducteurs en tchèque ; curieusement la morgue de l’un d’entre eux, semi-dissident, était la même que celle d’un de ses traducteurs à Moscou que je connaissais et avais quinze ans auparavant fortement aidé à échapper au goulag : c’était désolant, un vrai contresens sur le sens de l’œuvre de Char qui n’était en aucune manière l’affirmation d’un hermétisme méprisant et sombre mais bien au contraire une vigilance permanente d’une éthique lumineuse et résistante toujours en lutte. Jamais d’amertume hautaine chez Char. J’exposais le magnifique ensemble des vingt-sept lithographies de Georges Braque pour son cycle de poèmes La Lettera amorosa. Avec un jeune ensemble de musique contemporaine français, Alternance, je réalisais la création en Tchécoslovaquie du Marteau sans maître de Pierre Boulez de 1953 sur des poèmes surréalistes de Char d’avant-guerre. Le ministère à Paris soutenait totalement mon projet. Les freins locaux furent multiples, la mauvaise volonté massive des officiels, la grogne envieuse de mon patron local, mais j’allais de l’avant. En fait des gens commençaient à parler à Prague de ce poète français qui venait d’arriver, qui avait fait deux mois après son arrivée créer par Pierre Chabert La Dernière bande de Beckett, auteur vivement réprouvé, dans un théâtre officiel en ville, ce qui avait été un pari fou et était presque un crime de lèse-majesté. « On » avait pris contact avec moi, alors que les administrateurs des grands orchestres symphoniques refusaient de louer les volumineux instruments de percussion nécessaires, et « on » me conduisit dans une brasserie où je rencontrai un dissident, Marek Kopelent, puni et reclus dans une MJC de lointaine banlieue de Prague comme pianiste de répétition pour un cours de jeunes ballerines en tutu. Kopelent est sans doute le plus grand compositeur tchèque contemporain, et tout le monde le savait. Nous avons sympathisé ; il a soutenu le projet et ouvert mainte porte, trouvant sans difficulté les instruments jusque là inaccessibles. Les musiciens français vinrent quelques jours à l’avance ; j’avais obtenu, en partie grâce à Kopelent, une salle splendide au centre même de la vieille ville, la « Chapelle des Miroirs » à la Bibliothèque nationale : c’était parfait pour de la musique de chambre et/ou de la musique contemporaine. Malgré l’obstruction officielle de toute communication, de toute publicité, de tout affichage, la salle fut archi-comble et, non officiellement, un grand camion de régie de la radio d’état vint pour enregistrer et diffuser en différé ce concert historique. Char en modalité boulézienne, la poésie, la vigilance et l’éthique de la résistance et de la beauté avaient franchi tous les obstacles et tout le monde à Prague le sut immédiatement.
Quelques semaines après mon arrivée à Prague on me transmit trois dossiers tchèques de candidature à des bourses françaises de traducteur littéraire, dossiers passés par le tamis de la censure locale. Il y avait bien sûr deux apparatchiks, dont celui que je disais plus haut. Mais le troisième candidat mentionnait
qu’il avait traduit et publié… la Chanson de Roland ! et sollicitait une bourse pour préparer une traduction d’Yves Bonnefoy : c’était complètement inattendu. En bas de sa lettre de motivation le candidat indiquait son numéro de téléphone. C’était Jiri Pelan. Je l’appelais, trop heureux de pouvoir discuter de chanson de geste et de Bonnefoy que j’appréciais alors.
Quelques jours après je recevais ce candidat, timide mais évidemment à l’aise dans la libre réflexion et l’analyse profonde et vivante de la littérature (j’avais déjà entendu en ville beaucoup de langue de bois en guise de pensée littéraire) ; nous nous sommes très vite revus dans des brasseries sans risque de microphone dissimulé, puis chez moi puis chez lui. Les échanges avec Pelan ont été considérables. Il a en outre facilement obtenu sa bourse de traducteur et est ainsi parti trois mois en France, à Paris et Arles ; il a rencontré Bonnefoy. Plusieurs mois plus tard j’invitais à Prague ce dernier en famille une semaine. Son séjour connut le succès. Je ne suis pas persuadé que ce succès fut vraiment fertile. Même si Pelan a abondamment publié cette œuvre en tchèque dans les années qui suivirent. Le classicisme marmoréen qui donne de la splendeur au vers de Bonnefoy et la songerie plotinienne déambulant lentement dans son œuvre installent avec une pateline majesté une sorte de centralité universelle d’une pensée poétique européo-française, post valéryenne ; et je pense que Prague multilingue, magique, athée, ironique, contournée, cœur complexe de l’Europe auquel on n’accède jamais que par un jeu de coulisses sournoises et de labyrinthes volontiers rustiques, Prague mérite beaucoup mieux qu’un phénomène littéraire français fidèle enfant de l’impérieux classicisme de Versailles. Bonnefoy a pu fasciner certaines personnes à Prague, parce que son oeuvre leur a offert de commodes avenues sur les landes de la nostalgie, mais je suis sûr que Prague mérite beaucoup mieux.
