Course, paix, coeur (Montrouge, janvier 2018)
Poème en huit strophes créé, et accompagné de gestes d’acrylique, par Yves Bergeret à Montrouge et Paris du 14 au 16 janvier 2018, sur quadriptyques horizontaux (25 x 65 cm) de Canson 200g, chacun en deux exemplaires.
Ce poème se lit en italien, traduit par le poète Francesco Marotta à cette adresse : https://rebstein.wordpress.com/2018/01/17/per-arginare-la-violenza-del-mondo/
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Un obus troue le tablier du pont,
deux, quatre, dix obus,
la rivière brunit,
le pont n’est plus.
Lui, il a seize ans. Il vit à la frontière du Cachemire.
Il sait que l’an prochain l’armée le prendra
pour lui faire tuer ses cousins du même âge
juste de l’autre côté de la frontière sur la crête
ou bien les beaux-frères de sa mère le tueront
près de la bergerie ou du pont détruit.
Il descend en courant vers la plaine
il refuse toute guerre, il court, il court,
il traverse l’Iran, il traverse la Turquie,
il retrouve son frère aîné qui s’est lui aussi exilé
il y a cinq ans et s’est installé cordonnier à Athènes.
Il ne comprend rien aux cuirs, semelles et clous
et repart, il traverse en courant la Suisse,
avec des cousins de sa vallée himalayenne il vend
des poireaux et des courges à Munich.
Mais la course le reprend,
il s’arrête à Montrouge devant la piscine,
vend des fleurs puis sert du café puis sert à manger
et a cessé de courir.
Trois étages au dessus de ses fleurs il trouve un logement.
Il se laisse pousser une moustache éloquente.
Il se marie. Sa femme discrète est très belle.
Il accueille ses jeunes cousins qui ont refusé
à leur tour les armes, puis d’autres parents qui refusent
les armes. Il accueille. Ses enfants prospèrent.
Son quartier à Montrouge prospère.
Fleurs et cuisine indienne. Il orne son bar,
dans son restaurant il a douze tables rouges
et au mur une très belle petite peinture sur bois ouvragé
qu’avant de mourir sa mère qu’il n’a jamais pu revoir
lui a envoyée depuis le village du Cachemire
où le pont n’a pas été reconstruit.
Il meurt il y a trois matins en descendant
de l’appartement à la boutique des fleurs.
Son cœur n’arrivait plus à porter
par tonnes entières les fleurs et les mots d’accueil
pour endiguer la violence du monde.
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5 réponses à “Course, paix, coeur (Montrouge, janvier 2018)”
Rètroliens / Pings
- 17/01/2018 -
A nouveau très touchée par la force de ce poème. Merci cher Yves Bergeret
Merci, cher Yves, la force de ton poème est touchante et sublime.
Merci pour ce poème qui nous interroge aussi. Comment être lucide, si proche des êtres, de tous les êtres, sans perdre coeur, courage, sans être déraciné par la violence du monde. Cela veut dire que ce texte est issu d’une source profonde, d’une pureté inconnue de nous et pourtant nous en aurions besoin, besoin de connaître le début du chemin. Seule la pureté peut faire face à ce monde.
Il y a dans ces poèmes, de l’âpreté, de l’éclat, de l’effraction et surtout de l’intimité dans la voix.