Pelan et moi nous nous parlions beaucoup. Il m’aurait semblé paradoxal de ne pas faire vivre le feu de la poésie dans les deux langues, aller et retour. De manière débridée puis organisée nous nous sommes mis à co-traduire (je connais le russe, langue slave très proche du tchèque, langue slave aussi) et à publier en France Vladimir Holan, la seconde partie de son Mozartiana et surtout son grand recueil Toscana. Puis Ancien Millet de Jan Skacel, puis les poèmes en principe anonymes que Janacek a mis en musique dans son admirable cycle de mélodies Journal d’un disparu.
C’était de longues, très longues et très nombreuses séances de travail que nous avons poursuivies bien après mes années de travail à Prague ; nous passions pour cela une grande partie de nos vacances ensemble avec nos enfants, dans les Alpes françaises du Sud.
Peu de temps après mon arrivée à Prague j’invitais Lorand Gaspar qui avait publié presque dix ans plus tôt son admirable Sol absolu. Je préparais avec lui soigneusement son séjour et, bien sûr, ses rencontres. L’une fut capitale. L’expérience humaine de Gaspar, polyglotte, médecin et chercheur, profondément engagé dans les douleurs et les grandeurs des pays où il a vécu, dans les Balkans, au Proche-Orient, en Tunisie et en France même, peut rappeler la quête exigeante de Segalen, médecin et poète lui aussi, mais dans un monde alors sans guerre, au tout début du vingtième siècle. En 1996 j’organisais d’ailleurs au Centre Pompidou sous le titre Chines Arabies une exposition de mise en parallèle de ces deux poètes-médecins-photographes. Peu avant la venue de Lorand Gaspar à Prague j’avais fait la connaissance, fort loin des cercles officiels, de Jiri Pechar. Il avait traduit toute la Recherche du temps perdu, mais aussi Wittgenstein et Freud, et bien d’autres. Il avait échappé de peu à l’arrestation par la police politique. Gaspar dans son œuvre de cette période là interroge le monde contemporain et les formes du langage qui y émergent ; il avait lui-même traduit alors Rilke et Seferis. J’organisais donc la rencontre entre Gaspar et Pechar. Leur entente fut immédiate. De plus Pechar vivement intéressé par les évolutions de la psychanalyse trouvait en Gaspar un chercheur de premier rang aussi dans ce domaine. J’ai toujours pensé que l’œuvre poétique de Gaspar est, dans la langue française, une de celles qui font honneur à la conscience européenne, ici non repliée ni sur elle-même ni sur le lyrisme du moi ; elle sait traverser les frontières à l’intérieur du continent et bien au delà, elle évite toute posture et tout académisme. Pechar a aussi ce genre d’esprit polyglotte, d’une profonde exigence et d’une constante humilité souriante et est sans aucun doute un des esprits comme l’Europe en connut dans la Mitteleuropa avant la catastrophe nazie, comme Canetti, Thomas Mann, Broch, Musil. Et justement Pechar se dit d’abord philosophe. Toutes les semaines j’allais passer une soirée chez lui, dans un quartier très excentré ; nous parlions essentiellement de poésie, puis de littérature, enfin de la situation politique sur laquelle il a toujours été d’une clairvoyante lucidité. Pechar et moi passions aussi une partie de ces soirées à travailler à des traductions poétiques.
A Prague[1], poète ne renonçant en rien à mon travail de création et de dialogue de création avec ce que j’appelle la langue-espace du lieu où je me trouve et vis, je ne pouvais rester aveugle à la sève énergique qui parcourait les milieux non officiels aussi dans le domaine de la poésie, poètes et éditeurs de samizdat. Mon premier patron local, « collaborateur », leur était hostile avec une agressivité primaire. Tout le monde le savait. Lorsque, malgré son interdiction, je pris dès l’automne 88 contact à Paris avec certains de ceux qui s’engageaient totalement dans le soutien à ces activités clandestines, par exemple la secrétaire de l’association Jan Huss qui fournissait une aide concrète aux séminaires clandestins, par exemple avec le directeur de la revue Lettre internationale, Antonin Liehm, tchèque exilé très actif, j’ai d’abord et logiquement suscité leur méfiance : « comment, un adjoint de ce conseiller culturel traître demande à nous voir… » ; j’ai dû d’abord répondre à leurs multiples questions. Je les ai convaincus rapidement. Mon passeport diplomatique a été fort utile pour que je fasse passer toute sorte de matériel, et pas seulement des livres interdits, et pas seulement Lettre internationale par dizaines d’exemplaires ; j’allais aussi accueillir ostensiblement au poste frontière à l’aéroport de Prague les philosophes français que parfois même j’hébergeais chez moi et qui ensuite rejoignaient pour quelques jours les réunions clandestines. Cela eut parfois des effets directs dans mon travail de création. Lettre internationale se mit à publier, et sans user d’un pseudonyme, des poèmes que j’écrivais à Prague, inédits. Lorsque la Révolution de Velours éclata fin novembre 89, cette revue publiait immédiatement mes poèmes qui de manière métaphorique mais transparente disent le soulèvement populaire ; d’ailleurs dans la grande presse hebdomadaire et quotidienne, florissante pendant quelques mois dès la réussite de cette Révolution, mes poèmes traduits en tchèque et inédits étaient sans délai publiés. J’ai repris certains de ces poèmes, dans leur version originale en français, dans la partie finale et conclusive de mon livre Poèmes de Prague, que j’ai publié en France en 1991.
Après le succès total de la Révolution de Velours je faisais ce constat que la vitalité de la poésie tchèque, était portée par son samizdat qui sortait de la clandestinité et que ce fourmillement de dizaines de petites éditions avait beaucoup plus de possibilité de survie que les grandes maisons d’édition, après l’effondrement de l’économie planifiée et de ses énormes structures culturelles. Ces petites maisons, l’avenir littéraire tchèque, voire européen, était entre leurs mains. Mais elles devaient, sans fusionner, s’organiser entre elles. Or à la suite de loi Lang sur le prix unique du livre la publication de la poésie en France, délaissée de manière lamentable par les grandes maisons d’édition, connaissait un regain splendide chez les petits éditeurs partout dans le pays, remarquablement soutenus par les Centres Régionaux des Lettres qui venaient de naître et dont le plus actif alors était celui du Languedoc-Roussillon. En mars je réunis donc dans Obecni Dum, la Maison municipale, vaste et splendide palais Art Nouveau du centre de Prague, une Rencontre sur la poésie, sa traduction et son édition où dialoguèrent des dizaines de personnes agissant dans ces trois domaines inséparables. Cette Rencontre fit date[2].
Prague pour le poète que je suis ne peut se réduire à une succession de cartes postales sépia sur la Ruelle d’or, les statues baroques qui se penchent des parapets du pont Charles sur la Vltava, et autres séductions pittoresques. Prague est le lieu apparemment faible soumis aux vents de tempêtes d’invasion variées, germanophones, russophones, maintenant de celle de l’acculturation massive de l’ultralibéralisme mercantile, Prague est le lieu au centre de cette Europe qui s’est imaginé criminellement dominer le monde de 1800 à 1960 et qui a engendré des monstruosités totalitaires au siècle passé ; Prague est au centre de tout cela et bienheureusement sans frontière vers un lointain d’évasion ou de conquête, vers quelque Eurasie ou vers quelque outremer. Prague subit les violences mais ne sait pas être violente. Les ouragans des occupations guerrières et économiques, les tsunamis des cultures et des langues invasives font plier la langue et la culture tchèques. Et pourtant elles ne plient pas et ne disparaissent pas. Ce n’est pas qu’une affaire de résistance nationaliste. Il y a dans l’esprit des lieux de Prague, donc dans sa langue en ce qu’elle a de plus dense, la poésie, une sève tout à fait particulière, une vigueur intériorisée et à la fois exprimée vers le plein vent de la place publique avec les costumes de l’ironie et de la lucidité amère et rayonnante, une vigueur où crudité et réalisme se conjoignent de manière simple ou complexe sans avoir le besoin académique de se calfeutrer dans quelque sublimation mystique parachrétienne. Est-ce une voie possible de la pensée européenne actuelle ?
Cet esprit des lieux si curieusement rétif est sans doute dû au fait que Prague est un point d’indétermination (et de cette ouverture totale à ce que Segalen pourrait aussi appeler le Divers) entre la Kakanie raillée par Musil, le rationalisme kantien, entre la tension eschatologique du protestantisme banquier et l’interminable théâtralisation du catholicisme. On pourrait aussi employer la métaphore de l’œil du cyclone. Ou dire : Prague est comme une toile tendue au dessus d’un gouffre de liberté absolue. Le fond obscur de ce gouffre reste inconnu. Prague est la toile élastique et souple sur laquelle rebondissent non pas les doctes trop poussifs mais la parole impertinente des foires, des avant-gardes artistiques et des tavernes, des argots dialectaux des paysans chanteurs qu’aime et transcrit Janacek, parole proche d’une oralité dont l’Europe centrale et septentrionale, Europe de l’écriture par excellence, tend à oublier la Diversité oraculaire, performative, mantique, animiste : autrement dit le flux du poème, que Char entend dans la bouche des Matinaux, et qui se sent si bien au bord du labour, dans la selva oscura où l’Europe sent son égarement, là où le jeune paysan a abandonné son cheval et sa charrue, a disparu, lui qu’au dessus du vide Janacek fait chanter.
Yves Bergeret, mai 2018
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[1] Je travaillais à Prague avec bien sûr d’autres personnes tchèques ou françaises, poètes, traducteurs, directeurs de revue et éditeurs.
[2] En août 1990 je rentrai en France.
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2 réponses à “Prague, Poésie 1988-1990”
Rètroliens / Pings
- 18/06/2018 -
Les grilles d’un immense portail s’ouvrent pour nous. Nous pénétrons dans un vaste domaine qui ne nous est pas totalement étranger… mais nous n’avons pas planté les arbres dont nous admirons les magnifiques frondaisons… nous n’avons pas construit cette demeure dont les portes s’ouvrent pour nous.. l’air circule partout, il nous est familier, bienfaisant, il nous grandit… nous sommes plus dignes…